L’actualité expliquée

Pourquoi les avions sont-ils surréservés  ?

Trois millions de passagers refoulés chaque année dans le monde. C’est l’impact de la surréservation des avions, ce phénomène mal connu et révélé cette semaine par l’expulsion musclée d’un passager de United Airlines. Pendant que le commun des mortels s’indigne, l’industrie assure que cette pratique est nécessaire. Le point.

D’où vient cette curieuse idée de vendre plus de billets que de sièges dans un avion  ?

En plus d’un siècle de liaisons aériennes, les transporteurs ont compris une chose cruciale : beaucoup de passagers ne se présentent pas pour prendre leur avion. Le taux de défection est très variable selon la saison, la destination, l’heure ou même la date d’achat du billet, mais on estime qu’il varie entre 2 et 10 %. 

En tenant compte de toutes ces variables avec des logiciels sophistiqués ou avec du flair, les transporteurs aériens essaient de prédire combien de sièges vendus sont en réalité libres. Et vont donc souvent se retrouver à vendre plus de billets que de sièges pour les vols très populaires. 

« La plupart des compagnies le font, c’est une bonne pratique de gestion, estime Jacques Roy, professeur à HEC Montréal. Si on ne le fait pas, on se retrouve statistiquement avec des sièges vides et des revenus perdus. »

Oui, mais ceux qui ne se présentent pas ont déjà payé leur billet… Quel est le dommage subi par le transporteur dans ce cas  ?

C’est vrai dans les cas classiques où vous avez acheté un billet non remboursable en classe économique, que vous avez changé d’avis ou êtes en retard pour votre vol. Remarquez que même dans ce cas, le transporteur se retrouve avec un siège vide dont il pourrait tirer profit. 

Mais là où ça fait réellement mal, c’est quand il s’agit de billets flexibles ou qui comportent une forme d’assurance que vous pouvez annuler sans pénalité. Même résultat si vous ratez votre correspondance parce que l’avion précédent était en retard : le transporteur doit vous replacer à ses frais. 

« Les compagnies tiennent des historiques sur les correspondances. Elles savent par exemple qu’en hiver, les conditions météo influent sur le taux d’assiduité, qui n’est pratiquement jamais à 100 % », explique Michel Archambault, professeur en tourisme et fondateur de la chaire de tourisme Transat de l’UQAM.

« L’idée, c’est de maximiser les revenus : on vit dans un monde où on recherche les profits », rappelle M. Roy.

Les compagnies doivent se faire prendre de temps en temps avec plus de passagers que de sièges…

Souvent, même, et c’est un risque qui entre dans les calculs. On tente de trouver l’équilibre entre les revenus supplémentaires alléchants et les compensations aux passagers qu’il faudra verser. 

Les statistiques à ce sujet sont malheureusement inexistantes au Canada, mais aux États-Unis, on estime qu’on a refusé l’embarquement à 552 000 passagers en 2015 pour cette raison – 3 millions si on extrapole cette statistique au monde entier. L’écrasante majorité aux États-Unis ont accepté volontairement une compensation et pris un autre vol, 46 000 ont dû y être forcés. Si le chiffre semble élevé, il ne concerne que 0,09 % des 613 millions de passagers annuels aux États-Unis.

Fait à noter, l’industrie aérienne est la seule à recourir à cette pratique. On imagine mal des organisateurs de spectacles, des agences de location de voiture ou des hôteliers recourir avec une telle constance à la surréservation.

Et ça marche, ce système unique en son genre  ?

Étonnamment bien, et il y a une belle unanimité à ce sujet, tant du côté de l’industrie que de nos experts. 

D’abord, le taux d’occupation à bord des avions a grimpé presque partout dans le monde, et la surréservation en est en partie responsable. Chez Air Canada, il est ainsi passé de 68,6 à 82,5 % en 15 ans. 

Mais ce sont aussi les consommateurs qui en profitent, soulignent nos deux professeurs. « Enlevez la surréservation, et c’est clair que vous allez avoir une hausse du prix des billets d’avion, surtout dans les classes économiques », dit Jacques Roy. 

Et n’oublions pas les compensations que les compagnies aériennes sont obligées d’offrir, qui peuvent aller jusqu’à 1732 $ aux États-Unis, 800 $ en Europe. « Ensuite arrivent tous les bonbons qu’on est prêt à offrir pour que les passagers prennent l’avion suivant : hôtel gratuit, surclassement en classe affaires, précise le professeur des HEC. La plupart du temps, on trouve des volontaires et tout se passe bien. Il y a même des passagers qui en font quasiment une profession, c’est très commun ! »

Pourquoi sent-on la grogne des consommateurs depuis une semaine, si tout va si bien  ?

D’abord parce que la pratique, tout à fait légale, peut être très désagréable à subir. « Ça ne m’est jamais arrivé, mais j’imagine que je serais plutôt en colère », admet Jacques Roy. La récente controverse aux États-Unis a également rappelé qu’il n’existe aucune réglementation uniforme au Canada : les seules normes ont été imposées à Air Canada en 2013 par l’Office des transports du Canada après un litige avec un passager. 

Le ministre des Transports Marc Garneau a promis de déposer ce printemps une « charte des droits des voyageurs » qui définirait les dédommagements en cas de surréservation et de perte de bagages. Et qui interdirait aux compagnies aériennes d’arracher un passager de son siège parce qu’elles ont vendu trop de billets.

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