Opinion

Après Mégantic et Gênes, le pont de Québec ?

Lettre au ministre des Transports du Canada, Marc Garneau

Monsieur le ministre, « Il n’y a pas d’ingénieurs attitrés au Pont de Québec à Transports Canada », a répondu il y a deux ans une fonctionnaire au réputé physicien Michel Duguay. Celui-ci s’inquiète depuis trois ans de la sécurité du vieux Pont de Québec en fin de vie utile et mal entretenu.

Insistant pour obtenir au moins une déclaration signée d’un ingénieur dûment certifié de Transports Canada (TC) assurant de la sécurité du pont, M. Duguay s’est fait répondre qu’« il appartient aux compagnies de chemin de fer d’assurer la sécurité de leurs activités et, par conséquent, de veiller à ce que les ponts, dont ils sont responsables, […] ne comportent pas de défaillances techniques ».

En bref, l’entreprise privée, ici le CN, dont la mission première est d’assurer la rentabilité à ses actionnaires, est seule responsable de savoir si le pont va tenir ou pas.

Et Transports Canada qui, on ose l’espérer, devrait minimalement contre-vérifier les dires du CN, n’a pas de spécialistes et d’inspecteurs pour surveiller…

Voilà résumée en quelques phrases, l’ahurissante réalité de notre sécurité face à ces bombes à retardement qui passent dans nos cours. L’industrie ferroviaire contrôle tout, fait ses règles, ses normes et auto-surveille ses équipements et ses opérations, face au vide abyssal de l’État.

Exactement ce qui a causé la tragédie de Mégantic.

Il passe des milliers d’automobilistes sur ce vieux pont inauguré en 1919. De très lourds et longs convois de produits dangereux aussi, sur ce pont de métal qui n’a pas vu une couche de Tremclad, une peinture protectrice, depuis 1980. Quarante ans ! Est-ce que les rivets et la structure sont érodés par l’eau et le sel, comme le craint Michel Duguay ?

Les études et les experts cités par Duguay sont troublants. De tels ponts ont des durées de vie moyennes de 100 ans lorsqu’ils sont très bien entretenus. Ce n’est, à l’évidence, pas le cas chez nous. Pire, le Pont de Québec aurait le plus grand porte-à-faux au monde, entre ses piliers principaux. Un exploit technologique… en 1919 ! Quelqu’un a-t-il refait le calcul depuis ?

Les ponts tombent. Gênes, bien sûr, mais aussi, 15 jours avant Mégantic, un pont du CP était tombé à Calgary.

Duguay a-t-il tort ou raison ? Je ne sais pas, ce n’est pas mon expertise, c’est la vôtre, monsieur le ministre. Mais l’alarme est clairement allumée. Et cette fois, contrairement à Mégantic où toutes les alarmes étaient au rouge, il est encore temps d’éviter une tragédie sur le Pont de Québec, si tant est qu’elle se prépare. Pour cela, vous devez répondre clairement et de façon crédible aux questions des citoyens sur ce pont.

Pour l’instant, vos réponses relèvent d’un scénario bien huilé de camouflage. Vous nous renvoyez à la littérature de Transports Canada, définissant les « attentes » de TC face aux entreprises en matière de sécurité. J’ai lu le Manuel de référence sur la gestion de la sécurité des ponts. Je frémis. Chaque entreprise « devrait calculer la capacité de charge maximale de chacun de ses ponts. La capacité de charge est censée être la capacité de charge sécuritaire ». Franchement, monsieur le ministre, on l’espère !

Ensuite, vous nous renvoyez avec cynisme vers un cul-de-sac : une demande déposée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information qui sera forcément refusée – et vous le savez –, puisqu’elle implique une entreprise privée, la compagnie de chemin de fer.

Où sont les rapports d'inspection ?

Assez joué maintenant.

Monsieur le ministre, vous devez rendre publics, immédiatement et sans caviardage, tous les rapports d’inspection du Pont de Québec par Transports Canada. Et, tant qu’à faire, tous les autres rapports d’inspection de Transports Canada. Tous. C’est notre sécurité, notre vie et oui, notre argent qui sont en cause.

Et vous devez déclencher la fameuse commission d’enquête sur la tragédie de Lac-Mégantic réclamée par tous. Elle seule permettra de dévoiler le vrai fonctionnement de TC, ses relations avec les compagnies ferroviaires et leurs lobbies, la façon dont se font les règles, les lois, etc. Elle seule permettra de sauver des vies et de faire le ménage qui se doit.

Cette lettre est la première d’une série. Comptez sur moi pour recenser tous les incidents, poser toutes les questions nécessaires et vous rappeler votre imputabilité. L’objectif est d’obtenir, enfin, une véritable sécurité ferroviaire pour le peuple. Pas une free ride pour les entreprises.

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