Chronique

L’Oscar du pire Oscar

L’Academy of Motion Pictures Arts and Sciences, ou dans notre belle langue l’Académie des arts d’images en mouvement et des sciences, titre ronflant pour désigner la gang des Oscars, a décidé de renouveler la remise des plus prestigieux trophées du show-business.

Premièrement, on veut faire plus court. Bonne idée. Le dernier gala a duré quatre heures. Quatre heures, c’est seize minutes de plus que le film Ben-Hur, c’est deux semaines de District 31, c’est la durée du discours de Jean-François Lisée, le soir de sa victoire à la direction du Parti québécois.

On veut ramener ça à trois heures, mais sans réduire le nombre de récompenses : on va tout simplement remettre les Oscars moins glamour durant les pauses publicitaires. Ça veut dire que le réalisateur du meilleur documentaire Super Size Me pourrait recevoir son prix durant une annonce de McDonald’s. On n’arrête pas l’argent. Il risque d’y avoir deux codes vestimentaires. Les nommés dans les catégories en ondes, très chics et bien coiffés, et les nommés dans les catégories durant les pauses, en mou et cheveux gras. Pourquoi se forcer, puisqu’on ne nous verra pas ? 

Je connais des gagnants qui vont se traîner les pieds pour se rendre sur la scène, en espérant que la pub soit terminée, quand ils vont être en train de faire leurs remerciements.

Deuxièmement, on veut faire plus tôt. À compter de 2020 (je sais, c’est fou, on est presque déjà rendus là, mais ça, c’est une autre histoire), le gala aura lieu début février, plus tôt que fin février ou début mars. On veut que l’événement arrive moins tard dans la saison des récompenses, comme les Golden Globes ont lieu début janvier. Pas de problème avec ça. Pourvu que ce ne soit pas en même temps que le Super Bowl. C’est sûr que si le tapis rouge avait lieu à Montréal, début février, ce n’est pas recommandé, mais puisque le défilé de stars a lieu à Los Angeles, les vedettes ne devront pas cacher leurs jolies toilettes sous un Kanuk.

Troisièmement, on veut faire plus pop. L’Académie va créer une nouvelle catégorie intitulée « Outstanding achievement in a popular film » (réussite exceptionnelle pour un film populaire). Quoi ? Qu’est-ce que cette catégorie bâtarde ? Pourquoi pas « l’Oscar du film qui fait beaucoup de cash au box-office et que l’Académie doit souligner pour aider les cotes d’écoute du gala » ? Ce serait plus franc.

Cette catégorie est insultante pour tout le monde. Réussite exceptionnelle pour un film populaire. Comme si c’était exceptionnel qu’un film populaire puisse correspondre aux standards de qualité exigés par l’Académie. Au fond, dans la tête des Académiciens, c’est l’Oscar du moins pire film populaire. Pourquoi toujours vouloir opposer qualité artistique et quantité d’entrées ? Un vrai grand film allie les deux.

Durant des années, le gagnant de l’Oscar du film de l’année était aussi un film populaire. Pensons seulement à Ben-Hur en 1960, La mélodie du bonheur en 1966, Le parrain en 1973, Rocky en 1977, Kramer vs. Kramer en 1980, Forrest Gump en 1995, Titanic en 1998. Ces films n’ont pas eu besoin d’une catégorie spéciale pour être reconnus par leurs pairs.

En créant l’Oscar de l’Outstanding achievement in a popular film, l’Académie est en train de créer un prix de consolation. Vous n’êtes pas assez bon pour l’Oscar du meilleur film, alors prenez ça. C’est un sous-Oscar.

L’Académie, en plus, enlève du prestige à l’Oscar du meilleur film. Il en fait un prix pour les initiés. Ce n’est plus le seul meilleur film de l’année. Il y a maintenant deux films de l’année : le film populaire de l’année et le film pas populaire de l’année. Bref, c’est du grand n’importe quoi.

Quand tu t’appelles l’Academy of Motion Pictures Arts and Sciences, on comprend que tu ne récompenses pas Fast and Furious 8. Pas besoin de faire des pirouettes pour plaire à tout le monde.

Au lieu de créer deux catégories, mettant en opposition succès populaire et succès critique, qu’Hollywood se remette à faire du grand cinéma rassembleur. En ce moment, c’est l’un ou l’autre. Il y a les films à faire du cash et les films à festival. Jumanji ou le dernier Guillermo del Toro, la forme de Dwayne Johnson ou La forme de l’eau. L’industrie veut des dollars ou des prix. Tout est catégorisé. Les films pour ados, les films pour baby-boomers, les films pour la génération X, les films de filles, les films de gars… Peut-on faire des films pour le monde ?

Ça fait combien de temps qu’un beau lundi matin, autour de la machine à café, vous avez parlé d’un film américain ? Vous avez souvent parlé des séries sur Netflix, mais d’un film, un vrai bon film qui rallie ou qui questionne, comme Vol au-dessus d’un nid de coucou, Braveheart ou American Beauty ?

Il faut cesser de cloisonner. Il faut laisser les créateurs créer. Sortir des balises. Inventer. Réinventer. Et parfois l’Oscar ira à un film populaire comme Gladiator, et parfois l’Oscar ira à un film moins couru comme Moonlight. Plus la catégorie est large, plus l’accomplissement est grand. Il n’y a pas de mérite pour un film de superhéros de gagner dans la catégorie du film de superhéros. Ce n’est pas très héroïque.

Si le sport était géré comme les Oscars, il y aurait 31 coupes Stanley. Il y aurait même une coupe Stanley pour l’équipe avec la moins bonne attitude. Go Habs Go ! Il y a une seule coupe Stanley, comme il ne doit y avoir qu’un seul Oscar du meilleur film.

Bref, l’Oscar de la fausse bonne idée revient à ceux qui ont pensé à l’Oscar de la réussite exceptionnelle pour un film populaire.

Sur ce, on n’en parlera pas durant quatre heures, vous avez autre chose à faire et moi aussi, bon soleil !

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