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Table ronde :  Existe-t-il une « écriture féminine » ?

14 h 45, à l’Espace Archambault

La Presse

EXTRAIT

Sœurs volées. Enquête sur un féminicide au Canada, d’Emmanuelle Walter

« Connie Greyeyes. Son récit était stupéfiant. Peu d’entre nous peuvent dire qu’ils ont connu personnellement 11 personnes assassinées ou disparues. Être Connie, c’est comme vivre en temps de guerre et voir disparaître et mourir des proches, des êtres chers, des connaissances : c’est vivre avec la peur au ventre.

Ainsi, elles disparaissent ; ainsi elles meurent. Les femmes et les filles autochtones sont des funambules qui avancent sans filet. La violence familiale, la violence dans les communautés, la violence de la rue, la violence sexuelle, la violence raciste, toutes les violences sont susceptibles de s’abattre sur elles et de les faire tomber. »

ESSAI EMMANUELLE WALTER

Sœurs violées

Sœurs volées. Enquête sur un féminicide au Canada

Emmanuelle Walter

Lux Éditeur, 219 pages

Depuis 1980, près de 1200 femmes autochtones ont été tuées ou sont disparues au Canada. Ce fait méconnu et troublant obsède la journaliste Emmanuelle Walter depuis des années. Elle en a tiré un livre touchant, Sœurs volées.

C’est un hasard si Sœurs volées. Enquête sur un féminicide au Canada sort dans la foulée de l’affaire Ghomeshi et des dénonciations qui ont suivi. Emmanuelle Walter travaille sur l’assassinat et les disparitions de femmes autochtones depuis plusieurs années.

Le livre se loge tout de même au centre du débat. Toutes proportions gardées, les 1200 disparitions de femmes autochtones au pays représenteraient l’équivalent de 7000 victimes chez les Québécoises. Ce qui fait dire à l’auteure que l’on fait face à un féminicide trouvant sa source dans une réalité coloniale.

« La Loi sur les Indiens a détruit le statut des femmes autochtones au sein de leurs communautés qui, au départ, étaient égalitaires, au sens de respect et de pouvoir, dit-elle. La misogynie patriarcale européenne a contaminé les hommes autochtones. On a créé un machisme autochtone qui n’existait pas. »

La discrimination basée sur le mariage et les pensionnats autochtones ont poursuivi la désagrégation. Puis, le silence. Une lourde chape de plomb cachant des abus et des violences. Et, contrairement à certains préjugés tenaces, il ne s’agit pas d’un problème strictement autochtone, mais socioéconomique.

« Dans certaines communautés, dit l’auteure, de 50 à 75  % des femmes ont été agressées sexuellement, mais c’est une grosse erreur de dire qu’il ne s’agit que de violence domestique dans le cas des disparitions. »

« Les femmes autochtones sont tuées parce qu’elles vivent dans des quartiers pauvres et violents, qu’elles soient en réserve ou pas. C’est un problème social. Ce sont des femmes en danger en permanence. »

On ne peut négliger non plus le scandale des pensionnats autochtones, qui a eu un impact important.

« Ça fait 20 ans que je suis journaliste et je n’ai jamais rien vu de tel, confie-t-elle. On ne peut pas comprendre la transmission des traumatismes de génération en génération si on ne connaît pas cette histoire et si on n’écoute pas les témoignages. Les enfants et les petits-enfants de ces victimes ne peuvent pas être en santé. Ils sont détruits psychiquement. »

Les communautés autochtones, selon elle, ont donc été l’objet d’une série d’écrasements et de destructions au fil du temps et ce sont les femmes qui en souffrent le plus. « Elles meurent parce qu’elles sont des femmes », avance-t-elle.

MAISY ET SHANNON

Sœurs volées n’est pas pour autant une thèse ou un pamphlet. Au contraire. L’enquête est écrite au « je ». Elle suit essentiellement, et avec beaucoup d’émotion, l’histoire de deux jeunes Québécoises disparues en 2008, Maisy Odjick et Shannon Alexander, aux alentours de Maniwaki.

« Dans cette affaire, note-t-elle, les deux corps policiers, autochtone et québécois, ont mal fait leur travail, en ne se parlant pas notamment. Mais chacun considère qu’il a fait ce qu’il a pu avec les moyens à sa disposition. »

Le premier réflexe a été de penser à une fugue, puis c’est devenu une excuse… inexcusable. Ces deux ados normales étaient attachées à leur famille. Depuis six ans, les proches souffrent de leur absence, du moindre espoir et des trop nombreuses questions qui subsistent. Un mot : résilience.

« Laurie Odjick, la mère de Maisy, est incroyable, dit Mme Walter. Voilà la vie d’une femme canadienne qui veut vivre et rendre ses enfants heureux. J’ai envie de pleurer en parlant de ça. C’est beau. Elle a un désir fou qu’on parle de sa fille. »

BLOCAGE

Il y a pourtant un grand silence entourant les Autochtones et la disparition des femmes dans les médias et la société blanches. Un blocage, croit Emmanuelle Walter, qui dépasse le simple racisme.

« Il y a un inconscient colonial tellement puissant à ce sujet. Plusieurs personnes avec une conscience sociale forte bloquent complètement quand il est sujet des Autochtones. Ce blocage empêche d’aller au bout de la démarche et de renouveler les relations avec le monde autochtone. Le pouvoir autochtone ne peut être absous de tout reproche, mais est-ce une raison pour ne rien faire ? Si les mecs se mettent à tuer leur femme dans un village de Beauce, va-t-on dire qu’ils n’ont qu’à s’arranger avec leurs problèmes ? »

Comme dans bien d’autres domaines, la volonté politique prend, ici aussi, congé.

« Il y a des fonctionnaires aux Affaires indiennes qui font du très bon travail et qui sont sensibles aux problèmes des femmes autochtones. Le problème est une question de volonté politique. Il faut de l’acuité et de la précision pour soigner ces problèmes. Ça ne sert à rien d’éparpiller les fonds tant qu’il n’y aura pas une vision scientifique. Ce qui se fait en ce moment ne marche pas. »

La clef, selon Emmanuelle Walter, c’est l’information et l’éducation pour rétablir des faits et reconstruire les liens. Le mouvement Idle no more, qui dénonce les abus de certains dirigeants autochtones, est une belle réussite, mais il reste du chemin à faire.

« Tant qu’on n’enseignera pas l’histoire autochtone au secondaire, il ne se passera rien. Du côté blanc, il faut lire, apprendre et comprendre. Je suis quand même optimiste. Je trouve que la jeunesse québécoise se montre plus ouverte. »

EN CHIFFRES

1181 femmes autochtones assassinées ou disparues depuis 1980 (Source : GRC)

23 % des femmes victimes de féminicide sont autochtones, alors qu’elles ne sont que 4 % : des femmes au Canada (Source : GRC)

46 femmes autochtones assassinées ou disparues au Québec entre 1980 et 2012, soit 3 % des victimes au Québec, alors qu’elles ne représentent que 1 % des femmes (Source : GRC)

23 000 signatures réclamant en vain une enquête nationale déposée le jour du meurtre de Loretta Saunders en février dernier. Cette jeune inuite écrivait une maîtrise sur les femmes autochtones disparues ou assassinées.

50 000 $ offerts immédiatement par Microsoft en 2008 pour retrouver un jeune fugueur accro à un jeu vidéo, alors que les proches de Maisy Odjick et de Shannon Alexander ont mis plusieurs mois pour amasser 20 000 $ afin de retrouver leurs filles.

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