Hockey Flyers de Philadelphie

Un nom et une histoire uniques

SHAYNE GOSTISBEHERE 

Il est le premier défenseur recrue dans l’histoire de la LNH à avoir aligné 13 matchs avec au moins un point, une séquence qui est toujours en cours. Il a tassé Mark Streit de la première unité d’avantage numérique chez les Flyers de Philadelphie. Et à 22 ans, il est en position de fracasser quelques records d’équipe.

Mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus inusité à propos de Shayne Gostisbehere.

Il y a d’abord le nom de famille.

« Nous n’avons aucune idée d’où vient ce nom, avoue son père Régis, qui a grandi à Biarritz, dans les Pyrénées. Nous étions les seuls Gostisbehere dans le Pays basque et nous sommes peut-être les seuls Gostisbehere du monde. Mon cousin a fait des recherches généalogiques pendant trois ans… et nous sommes les seuls ! »

Shayne Gostibehere a un nom unique, mais son parcours l’est tout autant.

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L’histoire commence en Estrie dans les années 40. Là-bas, le petit Denis Brodeur (pas le gardien et photographe du même nom) écoute à la radio les péripéties de Maurice Richard et il rêve du Canadien.

« Ma mère avait six frères qui jouaient tous au hockey et ils m’ont appris à jouer comme c’était joué à l’époque, raconte l’homme de 71 ans. Ils m’ont beaucoup brassé ! »

Sauf que l’état de santé précaire de sa mère force la famille à déménager en Floride, alors que Denis n’a que 10 ans.

« Si j’étais resté au Canada, j’aurais eu l’opportunité de jouer moi aussi », croit M. Brodeur qui, après des décennies passées dans le sud de la Floride, a passablement perdu son français.

C’est donc au soleil, dans un terreau peu fertile au hockey, que les astres s’aligneront lentement pour qu’un jour, le petit-fils de Denis Brodeur fasse carrière dans la LNH.

« Comme je le dis souvent à Shayne, tu vis ton rêve, mais tu vis le mien aussi. »

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Régis Gostisbehere ne connaissait rien du hockey. Son truc, c’était la pelote basque. Visant à en faire une carrière professionnelle, il a quitté la France dans les années 80 pour tenter sa chance en Floride, là où le jaï-alaï vivait la fin de son âge d’or. C’est là qu’il allait rencontrer son épouse Christine, la fille de Denis Brodeur.

« J’étais aux couches à l’époque où il jouait et il a dû prendre sa retraite à cause d’une blessure », explique Shayne.

Son père a reçu une balle de pelote basque dans un œil et sa vision en a grandement été affectée. « Ç’a été 10 ans de ma vie, mais j’ai tourné la page », soutient l’homme, serein.

Si la pelote basque et le hockey n’ont aucun lien, Régis croit néanmoins avoir transmis à son fils l’instinct de compétition qui l’animait.

« La compétition était dans mes gènes et elle est dans les siens aussi, dit-il. Je suis fier de sa ténacité. Il n’a jamais lâché et a toujours cru en lui-même. Shayne a toujours su qu’il se rendrait jusqu’à la Ligue nationale. Il n’en parlait pas, mais il le savait. »

De la même façon que Régis avait quitté la France afin de poursuivre son rêve, il allait assurément encourager son fils à faire de même.

« Mon père m’a donné l’opportunité de jouer en ayant deux boulots en même temps – qu’il a encore aujourd’hui d’ailleurs, précise l’arrière des Flyers. Il se lève à 5 h du matin et rentre à 9 h le soir. C’est l’homme le plus travaillant que je connaisse et je lui serai éternellement redevable. »

La fierté est palpable au sein de la famille Gostisbehere. Il n’y subsiste qu’un lointain regret emporté par le cours des choses.

« J’ai essayé d’apprendre le français à Shayne quand il était enfant, mais il se mettait les mains sur les oreilles, se mettait à crier et s’éloignait de moi. J’ai abandonné parce que je ne voulais pas le traumatiser. Mais aujourd’hui, il le regrette. »

— Régis Gostisbehere

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N’eût été de la passion de sa sœur Felicia pour le patinage artistique, Shayne ne serait peut-être jamais devenu joueur de hockey.

« Sa sœur était l’une de nos meilleures patineuses et nous a représentés en compétitions nationales », précise Jeff Campol, ami de la famille et directeur général du IceDen de Sawgrass, le complexe sportif où Shayne Gostisbehere a appris à patiner.

« Ils étaient tous les deux des naturels sur la patinoire, comme d’autres enfants sont comme des poissons dans l’eau dès qu’on les met dans une piscine. »

Le grand-père Denis amenait Felicia à la patinoire dès 6 h 30 le matin. Le petit Shayne restait là et attendait… jusqu’au jour où, sur l’autre patinoire, il a vu des jeunes jouer au hockey.

C’est là qu’il a compris ce qu’il voulait faire.

« Si Felicia n’était jamais allée sur la glace, je crois vraiment que Shayne serait devenu joueur de baseball, soupçonne Régis. C’est le patinage artistique qui nous a introduits à la glace. Puis, c’est son grand-père qui lui a appris à patiner. »

Shayne confirme l’influence déterminante de sa sœur dans son cheminement.

« Elle prenait des cours privés avant d’aller à l’école – où elle récoltait des A –, puis retournait sur la patinoire dès ses cours terminés. C’est en la voyant agir de la sorte que j’ai eu envie moi aussi de me donner un but et de pousser à fond pour l’atteindre. »

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Le Québec. La France. La Floride. Et aussi une petite touche de Russie.

L’entraîneur de patinage artistique de Felicia, un Russe, a fini par donner au petit Shayne des techniques de patinage. Le garçon, un peu embarrassé, s’assurait toujours qu’aucun ami ne le voie avant de s’exécuter. Surtout, le coach de Felicia a mis la famille en contact avec « Vlad », un ancien joueur de l’Armée rouge qui venait d’arriver en Amérique. À raison de deux ou trois fois par semaine, il allait donner à grands frais des cours privés au garçon de 8 ans.

« C’est la meilleure chose qu’on ait jamais faite pour son développement, estime son père. Il était dur, mais c’était un coach incroyable. »

À ce moment-là, Shayne s’alignait déjà pour l’équipe itinérante du programme Junior Panthers, entièrement financé par l’équipe de la Ligue nationale. Totalement passionné par son sport, Shayne accompagnait d’ailleurs son grand-père aux matchs des Panthers et s’émerveillait devant Pavel Bure et Jay Bouwmeester.

« J’avais des billets de saison mais je suis toujours resté au fond de mon cœur un partisan du Canadien », avoue Denis Brodeur.

Toujours ?

« Si, il y a 20 ans, vous m’aviez dit que Papy allait un jour prendre pour une autre équipe que le Canadien, je ne vous aurais pas cru, s’esclaffe Régis. Mais nous y voilà, il va prendre pour les Flyers [ce] soir ! »

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Des années plus tard, Gostisbehere – qui est né l’année où les Panthers ont fait leur entrée dans la LNH – est en quelque sorte devenu leur premier fils. Il est le premier joueur qu’ait développé le sud de la Floride depuis l’arrivée de l’équipe dans la LNH et seulement le septième patineur issu du « Sunshine State » à jouer au moins un match dans le circuit.

« À chaque étape qu’il a franchie, Shayne s’est distingué et il a gagné », s’émerveille Jeff Campol, qui participe au développement des jeunes joueurs en Floride.

Gostisbehere a remporté la médaille d’or avec les États-Unis au Mondial junior présenté à Ufa, en Russie, en 2013. L’année suivante, l’ex-coéquipier de Daniel Carr à Union College a mené son équipe au championnat de la NCAA, en plus d’être nommé le joueur par excellence du Frozen Four.

À ce jour, c’est le moment de sa carrière qui a suscité chez son père la plus vive émotion.

« À la fin du match, il y a eu une explosion de joie au sein de la famille, décrit Régis. C’était une forme de récompense. Un championnat de ce genre incite à revenir en arrière sur nos origines, sur ses débuts, sur tout le travail qu’il a dû y mettre. Tout va vite dans notre tête dans ce temps-là et ça crée un moment magique.

« En plus, le match se passait à Philadelphie, sous les yeux des dirigeants des Flyers qui l’avaient repêché au troisième tour en 2012. La pression était énorme, mais il s’est imposé. »

Même si Gostisbehere pouvait retourner à l’université un an de plus, il n’avait plus rien à prouver à ce niveau.

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L’an dernier, Gostisbehere semblait prêt à ouvrir la marche pour la horde de jeunes défenseurs des Flyers qui, avant longtemps, feront de leur ligne bleue l’une des plus redoutables de la ligue.

Or, un genou fracturé est venu mettre un terme prématuré à sa saison. Les thérapeutes des Flyers l’ont suivi tout au long de sa rééducation. Le « Ghost », comme on l’appelle à Philadelphie, regardait aussi les matchs locaux des Flyers en compagnie d’un entraîneur adjoint sur la passerelle qui lui faisait de l’enseignement durant les matchs…

Cette saison, l’explosif patineur rattrape le temps perdu. Parmi toutes les recrues de la LNH, seuls Connor McDavid et Artemi Panarin ont un meilleur ratio de points par match que lui.

Pas étonnant que Gostisbehere se faufile dans la course au trophée Calder en dépit d’une impressionnante cuvée…

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