MOTS INTERDITS À L’ASSEMBLÉE NATIONALE

« Gérald Tremblay » et « Capitaine Bonhomme » mis à l’index

Comparer un adversaire à Gérald Tremblay ou encore le traiter de Capitaine Bonhomme est désormais interdit à l’Assemblée nationale. Onze mots ou expressions ont été mis à l’index au cours de la dernière session. Résultat : il y a maintenant 350 entrées dans le fameux lexique des « propos non parlementaires ». Voici notre traditionnel compte rendu, qui offre un retour sur les controverses ayant ponctué les derniers mois.

Mots interdits à l’Assemblée nationale

En vrac

« Le premier ministre nous parle de séparation des pouvoirs. Nulle part ce n’est écrit que l’exécutif a le droit de déposer des FAUX DOCUMENTS auprès des parlementaires, au nom de la séparation des pouvoirs. Ça n’existe pas. »

— Bernard Drainville, le 1er juin

« Le premier ministre a déposé à l’Assemblée nationale des documents tronqués sans donner aucune explication par la suite, sans aucune conséquence non plus pour qui que ce soit. C’est extrêmement grave, c’est inacceptable, monsieur le président. Le premier ministre A TOUT FAIT POUR NE PAS SAVOIR ET POUR NE PAS QUE LA POPULATION SACHE. » 

— Le chef intérimaire du PQ, Sylvain Gaudreault, le 9 juin

« La MÉCONNAISSANCE CRASSE de la ministre de l’Immigration de notre programme me donne à penser que la ministre de l’Immigration devrait le lire du début à la fin avant de le commenter. Ce serait souhaitable pour la bonne conduite des débats »

— Le député caquiste Éric Caire, le 16 mars

Mots interdits à l’Assemblée nationale

« Ponce Pilate »

La crise aux Transports, Philippe Couillard s’en lave les mains, a accusé le chef de la CAQ, François Legault, le 18 mai. Dans le but d’esquiver ses questions, M. Couillard affirmait que la sous-ministre Dominique Savoie est « sous la responsabilité » du titulaire des Transports. « Je sais qu’on a un premier ministre qui aime jouer à Ponce Pilate, mais c’est lui qui nomme les sous-ministres ! », a répliqué M. Legault. Jacques Chagnon a bondi : « Je vais vous demander de retirer vos derniers propos. » M. Legault s’est exécuté, réclamant la tête de Dominique Savoie par la suite. Philippe Couillard a plaidé que « la titulaire actuelle du poste de sous-ministre aux Transports est une des hauts fonctionnaires les plus respectés de l’administration publique du Québec » et qu’aucune information ne justifie son départ. Or, dès le lendemain, M. Couillard a démis Mme Savoie de ses fonctions.

Mots interdits à l’Assemblée nationale

« Odeur de corruption »

Le printemps dernier, le Parti libéral a refusé de rembourser 3500 $ en dons illégaux malgré une demande du Directeur général des élections (DGE). Il n’y a rien d’anormal dans ce refus, puisque le délai de prescription est expiré, a expliqué la ministre responsable des Institutions démocratiques, Rita de Santis. Les dons ont été faits en 2009, plus de cinq ans avant la découverte des irrégularités par le DGE. Ils ont été versés par deux sociétés appartenant alors à Tony Accurso par l’intermédiaire de prête-noms. « Le Parti libéral, peu importe le chef, demeure ce même Parti libéral qui a des problèmes avec l’éthique, et force est d’admettre qu’on doit, aujourd’hui, donner raison à la ministre de l’Économie lorsqu’elle mentionnait : il y a comme une odeur de corruption au Parti libéral », a soutenu le caquiste Benoit Charrette le 8 juin. Cette ministre est Dominique Anglade. Elle avait tenu ces propos à l’époque où elle était à la CAQ, en 2012. M. Charrette a fait son fin finaud quand le président lui a demandé de s’amender. « C’est une citation, et je ne peux malheureusement pas retirer les propos de la ministre », a-t-il dit. « Vous les retirez ! », a insisté M. Chagnon, ce qui a été fait. Le PLQ s’est engagé à rembourser les dons illégaux par la suite.

Mots interdits à l’Assemblée nationale

« SYNDROME GÉRALD TREMBLAY »

La crise au ministère des Transports du Québec (MTQ) est la source de bien des ajouts au dictionnaire des mots maudits de l’Assemblée. Ç’a été le cas le 19 mai. Le député caquiste François Bonnardel a utilisé le nom d’un ancien maire de Montréal pour qualifier l’attitude de Philippe Couillard dans le dossier. Ce dernier disait avoir appris dans les médias le contenu de la lettre de démission de l’agente de renseignements Annie Trudel, embauchée par Robert Poëti alors qu’il était à la tête des Transports. « Monsieur le premier ministre, êtes-vous atteint du syndrome Gérald Tremblay : je ne le savais pas ? », a lancé M. Bonnardel. Le président Jacques Chagnon a jugé ces propos « blessants ».

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Quadruple faute signée Éric Caire

Fait rare, un député a dû retirer pas moins de quatre expressions utilisées au cours de la même séance. L’« exploit » revient au caquiste Éric Caire, qui était en verve le 9 juin. Au cœur du débat se trouvait le rapport d’une vérificatrice du MTQ, Louise Boily, qui avait été selon elle falsifié par le Ministère avant d’être remis à l’Assemblée nationale et à l’UPAC. M. Caire a reproché au ministre Jacques Daoust d’avoir d’abord expliqué les différences entre le rapport original et le « faux » par des erreurs de pagination. « Il invente des raisons pour avoir trompé l’Assemblée nationale », a accusé le caquiste. « Est-ce que vous pourriez retirer votre dernier propos et reprendre la conclusion de votre question ? », a demandé Jacques Chagnon. M. Caire a fait une autre proposition : « Induit en erreur ? » « Ce n’est pas mieux, lui a répondu le président. Réessayez-vous une deuxième fois, mais une dernière fois. » « A essayé de mêler tout le monde ? », a tenté le député. Exaspéré, Jacques Chagnon a demandé à l’incorrigible élu de s’amender sans autre suggestion. Mais M. Caire a récidivé en se demandant si le ministre Daoust avait fait preuve « de négligence ou de complicité » dans cette affaire. Jacques Chagnon a demandé « encore une fois » au caquiste de retirer ses paroles…

Mots interdits à l’Assemblée nationale

« Roi du sophisme »

Le député péquiste Jean-François Lisée a épousé la cause du groupe Parents jusqu’au bout, qui réclamait un meilleur soutien financier de l’État pour les familles ayant un enfant lourdement handicapé. Le 14 avril, il a soutenu que leurs demandes coûteraient 49 millions par an pour les 2000 parents concernés. Mais « le ministre a fait semblant que la demande s’appliquerait à 1 million d’aidants naturels et que la facture monterait à 42 milliards par an, a-t-il déploré. Il invente des chiffres absurdes ». Le « ministre », c’était Gaétan Barrette, qui n’a pas manqué de répliquer : « Tout le monde comprend la mécanique oratoire utilisée par le roi du sophisme ! » Jacques Chagnon est intervenu, au déplaisir du ministre… « Je suis désolé de constater qu’en cette auguste Assemblée l’histoire de l’Antiquité et de l’humanité soit devenue non parlementaire, mais je vais le retirer, monsieur le président, pour le bénéfice de notre éthique collective. »

Mots interdits à l’Assemblée nationale

Pas de « diarrhée verbale » à Ottawa

La Chambre des communes a adopté une approche différente et évité de dresser une liste formelle de mots à l’index. « La codification du langage non parlementaire s’est révélée impossible, car c’est du contexte dans lequel les mots ou phrases sont utilisés que la présidence doit tenir compte lorsqu’elle décide s’ils devraient ou non être retirés », explique-t-on dans l’ouvrage de référence La procédure et les usages de la Chambre des communes. Le livre Jurisprudence parlementaire d’Arthur Beauchesne recense quelques exemples d’expressions jugées non parlementaires ou qui ont poussé le président à intervenir entre 1875 et 1985. Elles incluent : fier-à-bras politique, partisan servile du gouvernement, honorable seulement par courtoisie, ignorant, imbécile, menteur, démagogue, idiot, nazi, putasser, ma belle (baby), bâtards, bullshit, cochon, souteneur, ordure, ignoble individu, fieffé menteur, minable et diarrhée verbale. 

— Avec Hugo de Grandpré, La Presse

Mots interdits à l’Assemblée nationale

« Capitaine Bonhomme »

François Legault en avait assez que Philippe Couillard ne réponde pas à ses questions entourant l’abandon de la poursuite du gouvernement contre Air Canada dans le dossier Aveos. C’était en échange de l’engagement du transporteur aérien d’entretenir à Montréal les avions de la C Series de Bombardier. « Je répète ma question : combien d’employés Air Canada va s’engager à embaucher au Québec ? Je pose la question au premier ministre, pas au Capitaine Bonhomme, au premier ministre ! », a tonné le chef caquiste le 23 février. Mais pour le président Jacques Chagnon, « ce n’est pas une bonne idée que de se comparer les uns les autres avec des personnages de la télévision d’il y a très longtemps ». « Ça fait que je vous demanderais strictement de retirer le dernier terme. »

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