OPINION  JACQUES PARIZEAU 1930-2015

Un « grand »... tout court

Jacques Parizeau a été un grand économiste, un grand bâtisseur de l’État et un passionné du Québec et de son destin

Au XXe siècle, plusieurs États ont bénéficié de l’influence politique de leurs grands économistes. Les Suédois ont eu Gunnar Myrdal ; les Anglais, John Maynard Keynes ; les Français, Raymond Barre et Jacques Delors ; les Américains, Ken Galbraith et Paul Samuelson. Les Québécois ont eu Jacques Parizeau.

Dans la vie humaine, les années d’études sont toujours déterminantes. Dès après la Seconde Guerre mondiale, Parizeau fut formé au Québec à l’école nationaliste d’Esdras Minville et François-Albert Angers; en France, à l’école sociale de François Perroux; et en Angleterre, à l’école keynésienne de James Meade. À cette époque, l’Occident redéfinissait les rapports entre l’État et l’économie. Il fallait stabiliser l’économie (« jamais plus la Grande Dépression des années 30 »), protéger les gens (l’État se fit providence), appuyer le développement (sociétés d’État et fiscalité), et combattre les égoïsmes nationaux, sources de conflits mondiaux (GATT et Marché commun européen). Au Québec, il fallait combler le « retard économique des Canadiens français », et l’État était le seul levier dont nous disposions pour réaliser cet objectif.

À 30 ans, Jacques Parizeau était fin prêt à jouer un rôle de bâtisseur d’État. Il en fut un grand, au Québec et pour le Québec.

De 1960 à 1970, sous les premiers ministres Lesage, Johnson et Bertrand, l’influence du professeur Parizeau comme conseiller en matière économique fut énorme.

Elle s’exerça dans la plupart des décisions qui façonnèrent la Révolution tranquille : assurance hospitalisation, nationalisation de l’électricité (Hydro-Québec), révolution scolaire, laïcisation des réseaux de la santé et de l’éducation, valorisation de la fonction publique, récupération de programmes et de ressources fiscales d’Ottawa, allocations familiales, Régime de rentes, Caisse de dépôt et autres sociétés d’État (SGF, Sidbec, etc.), syndicalisation du secteur public, assurance maladie, etc. Le Québec se construisit un vrai gouvernement. Parizeau en fut un artisan de première ligne.

Néanmoins, en bon diplômé de l’école des Hautes études commerciales, il comprit assez vite que ce n’est pas en faisant raffiner du sucre ou produire de l’acier par des sociétés d’État qu’on favoriserait la conversion industrielle de l’économie québécoise et son accession à la maturité. Il fallait plutôt accélérer le développement de nouveaux entrepreneurs locaux dynamiques et compétents, capables de prendre la relève de la vieille élite anglo-saxonne qui avait fui vers Toronto. Comme ministre des Finances, de 1976 à 1984, Parizeau employa à cette fin toute une batterie de moyens pour faciliter le financement de l’entreprise québécoise, tels l’aide des sociétés financières publiques (Caisse de dépôt, SGF, SDI, etc.), le Régime d’épargne-actions et les fonds fiscalisés (Fonds de solidarité FTQ, etc.).

Ainsi naquit Québec inc., préparé certes par la révolution éducative, mais également soutenu par la politique financière de Parizeau. Lorsqu’en 1984, le premier ministre Lévesque annonça l’adhésion du Québec à l’idée de libre-échange avec les États-Unis, Parizeau l’appuya sans hésiter. Lévesque et lui savaient d’instinct qu’en économie, comme dans le sport, on ne parvient au sommet qu’en affrontant les meilleurs au monde. En foutant le libre-échange entre les dents de Québec inc., on condamnait les entrepreneurs québécois à exceller à l’échelle mondial. Mais recherchant l’équilibre, Parizeau a toujours insisté pour que la souveraineté de l’État ait préséance sur la liberté d’investir des entreprises transnationales.

DES ERREURS

On ne peut toucher à tout sans se tromper quelques fois. Parizeau fut dans l’erreur lorsqu’il appuya momentanément la filière nucléaire au début des années 70 ; lorsqu’il nationalisa inutilement l’amiante en 1978 ; et lorsqu’il fit enregistrer au Québec son plus lourd déficit budgétaire de l’histoire à la veille du référendum de 1980. Il se racheta en 1983 en mettant au pas les égoïsmes syndicaux qui menaçaient l’intégrité financière de l’État au creux de la pire récession essuyée par le Québec depuis la Grande Dépression des années 30.

Mais s’il fut vilipendé par la gauche pour les coupes de salaires de 1983 et pour son adhésion au libre-échange, il fut aussi détesté par la droite qui n’apprécia jamais sa propension, jugée excessive, à faire intervenir l’État dans l’économie. La vérité est que Parizeau était keynésien jusqu’au bout des ongles. À ses yeux, tout comme pour Keynes, le capitalisme était sans contredit le meilleur des systèmes économiques (ou plutôt le moins mauvais). Mais pour que ce système fonctionne de manière acceptable, il était impératif, d’une part, que ses acteurs fussent rigoureusement soumis à la discipline de la concurrence et, d’autre part, que l’État combattît vigoureusement les calamités qui l’accompagnaient : le chômage, la pauvreté, les inégalités et les égoïsmes corporatistes. On touche ici à la quintessence de la social-démocratie.

Parizeau fut un grand économiste, un grand bâtisseur de l’État, un grand modernisateur de l’économie, un grand social-démocrate, un homme d’honneur et de cœur, un passionné du Québec et de son destin. Un grand tout court.

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