Chronique

L’impôt et les ados

« Maman, c’est quoi ce papier ?

— C’est ton T4.

— Mon quoi ? »

La scène n’a rien de bien original, mais elle s’est passée chez moi il y a quelques jours. Et probablement chez vous aussi, ou chez votre voisin d’en face ou chez l’ami de votre ami… Mes ados, qui ont eu quelques petits boulots, venaient de recevoir leurs documents fiscaux et n’avaient absolument aucune idée de leur rôle.

« C’est pour faire ta déclaration de revenus. 

— Il faut que je paie des impôts ? Je pensais que tu avais dit qu’on ne gagnait pas assez pour ça.

— C’est vrai. Laisse faire. »

La conversation aurait très bien pu s’arrêter là, mais c’était avant que ma collègue Stéphanie Grammond s’en mêle, sans le savoir.

« Les jeunes ont intérêt à faire leur déclaration de revenus, car ils peuvent récupérer de l’argent, même si leurs revenus sont sous le seuil imposable », a-t-elle en effet lancé, quelques jours plus tard, à des lecteurs venus à une soirée que j’animais à L’Astral. Ils étaient là pour l’entendre, elle et Ariane Krol, parler de l’art de récupérer des sous qu’on a, sans savoir qu’on les a.

« Vraiment, Stéphanie ? Même mes ados qui ne gagnent pas assez pour être imposés ?

— Même eux… »

C’est ainsi qu’a commencé mon projet d’asseoir mes ados pour leur parler de cette chose cruciale de la vie, les impôts.

« C’est une excellente idée », a lancé la grande fiscaliste Brigitte Alepin, quand je lui ai demandé son avis sur la question. « Il ne se fait pas assez d’éducation à ce sujet dans les écoles. Les jeunes devraient apprendre comment et pourquoi on paie des impôts dès le secondaire », a-t-elle commenté.

Selon la fiscaliste, les jeunes devraient comprendre les concepts de base avant d’avoir 18 ans, car c’est à ce moment-là qu’ils obtiennent le droit de vote et donc de participer aux décisions collectives sur l’argent ainsi récolté.

« Si les jeunes ne sont pas bien renseignés, ils peuvent facilement être les cibles de toutes sortes de discours remplis de faussetés au sujet de l’impôt, de son rôle, des montants qu’on paie, de comment c’est redistribué, etc. »

— Brigitte Alepin

Quand on parle aux jeunes d’impôts, on tombe souvent dans deux a priori aussi erronés l’un que l’autre. D’abord que c’est trop compliqué et trop ennuyant pour eux, ou alors, à l’inverse, qu’ils comprennent déjà pas mal le concept, donc pourquoi en rajouter ?

Pourtant, comment sont-ils censés deviner ce qu’est un T4 ? Il faut le leur expliquer.

En revanche, parlez-leur d’évasion fiscale, de cette idée que tout le monde paie sauf ceux qui ont les moyens de ne pas payer d’impôts, et voyez leur réaction.

« Ce n’est pas nécessaire de leur parler des détails techniques du programme de REER s’ils ont 18 ans », explique Alepin. « Mais mon expérience avec les ados, explique cette mère de famille, c’est que ces questions les intéressent ! »

Lyne Latulippe, professeure en fiscalité à l’Université de Sherbrooke, comprend que les parents n’aient pas nécessairement envie de s’installer devant une déclaration de revenus pour apprendre à leur adolescent ou leur jeune adulte comment la remplir. « C’est vrai qu’on prend rarement le temps de regarder ça de près », dit-elle. Par contre, on n’a pas d’excuse pour les concepts plus généraux. Pour ne pas leur expliquer que l’argent qui sert à payer les écoles, les hôpitaux, l’entretien des rues ou de leur parc préféré vient de nous tous et qu’il est récolté en fonction de nos revenus. Il faut qu’ils arrivent à l’âge adulte en comprenant ce lien entre l’argent que l’on gagne et celui qui est géré par le gouvernement. « Il faut qu’ils comprennent que ces dépenses, ce sont les leurs et que tous ces choix ne sont pas désincarnés. »

Le concret

Mais évidemment, une fois qu’on a expliqué cela aux jeunes, on peut aussi passer à l’autre étape, qui est de comprendre l’aspect concret de la déclaration de revenus. Qu’est-ce qu’un T4, quelle est la différence entre le revenu total et le revenu imposable, qu’est-ce qu’une déduction, etc.

Brigitte Alepin conseille de faire cela avec les parents, à l’aide d’un logiciel.

Appel à mon cousin comptable, François Richer, qui trouve l’idée plutôt bonne, surtout si le jeune ou l’adolescent apprend à faire sa déclaration de revenus avec celle des parents.

Car si on parle ici d’ados ou de jeunes adultes qui habitent encore à la maison, l’impôt devient une affaire de famille. Certaines déductions de frais scolaires, par exemple, peuvent être transférées du jeune aux études aux parents. Mais à l’inverse, si la déclaration de revenus familiale est complexe et confiée à un comptable, alors celles des enfants devraient l’être aussi.

Et qu’est-ce qu’il ne faut pas oublier si on veut récupérer des sous, même si, comme on l’a dit plus tôt, le revenu du jeune est sous le niveau imposable ?

Il faut regarder quelles déductions ont été faites à la source, au travail. Certaines peuvent être récupérées, si des impôts ont été payés en trop, évidemment, mais aussi celles à la Régie des rentes, m’explique François. Il y a en outre une prime au travail que peuvent aller chercher les jeunes qui gagnent peu, mais n’étudient plus. Au fédéral et au provincial, il y a aussi moyen d’obtenir un crédit pour les personnes à faibles revenus, qui est accordé même aux étudiants à temps plein habitant encore à la maison. Et, en faisant leurs déclarations de revenus, les jeunes commencent à accumuler leurs droits de cotisation aux régimes d’épargne enregistrée, une réalité qui finira par les rejoindre. Et que, on l’espère, ils comprendront bien rendus là !

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