Normand Voyer

Bête de scène

Dans l’auditorium, 300 adolescents sifflent et crient à pleins poumons. Sur scène, le chimiste Normand Voyer vient d’asperger copieusement un garçon nommé Hamza de désodorisant de marque Axe. En face se trouve Andréa, une autre volontaire recrutée parmi les élèves.

« C’est là qu’on va voir si l’Axe excite vraiment les filles comme dans l’annonce, lance-t-il à la foule. Hamza et Andréa, tenez-vous la main et regardez-vous dans les yeux. »

Sur un « Amour-O-mètre » bricolé qu’il contrôle secrètement, le professeur Voyer fait allumer des lumières. La foule rugit de plaisir, faisant grimper le niveau de décibels de plusieurs crans supplémentaires.

Stimuler l’intérêt des jeunes

Nous sommes au Collège Reine-Marie, dans le quartier Saint-Michel, à Montréal, par un vendredi après-midi de février. Les élèves de troisième et quatrième secondaire qui s’attendaient à terminer leur semaine par une ennuyeuse conférence scientifique ont droit à une bonne surprise.

Normand Voyer gère leurs débordements comme un pro. Il faut dire que sa conférence sur la « chimie de l’amour » est huilée au quart de tour. C’est très exactement la 217e fois qu’il la donne.

« Après, j’ai L’Assomption, Saint-Jacques, Québec, Varennes deux fois, Charlesbourg, Lévis, Matapédia », énumère-t-il, une fois de retour dans son bureau de l’Université Laval, en consultant un fichier. Ces conférences qui l’amènent aux quatre coins du Québec ne lui rapportent pas un sou.

« Je sais bien que personne ne fait ça. Pendant que tu mets du temps là-dessus, tu ne publies pas. Mais je ne suis pas un prof d’université normal. J’ai toujours fait à ma tête et je le fais encore. »

— Normand Voyer

Ce qui le motive ? Normand Voyer, chez qui la blague n’est jamais loin, se fait soudain sérieux.

« Quand j’étais jeune, je n’étais pas un élève modèle, disons, répond-il. L’un de mes objectifs, c’est de montrer un autre chemin vers la réussite. »

Le chercheur parle longuement de réussite scolaire. Puis de celle du Québec tout entier.

« Un Québec prospère dans l’économie du savoir, ça n’arrivera pas par magie, lance-t-il. Ça va arriver si on convainc les plus brillants à s’investir, à innover, à croire que c’est le fun, faire de la science. »

« J’ai décidé de faire quelque chose, dans les limites qui sont les miennes, poursuit-il. Faire avancer les connaissances, publier dans Nature, c’est bien beau. Mais je pense que je vais avoir un plus grand impact sur l’avenir du Québec en stimulant l’intérêt des jeunes pour la science. »

Piquer la curiosité

Normand Voyer précise que son objectif n’est pas de former des armées de petits chimistes, mais plutôt de « développer la rigueur intellectuelle » des jeunes Québécois. Et pour ça, il sait qu’il doit piquer leur curiosité. Chimie du coup de foudre, chimie du condom, chimie de l’ecstasy : les thèmes abordés pendant sa conférence sont choisis sur mesure pour accrocher les adolescents. Munis de télévoteurs, ceux-ci répondent en direct à ses questions. L’une d’elles est d’ailleurs encore en suspens. Et puis, ça excite vraiment les filles, l’Axe ?

Les élèves ont vu clair dans la démonstration truquée de Normand Voyer et répondent massivement par la négative. Mais le chimiste n’a pas fini de les surprendre. L’Axe, révèle-t-il, contient de la muscone et de l’androstérone, deux substances naturelles qui stimulent la production d’hormones sexuelles chez les femmes.

D’où viennent l’androstérone et la muscone ? Respectivement de la sueur des hommes et de… l’huile de moufette. Sans blague. Et tous les désodorisants, peu importe la marque, en contiennent.

« Vous venez d’apprendre une chose, dit Normand Voyer aux élèves. Tout, dans la vie, est une question de dose. »

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