Chronique

Pas islamophobe, mais…

Depuis que la crise des réfugiés syriens fait les manchettes, je ne compte plus le nombre de messages ouvertement islamophobes que je reçois. « Ces gens-là » ne peuvent pas s’intégrer en Occident. On n’en veut pas. Ils font semblant d’être des réfugiés. Ils veulent nous envahir. Tant pis pour eux s’ils vivent la pire catastrophe humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale…

Je pourrais publier un florilège de tous les doux messages que je reçois. Je ne le ferai pas. Cette chronique n’est pas une poubelle.

Est-ce à dire que le Québec est une société xénophobe ? Non. Je ne crois pas que l’on soit plus xénophobe ici qu’ailleurs. Au palmarès des sociétés où il est le plus facile d’être un étranger, je dirais même que ce pays, malgré ses défauts et ses dérives, reste dans le peloton de tête. Mais pour combien de temps ?

Ce qui m’inquiète toujours, c’est lorsque des élites exploitent à des fins politiques la xénophobie, la banalisent ou l’encouragent. C’est pour cette raison que j’étais heureuse de voir cette semaine l’Assemblée nationale adopter à l’unanimité une motion de Françoise David dénonçant les appels à la haine à l’égard des Québécois de confession musulmane, en dépit des réticences de certains à employer le mot « islamophobe ».

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L’« islamophobie » est définie dans le Larousse comme une « hostilité envers l’islam, les musulmans ». Mais dans l’esprit de certains, ce ne serait qu’une ruse utilisée par les islamistes et leurs complices pour museler leurs opposants.

Il est vrai que le concept d’islamophobie est utilisé de façon pernicieuse par des islamistes pour faire taire toute critique. Des gens qui sont eux-mêmes bien mal placés pour donner des leçons de tolérance. De là à conclure que l’islamophobie n’existe pas, que tous ceux qui la dénoncent sont complices des extrémistes ou des cracheurs de haine à leur façon, il y a un pas que je ne franchis pas.

On peut très bien être à la fois contre l’islamophobie et contre l’islamisme. L’un n’exclut pas l’autre.

Il ne s’agit ici ni de défendre l’islam ni de le pourfendre. « Vouloir incriminer l’islam ou, au contraire, chercher à le dédouaner sont deux postures qui conduisent à une impasse », note avec justesse le politologue français Olivier Roy dans La peur de l’islam*.

Dans ce petit livre d’entretiens fort éclairant, Roy récuse le discours dominant selon lequel le musulman serait par essence impossible à intégrer, « porteur d’un logiciel coranique implanté dans son subconscient qui le rendrait, même modéré, inassimilable, à moins, bien sûr, de proclamer haut et fort sa conversion publique à un improbable islam libéral, féministe et gay-friendly, si possible sur un plateau de télé sous les coups d’un journaliste pugnace et intransigeant ».

Roy récuse tout autant le discours minoritaire de musulmans progressistes et de la mouvance antiraciste qui considèrent que l’islamophobie est seule responsable de la radicalisation des jeunes. C’est oublier que les jeunes radicalisés ne sont en rien les porte-parole des frustrations de la population musulmane, souligne le politologue. Ces jeunes pratiquent l’autoradicalisation sur l’internet. Ils ne cherchent pas à islamiser la société, mais à réaliser un « fantasme d’héroïsme malsain ». Ils sont en rupture tant avec l’islam des sociétés musulmanes qu’avec celui de leur famille. Ce sont d’ailleurs leurs propres parents qui les dénoncent à la police.

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Est-ce islamophobe de critiquer l’islam ou de militer pour la laïcité ? Est-ce haineux de critiquer les religions ou d’en rire ? demandent certains. Non. Ce n’est pas de cela qu’il est question.

L’islamophobie est aux musulmans ce que l’antisémitisme est aux juifs. Une attitude d’hostilité utilisée pour justifier des mesures discriminatoires.

L’islamophobie, c’est lorsqu’on traite des réfugiés en détresse comme des sous-humains s’ils ont le malheur d’être musulmans. C’est lorsqu’un aspirant à la présidence des États-Unis promet de les renvoyer dans leur pays en laissant entendre qu’ils sont des terroristes. C’est lorsqu’un petit garçon texan qui s’appelle Ahmed est menotté et soupçonné de terrorisme parce qu’il a eu le génie de fabriquer une horloge. C’est lorsqu’une femme musulmane enceinte peut se faire agresser et arracher son voile dans la rue et que cela ne provoque qu’un haussement d’épaules. C’est lorsque de plus en plus de gens se sentent autorisés à manifester dans les réseaux sociaux leur haine des musulmans. C’est lorsque, devant deux CV parfaitement identiques, l’un envoyé sous le nom de « Mohamed » et l’autre sous le nom de « François », l’employeur dit à Mohamed que ce ne sera pas possible, mais convoque immédiatement François en entrevue.

On peut parler d’« islamophobie ». On peut juste parler de « haine » et de « bêtise », aussi. Quel que soit le mot utilisé, le plus inquiétant, ce n’est pas le mot, mais l’attitude hideuse qu’il désigne. Une attitude qu’il ne faut jamais banaliser.

* Olivier Roy, La peur de l’islam. Dialogues avec Nicolas Truong, Le Monde/Éditions de l’Aube, 2015.

EXTRAITS DE LA MOTION PRÉSENTÉE PAR FRANÇOISE DAVID, DÉPUTÉE DE QUÉBEC SOLIDAIRE

« Que l’Assemblée nationale prenne acte des nombreuses déclarations inappropriées faites à l’encontre des réfugié-e-s syriens ;

Qu’elle s’inquiète de l’augmentation des vidéos et déclarations à caractère islamophobe et raciste qui fusent sur les réseaux sociaux ;

Que l’Assemblée nationale affirme que les Québécoises et les Québécois de confession musulmane sont des citoyens à part entière et que cette Assemblée condamne sans réserve les appels à la haine et à la violence contre tous les citoyens du Québec. »

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