Éditorial Paul Journet

TRANSPORT Le parti de l’étalement

Il n’y a pas que les écolos urbains qui dénoncent un troisième lien à Québec. Certains s’inquiètent aussi en région. C’est le cas de l’Union des producteurs agricoles (UPA), qui craint que ce futur pont ou tunnel n’accélère l’étalement urbain et menace les terres agricoles de la Rive-Sud.

Une surprise ? À peu près autant qu’un médecin qui déconseille la cigarette à son patient asthmatique… Ne pas aggraver sa maladie est un minimum, mais cela ne suffit pas pour guérir.

Pour contrer l’étalement urbain, le gouvernement caquiste devrait procéder en deux étapes. D’abord, prendre une bonne gomme à effacer et éliminer ses engagements qui empirent le problème (élargissements et prolongements d’autoroutes). Et ensuite, s’attaquer à la source de ce problème, soit la réglementation qui permet l’étalement et la fiscalité municipale qui l’encourage.

D’ailleurs cela aurait dû être fait il y a des décennies. Car quand on se compare, on se désole.

Selon les calculs de l’urbaniste Luc-Normand Tellier, Toronto est 1,8 fois plus dense que Montréal. Et Montréal est 4,4 fois plus dense que Québec.

Et ça ne s’améliore pas. De 2006 à 2016, la croissance démographique s’est surtout faite dans les banlieues.

À cause de l’étalement urbain, il faut construire plus de routes et d’infrastructures. La facture augmente, tout comme la congestion et la pollution.

On ne juge pas les familles qui s’installent en banlieue. Elles cherchent une maison abordable pour élever leurs enfants. Mais cela n’explique pas tout. La preuve, c’est que l’exode vers la banlieue est moins rapide à Toronto et à Vancouver, malgré leur surchauffe immobilière.

Si on incite les citoyens de Montréal et de Québec à s’installer en banlieue, c’est parce qu’on leur a littéralement ouvert la voie en construisant plus d’autoroutes. Chaque fois, la justification est la même : mettez-vous à la place des familles prises dans le trafic !

C’est ainsi que le territoire est aménagé en fonction des demandes de l’électeur. On crée plus de routes. Cela incite les gens à s’installer plus loin en banlieue. Ce qui augmente la demande pour de nouvelles routes, et ainsi de suite.

Si on est pris dans ce cercle vicieux, c’est par myopie. C’est parce qu’on planifie le territoire d’un point de vue clientéliste sans réfléchir à l’impact collectif de ces choix individuels.

Hélas, le gouvernement caquiste veut poursuivre cette fuite en avant en construisant un troisième lien à Québec, en élargissant l’autoroute 30 sur la Rive-Sud de Montréal et en prolongeant l’autoroute 13 vers Mirabel.

Après son élection, le premier ministre François Legault a exprimé sa « sincère préoccupation » pour l’environnement. Pour cela, il devra s’intéresser davantage à l’urbanisme. Car au Québec, l’environnement passe désormais par l’aménagement du territoire.

Durant la campagne électorale, M. Legault a proposé une avancée et un recul.

Sa mauvaise idée : dézoner certaines terres agricoles afin de permettre aux villes de banlieue de les convertir plus facilement en développement commercial ou résidentiel. Le chef caquiste a prétendu que la protection était trop rigide. Pourtant, près des trois quarts des demandes sont déjà acceptées par la Commission de protection du territoire agricole du Québec. Triste façon de célébrer le 40e anniversaire de cette loi…

La bonne idée de M. Legault : rendre les villes moins dépendantes des revenus fonciers. À l’heure actuelle, une trop grande part de leurs revenus proviennent des nouvelles constructions. Cette course aux taxes foncières les incite à s’étaler. La CAQ propose de diversifier les recettes des municipalités en leur transférant un point de pourcentage de la taxe de vente. Toutefois, si on leur laisse en contrepartie toutes les recettes foncières, l’incitatif à l’étalement demeurera. Une nouvelle formule doit donc être trouvée.

Mais les mesures d’incitation et le statu quo ne suffiront pas. Il faudra aller plus loin. Avec des règlements et des lois pour bloquer l’étalement. 

Toronto a réussi à le faire en établissant une ceinture verte au nord et à l’ouest. Et en 2012, la Communauté métropolitaine de Montréal a fait un bon premier pas avec son Plan d’aménagement et de développement. Depuis, aucune terre agricole n’a été dézonée. Voilà un bon gain à partir duquel construire.

Ne pas dézoner une terre agricole est le minimum pour freiner l’étalement urbain. C’est nécessaire, mais non suffisant.

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Toronto par rapport à Montréal

37,5 % plus peuplé

29 % moins grand

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 % de la croissance démographique faite en banlieue, 2006-2016

Vancouver 71 %

Toronto 77 %

Montréal 83 %

Québec 97 %

Source : Conseil canadien d’urbanisme

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