Gary Kobinger

Les dessous d’un sauvetage audacieux

Été 2014. Au milieu de la pire épidémie d’Ebola de l’histoire, une nouvelle intrigante apparaît dans le flot de récits tragiques. Deux travailleurs de la santé américains qui ont contracté le virus en Afrique de l’Ouest sont déclarés guéris après qu’on leur a administré un médicament expérimental, le ZMapp, conçu en grande partie au Canada.

Le nom de Gary Kobinger, Québécois qui dirige le Programme des pathogènes spéciaux du Laboratoire national de microbiologie de Winnipeg, commence à circuler. Le microbiologiste a dirigé les équipes qui ont mis au point deux des trois composants actifs du ZMapp.

L’histoire du sauvetage des deux Américains a fait le tour du globe. Ce qu’on sait moins, c’est que Gary Kobinger avait transporté lui-même le ZMapp en Afrique dans trois flacons de plastique. Et qu’il avait pris l’initiative de fournir aux Américains ce produit qui n’avait jamais été testé sur les êtres humains… sans même obtenir l’autorisation de ses supérieurs de l’Agence de la santé publique du Canada.

« Normalement, j’aurais dû passer à travers tous les processus d’approbation. L’Agence aurait dû dire : oui, on approuve, ou non, on n’approuve pas. Mais je ne leur ai jamais donné l’occasion. Je les informais… mais sans que ça gêne le processus. Je ne voulais pas de délais », a révélé M. Kobinger à La Presse cette semaine, en marge d’une cérémonie pendant laquelle Radio-Canada lui a décerné le titre de scientifique de l’année 2015.

UNE DÉCISION DIFFICILE

Gary Kobinger, pourtant, n’avait jamais prévu administrer son médicament expérimental à des patients. Parti en Afrique de l’Ouest pour appuyer la lutte contre la fièvre Ebola, il l’avait apporté pour vérifier s’il résistait à la chaleur et aux conditions du terrain. Puis il a reçu un courriel de l’équipe médicale qui soignait Kent Brantly et Nancy Writebol, un médecin et une travailleuse américains infectés. Les Américains avaient appris que M. Kobinger trimballait avec lui un médicament qui s’était révélé efficace sur les singes. Et voulaient l’administrer aux malades.

La demande soulève d’immenses questions éthiques. Mais le chercheur avoue qu’il n’a pas le temps d’en faire le tour.

« On était dans le feu de l’action, on avait des collègues qui étaient malades, on n’avait jamais vu ça dans aucune épidémie par le passé. Notre priorité, si l’équipe clinique décidait d’utiliser un traitement expérimental, c’était de le leur procurer », a-t-il raconté.

« Ç’a été une décision très difficile. J’aurais pu me faire montrer du doigt si les gens étaient morts. » — Gary Kobinger

L’anecdote en dit long sur la personnalité de Gary Kobinger – un homme qui, après un séjour de dix ans à Winnipeg, retrouvera cet été la ville de Québec où il a grandi pour prendre les rênes du Centre de recherche en infectiologie de l’Université Laval.

« Je suis dur à gérer, je donne de la misère à mes boss, avoue le microbiologiste. Je sais qu’ils doivent manquer des heures de sommeil et se dire : “Gary Kobinger ! Qu’est-ce qu’il va encore nous faire la prochaine fois ?” »

Michel G. Bergeron, l’actuel directeur du Centre de recherche en infectiologie de l’Université Laval, cédera son siège en juillet à Gary Kobinger. Il est loin d’être inquiet de la personnalité de son successeur, qu’il a contribué à recruter.

« Gary, c’est un champion. Quand on est patron, il faut savoir prendre des décisions. Si tu demandes trop la permission, tu finis par ne rien faire. »

— Michel G. Bergeron 

Au-delà de la personnalité, M. Bergeron pointe les qualités de chercheur de Gary Kobinger. C’est que l’homme est aujourd’hui derrière non pas une, mais bien deux des armes les plus prometteuses contre l’Ebola. En plus du ZMapp, l’équipe de M. Kobinger a mis au point un vaccin, le VSV-EBOV, qui a déjà été qualifié de « très efficace » par l’Organisation mondiale de la santé. Les tests sur le médicament et le vaccin viennent de se terminer en Afrique de l’Ouest, la fin de l’épidémie empêchant de recruter des sujets. Les scientifiques évalueront maintenant si les données sont suffisantes pour démontrer l’efficacité des produits d’un point de vue statistique.

Pour M. Kobinger, ces avancées sont l’aboutissement de plus de 15 ans de recherches sur le virus Ebola.

« Gary est l’un des rares chercheurs qui part du fondamental pour aller jusqu’à l’appliqué », souligne Michel G. Bergeron.

GÉRER LA PEUR

En plus de travailler dans son laboratoire ultrasécurisé de Winnipeg, Gary Kobinger s’est aussi rendu une demi-douzaine de fois en Afrique de l’Ouest pendant la dernière épidémie d’Ebola. Non pas pour y tester ses médicaments expérimentaux, mais pour poser des diagnostics. Lui qui était pourtant un vétéran des épidémies d’Ebola admet que, cette fois, il a eu peur.

« Il faut utiliser la crainte pour faire les choses de la bonne façon et éviter de tourner les coins ronds », a-t-il dit à Yanick Villedieu, l’animateur de l’émission Les années lumière, dans une entrevue enregistrée jeudi dernier et qui a été diffusée hier sur ICI Radio-Canada Première.

« Il a vraiment à cœur le bien public. Quand il nous appelle de l’Afrique, on sent toute sa passion au téléphone. »

— La Dre Theresa Tam, sous-administratrice en chef de la santé publique du Canada

La Dre Tam est justement l’une des patronnes à qui M. Kobinger dit causer « de la misère ». Elle nie que l’homme soit difficile à gérer. L’incident du ZMapp fourni sans l’autorisation de l’Agence ?

« Je n’étais pas impliquée directement dans cette situation. Je crois qu’il faut comprendre que la situation était très tendue sur le terrain et que les décisions devaient être prises très rapidement », explique-t-elle.

La Dre Tam tient à souligner qu’il faut soupeser « très soigneusement » tous les aspects liés à la sécurité et l’éthique avant de traiter un patient.

« Au bout du compte, s’il y a eu des questions à propos de ce que Gary a fait, elles ont été résolues, conclut la Dre Tam. Nous avons continué à travailler avec Gary tout au long de la crise de l’Ebola. Qu’il s’agisse de cet incident ou d’autre chose, nous avons toujours réglé les situations. »

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