OPINION

LAÏCITÉ ET « CLAUSE GRAND-PÈRE » À L’ÉCOLE Une avenue indéfendable

À l’approche du dépôt du projet de loi sur la laïcité prévoyant l’interdiction du port de signes religieux pour le corps enseignant des écoles publiques au Québec, il faut mettre en doute l’hypothèse d’introduire un mécanisme de « droit acquis » appelé « clause grand-père ».

Jusqu’à preuve du contraire, malgré quelques hésitations, la Coalition avenir Québec (CAQ) a soutenu qu’elle n’autoriserait aucune mesure d’exception. En revanche, le Parti québécois (PQ) a poussé très fort en cette direction, tout comme certains syndicats ainsi que des enseignants en poste appelant à ce que la législation anticipée leur permette toujours d’exhiber de manière ostentatoire leurs convictions religieuses au nom d’une laïcité dite « inclusive ».

Quoi qu’on dise, dans la perspective d’une école laïque, l’insertion d’un tel mécanisme pour les enseignants porterait atteinte à la liberté de conscience des enfants, au droit démocratique des parents d’exempter leurs propres enfants de toute influence religieuse directe. Elle ne servirait que les privilèges religieux de certains enseignants tout en minant l’espace de liberté des enfants.

La liberté de conscience des enfants, un droit non négociable

L’instauration de la laïcité à l’école, dans toute société démocratique, procède de l’absolue nécessité de protéger la liberté de conscience des enfants du fait que leurs processus cognitifs sont en friche et que leur capacité de discernement reste encore fragile et malléable.

Une école laïque les épargne ainsi d’influences religieuses non souhaitées, de préceptes rigoristes, fondamentalistes ou obscurantistes que promeuvent les religions.

C’est donc la préservation de la conscience des enfants qui devrait être un principe sacré et non pas l’exhibition en milieu de travail de croyances religieuses par la personne qui enseigne.

L’affichage de signes religieux peut se comparer à un déploiement d’un drapeau, à un étendard que l’on brandit ou à une estampille idéologique. Dans le cas du voile islamique, il est une carte d’identité religieuse invasive. Symbole de ségrégation. Chez les plus intégristes, il est même un marqueur d’espace et de territoire.

De la même manière, le crucifix catholique fixé au-devant de la classe affiche une orientation confessionnelle manifeste. C’est pourquoi, il y a 20 ans déjà, la Commission des droits de la personne et de la jeunesse invitait les directions d’écoles à le retirer de la classe parce qu’il se révèle « attentatoire aux libertés de conscience et de religion » des élèves. Nos gouvernants devraient se remémorer cette réflexion d’hier, mais toujours pertinente aujourd’hui. Les syndicats aussi, eux qui hier étaient les grands défenseurs de la laïcité !

Le caractère discriminatoire d’une clause grand-père

Le problème de la clause grand-père, c’est qu’elle générerait un double standard. Certains élèves se retrouveraient malheureusement sous l’autorité d’une personne exhibant ses convictions religieuses, tandis que les autres en seraient exemptés, étant placés sous la responsabilité d’un enseignant régi par la règle stricte de laïcité. Le sort de chacun relèverait donc du hasard. D’un côté, la prévalence d’un privilège religieux communautariste ; de l’autre, l’universalisme laïque. Comment prétendre qu’une telle laïcité à géométrie variable serait vraiment respectueuse des enfants ?

Même si on ajoutait à cette dite clause une règle crépusculaire valide pour un certain temps, cela ne réglerait d’aucune façon le réel problème d’asymétrie relatif à l’obligation de réserve de fait et d’apparence des enseignants.

Dans un cadre laïque, les élèves n’ont pas à servir de cobayes pour le maintien de privilèges religieux préjudiciables.

Droit d’« opting out » et casse-tête insoluble

Théoriquement, dans un souci d’équité laïque, tout privilège religieux concédé devrait être contrebalancé par un droit de retrait (un « opting out ») pour les parents refusant que leurs enfants subissent l’influence de symboles religieux d’enseignants. Ce serait alors la seule façon de préserver les choix de l’ensemble des parents, surtout ceux qui refusent absolument que l’enseignement transmis à leurs enfants soit « drapé » de signes religieux.

Mais le diable se cache dans les détails. En pratique, l’application d’un tel droit de retrait deviendrait très ardue dans la mesure où les tâches des enseignants sont confectionnées bien avant la rentrée scolaire.

Comme les parents exprimeraient vraisemblablement leurs demandes de permutation de classe à la toute dernière minute, l’opération de transfert d’élèves d’un groupe à l’autre se transformerait en un véritable casse-tête.

En considérant la complexité de la confection de la tâche du personnel enseignant, de divers paramètres et dispositions conventionnés, ce dilemme s’avérerait insoluble. Des classes perdraient immanquablement des élèves tandis que d’autres dépasseraient les ratios. L’équilibre des charges de travail entre les enseignants serait ainsi rompu. L’alternative du droit de retrait deviendrait impraticable.

L’impossibilité d’appliquer cette modalité d’« opting out » démontre à elle seule l’incongruité et l’absurdité d’une clause grand-père qui n’est rien d’autre qu’un mécanisme d’ancrage de privilèges religieux acquis par des personnes refusant de se rallier au principe de laïcité… et qui ne limiteront peut-être pas leurs requêtes à cette seule demande de traitement différencié.

En somme, pour les enseignants, la laïcité devrait toujours être établie selon le principe d’universalité.

Le personnel de direction, les psychoéducateurs, les orthophonistes, les psychologues ainsi que les techniciens de laboratoire et des services de garde devraient tous être régis selon la même règle laïque. Une équité de traitement pour tout ce monde qui participe à l’encadrement des enfants.

En agissant de cette façon, le gouvernement bénéficierait de l’appui d’une grande majorité de la population québécoise, alors que celle-ci lui a exprimé clairement ses attentes en octobre dernier.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.