Carnets d’endorphines

Sept façons de se faire des amis en transpirant

Dale Carnegie a écrit un traité sur l’art de se faire des amis et, par conséquent, d’influencer les gens et ainsi conquérir le monde. Bravo, Dale. Cela dit, Dale a aussi donné quelques conseils sur l’art d’être une bonne épouse, et comment dire ? Depuis Mad Men, on a (un peu) évolué. Y compris dans la façon de se faire des amis.

Je le répète à qui veut (et même à ceux qui ne veulent pas) l’entendre : les 5 à 7 où personne ne s’entend parler, c’est très utile pour se magasiner une cirrhose, une chicane de couple et des « tickets » de conduite en boisson. Par contre, pour se faire des amis, des vrais, du genre développement durable à la vie à la mort, c’est en suant qu’on y arrive.

Par ici le mode d’emploi.

D’abord, cela suppose de se trouver une gang, un club, un défi à plusieurs, bref, un tas d’humains qui se rassemble dans le but avoué de pratiquer un sport – vélo, marche, course, natation, ski, toutes ces réponses – qui lui procure ce sentiment suave qu’on appelle le plaisir.

Bien. Vous voilà donc devant votre tas d’humains en lycra ou en Gore-Tex. N’allez pas leur tâter le tissu tout de suite, c’est prématuré. Attendez d’en voir un vomir sur le bord de la route, vous pourrez alors lui frotter le dos à gogo tout en appréciant la qualité de ce beau mérinos fait en Nouvelle-Zélande.

1. D’abord, prendre le temps. C’est-à-dire « regarder la game », comme on dit au hockey. Absorber les noms, les visages, les personnalités de tout un chacun. On ne s’impose pas dans une gang, surtout si les autres se connaissent depuis longtemps et que la sueur les a tricotés aussi serré qu’un bas de compression. Non, il faut être plus « smat » que ça. Il faut arriver tranquille, Émile, relax, Max, souriant et détendu, à sa petite affaire. Les gros parleurs attirent peut-être l’attention au début, mais les gros faiseurs sont ceux qui la retiennent, pour longtemps.

2. Et puis, arriver à temps. L’air de rien, la présence et la ponctualité sont de belles qualités quand on veut se faire des amis. Les rendez-vous de sport, c’est comme le baseball ; un retard, deux retards, trois retards, t’es out. Si je grelotte au milieu d’un parc en accommodant ton horaire et que tu ne me préviens même pas que tu es encore au lit, notre possible amitié a une grosse côte à remonter.

3. Faire confiance au « faisage ». On attend côte à côte dans l’humidité alors que le jour n’est même pas levé, on remplit nos bouteilles d’eau au même relais, on se raccroche au souffle de l’autre pendant des kilomètres dans un sentier qui n’en finit plus, on roule « roue contre roue » sur une route défoncée de nids-de-poule, on partage un bloc de cire à farter en haut d’une crête, ou on attend en file pour la même toilette chimique, et pouf. Réunis par l’adversité, la nécessité, ou par un émerveillement soudain devant la magnificence d’un paysage, l’occasion se présente enfin de poser les jalons d’une amitié naissante. Facile, facile, ça va tout seul… Fallait juste pas forcer.

4. Apprécier l’humour douteux. Faut se faire à l’idée, et renoncer aux mondanités. L’effort, ça te décape un masque vite fait, et c’est pas long qu’on arrive « sur la fesse ». Parlant de celles-ci… Quand, dans l’espace restreint d’un VR, on voit la pauvre anatomie meurtrie par une selle italienne d’un mec qui hier encore était un illustre inconnu, et que cet inconnu lâche une phrase mémorable (qu’il m’interdit de répéter ici) sur ce qui lui reste de dignité, l’amitié vient toute seule. Un fou rire niaiseux, et boum, amis pour la vie.

5. Ce qui se dit dans l’effort reste dans l’effort. Même pour une chronique, j’ai juré de ne jamais répéter cette phrase mémorable. De toute façon, nos amis pour la vie ont une collection de phrases mémorables qu’on a aussi lâchées (en sacrant) dans nos pires moments. Rien comme l’omerta du sport pour souder les liens indéfectibles de l’amitié. Sinon, tu nages avec Luca Brasi (l’homme de main de Vito Corleone dans Le parrain) et les poissons.

6. Rendre service. Tiens, par exemple, cet hiver, au milieu du bois dans un voyage de ski, une belle grande Suissesse m’a demandé de faire le paravent pour qu’elle puisse soulager une envie de pipi dans la discrétion. Une fois le pantalon de Gore-Tex remonté, elle m’a balancé : « Bon, eh bien, je pense qu’on est vraiment amies maintenant. » Oui, ma Virginie.

7. Renoncer à la dignité. Faire du sport, c’est partager beaucoup d’intimité avec des gens. Quand je dis intimité, je ne parle pas d’états d’âme (quoique…), mais bien du simple constat que nous sommes des corps, et que ceux-ci comportent toutes sortes de fonctions naturelles, qui semblent s’exacerber sous l’effort. Ne m’obligez pas à m’étaler sur le sujet.

Ah oui, et on va se voir tout nus aussi ! Pleins de bleus, d’égratignures, de brûlures et d’ongles qui nous abandonnent !

Mais on s’en fout, parce que les amis qu’on s’est fait dans la sueur, eux, ils sont là pour rester.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.