Lucas Charlie Rose

Place à l’artiste

Lucas Charlie Rose s’est fait connaître d’un large public comme l’organisateur de la manifestation au sujet du spectacle SLĀV. Le jeune transsexuel est aussi un artiste hip-hop. Il a lancé son nouvel album, vendredi dernier, le premier dans la langue de Molière, qui s’intitule Plus près du soleil. Entrevue.

Qu’est-ce qu’il y a au soleil ?

Le soleil représente la liberté. Et cette liberté, ça peut être d’avoir assez d’argent pour pouvoir se consacrer en paix à son travail. J’aimerais pouvoir penser à ce que je peux apporter au monde par mon art. J’aimerais ne pas juste penser à survivre. Par exemple, là, j’ai une infection de dent de sagesse, mais je n’ai pas d’argent pour la faire enlever. D’un autre côté, et là je serai très sombre, la liberté pourrait aussi se trouver par la mort. Mes ancêtres esclaves, lorsqu’ils ont sauté des bateaux en direction de l’Amérique, pour se noyer, ils le faisaient parce qu’ils savaient ce qui les attendait. C’est aussi ça, la liberté.

Par quelques titres de vos chansons, je sens que vous cherchez une paix intérieure. Avez-vous trouvé cette paix ou s’agit-il d’une quête ?

Je ne dirais pas que je l’ai trouvée. C’est comme sur la chanson Île abandonnée, je dis que je veux arriver à être content d’être seul. C’est un des plus gros problèmes dans ma vie, j’ai du mal à être seul. J’ai le trouble de la personnalité borderline, ce qui fait que j’ai des problèmes d’abandon et que j’ai l’impression que je n’existe pas.

Vous dites aussi dans une chanson que « vous rêvez d’un futur en or, entouré de support ». De quel appui parlez-vous ?

Celui des gens qui apprécient mon art. Parmi les commentaires les plus touchants que j’ai reçus, il y a ceux sur le fait que j’ose enlever mon t-shirt en show. Et je n’ai pas eu d’opération en haut. Je m’en fous… et d’ailleurs, je n’ai pas les 10 000 $ pour faire l’opération ! Chaque fois que j’enlève mon t-shirt, je reçois des messages de mecs trans qui n’ont pas eu d’opération et qui me disent qu’ils se sont toujours sentis mal dans leur peau et que maintenant, ils osent enlever leur t-shirt en public.

Puisque vous abordez votre transsexualité, je me disais en écoutant votre album que vous n’en parliez pas du tout. C’est un choix calculé ?

Non, sincèrement, c’est que je n’y pense pas. Dans mon quotidien, je ne pense pas à ça. Ce sont les gens qui me le rappellent. Le premier EP que j’ai sorti lorsque j’ai commencé à transitionner, ça s’appelait Flyer Than Most, ce qui représente les initiales de FTM (Female-to-Male, utilisé pour désigner les personnes trans qui passent de femme à homme). C’était ma manière de dire que je n’aimais pas ce terme… et que j’aimais mieux interpréter ça comme Flyer Than Most. Mis à part ça, c’est vrai que j’en parle très peu dans mes chansons.

Vous donnez quand même des conférences sur le sujet.

Des gens ont commencé à m’appeler pour que je parle du fait que je suis transsexuel dans les universités. Du coup, je fais ça régulièrement. Et j’en parle, parce que c’est important d’en parler. Comme c’est important qu’on voie des transsexuels dans un média grand public. Mais pour revenir à ma musique, si vous l’écoutez, tout le monde peut se reconnaître. Pas besoin d’être trans pour se reconnaître. J’ai une chanson sur une rupture amoureuse (Levées de cœur), qui peut toucher tous ceux qui en vivent. La musique, ça rapproche beaucoup.

Quel est votre rapport à votre voix ? Avez-vous toujours aimé chanter ?

J’ai toujours chanté, mais avant ma transition et que je prenne des hormones, je n’aimais pas ma voix. Je ne me reconnaissais pas, en fait. Mais maintenant, quand j’écoute mon ancienne voix, je l’adore. Je n’entends pas une femme, j’entends un petit garçon. En fait, j’ai l’impression que mon ancienne voix n’a pas disparu. Il y en a juste une autre qui s’est ajoutée.

SLĀV revient sur les planches (aujourd’hui) à Sherbrooke. Serez-vous dans la salle ?

Oui, j’y serai. Je trouve ça un peu dommage que ça revienne, mais je comprends que le spectacle avait déjà été commandé [avant l’annulation au Festival international de jazz] et que Robert Lepage doit le faire. J’espère que ça va valoir la peine que toute cette histoire s’étire sur autant de mois. Avec le recul, je peux dire que je ne suis pas sûr que toute cette controverse se soit passée de la bonne manière. Les choses auraient pu se passer différemment. Mais tout arrive pour une raison.

Qu’est-ce que Trans Trenderz, l’entreprise que vous avez créée récemment ?

Une maison de disques sans profits pour les personnes trans. Je fais un peu tout là-dessus, parce qu’on commence et que nous n’avons pas beaucoup d’argent. C’est basé à Montréal et New York. Ce ne sont pas que des artistes hip-hop. J’adore faire de la musique avec des gens dont le style n’a rien à voir avec le mien. Et si jamais quelqu’un lit l’article et qu’il… je ne sais pas… s’il joue de la guitare ou peu importe… et ce, même si vous êtes un homme blanc cisgenre de 55 ans… invitez-moi à mettre un couplet de rap dessus. On ne sait jamais ce qui va se passer ! Et c’est comme ça qu’on va apprendre à se connaître. L’art, c’est tellement puissant. Et tout mon travail en est un de rapprochement. Toute la controverse SLĀV, c’était aussi ça. Rapprochons-nous !

Plus près du soleil

Lucas Charlie Rose

Trans Trenderz

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