On a réponse à tout… ou presque

Un peu de racisme avec votre café ?

Un dialogue (un brin) impertinent sur un enjeu d’actualité

Dimanche dernier, la chaîne de cafés Starbucks a lancé une campagne pour entamer une grande « conversation » à propos des relations raciales aux États-Unis. Mais ce qui se voulait une bonne idée s’est rapidement transformé en véritable cauchemar de relations publiques.

Voulez-vous bien m’expliquer le lien entre mon « triple grande latte » et les tensions raciales aux États-Unis ?

C’est le président de Starbucks, Howard Schultz, reconnu pour être un original, qui a eu l’idée du projet en décembre dernier. Il a d’abord organisé des rencontres d’employés au sein de son entreprise pour échanger sur la situation tendue aux États-Unis depuis la fusillade de Ferguson. Puis il a pensé que ce serait une bonne chose que les Américains échangent sur cette question dans toutes les succursales de Starbucks des États-Unis.

Ce n’est peut-être pas une si mauvaise idée de s’attaquer au racisme. Starbucks compte-t-il adopter un programme de discrimination positive destiné aux Noirs ?

Ce n’est pas tout à fait ça. À partir de maintenant, lorsque vous irez dans un Starbucks aux États-Unis, le barista pourra, s’il le souhaite, gribouiller sur votre tasse le mot-clic #RaceTogether à côté de votre prénom (qu’il a probablement mal épelé). Ce sera le signe qu’il veut discuter de relations raciales avec vous.

Mais je n’ai pas le temps de bavarder, moi ! Quand je vais chez Starbucks, je suis pressée. Je veux mon Flat White et vite !

Vous n’êtes pas seule. La plupart des gens qui se sont exprimés dans les réseaux sociaux à propos de cette campagne ont noté qu’entre les transports en commun et le bureau, ils n’avaient pas vraiment le temps (ni l’envie pour être parfaitement honnête) de jaser avec un inconnu d’une question aussi complexe. Et puis, imaginez les files d’attente si tout le monde se mettait à discuter !

Plusieurs campagnes de sensibilisation ont commencé avec un mot-clic. C’est accrocheur #RaceTogether, non ?

C’est vrai que des campagnes comme #OccupyWallStreet ou #AgressionNonDenoncee ont eu des effets incroyables, mais elles provenaient de la base. Cette fois, c’est une multinationale qui impose un mot-clic en espérant lancer un mouvement social. Ça ne passe pas. Comme l’a fait remarquer le DJ Jay Smooth, on ne réglera pas le racisme en augmentant le nombre de conversations dans des cafés. Il s’agit de discrimination systémique.

La réaction dans les réseaux sociaux est-elle si terrible ?

Allez voir sur Twitter sous le mot-clic #RaceTogether. Certains ont carrément détourné la campagne comme cet internaute qui écrit : « Starbucks paie les producteurs de café éthiopien quelques sous et charge 10 $ pour un grand latte. #ExploitTogether ». Ou cet autre qui rappelle que « les baristas sont payés 7,62 $ l’heure. Qu’ils commencent par augmenter leur salaire de base ! »

Ouch ! Ce n’était sans doute pas le genre de commentaires qu’on espérait…

Ce n’est pas tout. Un autre internaute souligne qu’on compte seulement 3 Noirs sur les 19 membres de la direction de l’entreprise. Enfin plusieurs ont noté que Starbucks est LE symbole de la gentrification. Quand il ouvre une succursale, ça signifie que le quartier s’embourgeoise et que ses résidants sont en majorité… Blancs.

Ouais… on peut presque parler de dérapage ?

Lundi soir, la réaction des internautes était tellement négative dans les réseaux sociaux que le grand responsable des communications chez Starbucks, Corey duBrowa, a temporairement fermé son compte Twitter. « Je me suis senti personnellement attaqué par une cascade de négativité », a-t-il déclaré avant de rouvrir son compte quelques heures plus tard. Cela dit, il y a bien eu quelques commentaires positifs, mais ils étaient noyés dans une mer de tweets cyniques et sarcastiques (je ne vous raconte pas les dizaines de blagues sur la domination du Flat White ou encore, la suprématie du lait blanc dans les latte…).

J’imagine que devant ce tollé, le président de Starbucks a abandonné son idée ?

Pas du tout. Lors de l’assemblée annuelle des actionnaires, mercredi dernier, il avait même invité des représentants de la communauté noire comme la chanteuse Jennifer Hudson et le rappeur Common. M. Schultz a reconnu que la question raciale était « un sujet inconfortable dans le cadre d’une assemblée annuelle. Mais, a-t-il ajouté, alors que les gens voient des risques, des coûts et des excuses, nous voyons une opportunité. C’est le rôle et la responsabilité d’une entreprise à but lucratif publique. » C’est quand même fort de café…

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