Régler vos disputes avec la justice 2.0

Trop chère. Trop longue. Trop compliquée. La justice a besoin d’un électrochoc pour répondre aux besoins du commun des mortels. Elle a besoin d’un sérieux coup de balai numérique pour entrer de plain-pied dans le XXIe siècle.

Bonne nouvelle, un avocat vient de lancer la première initiative de règlement de litiges sur le web : Onrègle.com.

« Il y a eu beaucoup de “start-up” de technologie dans tous les domaines. Mais dans le milieu du droit, tout reste à faire », croit le président et cofondateur Alexandre Désy.

Son nouvel outil arrive à point nommé, puisque le nouveau Code de procédure civile, entré en vigueur en janvier, encourage les justiciables à trouver un terrain d’entente eux-mêmes avant de se présenter en cour.

Médiation, conciliation, négociation… La justice participative est à la mode. Et c’est exactement ce que propose Onrègle.com. La plateforme de négociation en ligne permet aux citoyens de régler leur conflit eux-mêmes, sans faire appel à un avocat.

Pour s’inscrire, il suffit de fournir une description de son conflit, puis de formuler une offre de règlement qui demeure toujours secrète. La partie adverse sera ensuite invitée à faire une contre-offre, secrète elle aussi.

S’il y a un terrain d’entente (par exemple, l’un est prêt à offrir 11 000 $, tandis que l’autre pourrait accepter 9000 $), le système coupe la poire en deux (par exemple 10 000 $) et rédige une entente de règlement.

Les parties sont alors liées par le contrat comme dans n’importe quel règlement à l’amiable.

Tant que les offres ne se recoupent pas, les deux parties peuvent continuer de mettre de l’eau dans leur vin, en s’envoyant des offres et des contre-offres secrètes. Ainsi, les adversaires ne savent jamais jusqu’où l’autre est prêt à aller, ce qui préserve leur position stratégique au cas où ils seraient ensuite forcés d’aller devant les tribunaux.

À l’étranger, le principe des offres secrètes est déjà utilisé, sous différentes formes, par d’autres plateformes de négociation, notamment SmartSettle, ClickNsettle et Cybersettle, qui règlent des milliers de dossiers chaque mois.

Onrègle.com, qui est en activité depuis quelques jours à peine, a déjà réglé trois conflits et compte 46 participants inscrits qui se renvoient présentement la balle. Évidemment, il faut que les deux parties aient de la bonne volonté. Si vous traitez avec un emmerdeur professionnel qui ne craint pas d’être poursuivi parce qu’il a des avocats gratuits à sa disposition, vous risquez de perdre la face… comme Martin Matte dans le dernier épisode des Beaux malaises.

Mais financièrement, les utilisateurs de Onrègle.com n’ont rien à perdre, car le service est gratuit… sauf quand ça fonctionne. Lorsqu’un conflit se règle, Onrègle.com demande des frais de 2,5 % du montant à chacune des parties. Pour une entente de 10 000 $, les frais totalisent donc 500 $, à séparer en deux. Certains grands cabinets d’avocats facturent ce prix juste pour une heure de consultation !

Pour bien des gens, c’est la seule option économiquement viable, estime Me Désy. « Selon nos calculs, en bas de 50 000 $, ça ne vaut même pas la peine d’engager un avocat et de passer à travers le processus au complet. »

En fait, plus des trois quarts des Québécois n’ont carrément pas les moyens d’aller en cour, selon un sondage Léger Marketing/AXA Assistance Canada.

Pas étonnant quand on sait que les frais atteignent de 13 000 à 37 000 $ pour une action civile donnant lieu à un procès de deux jours, rapportait le rapport du Comité d’action sur l’accès à la justice en matière civile et familiale déposé en 2013.

Dans ce rapport, la juge en chef du Canada, Beverley McLachlin, prônait d’ailleurs un recours accru aux options de règlement en ligne, notamment pour les petites créances… soulignant que les tribunaux auraient quelques leçons à apprendre d’eBay.

Le géant américain du commerce en ligne offre à ses clients un système de résolution de conflits sur internet qui permet de régler 60 millions de différends chaque année, ce qui en fait certainement le plus gros palais de justice au monde.

Le concept a fait école. À partir de la semaine prochaine, tous les cybercommerçants de l’Union européenne seront tenus d’offrir à leur clientèle un service de résolution de conflits en ligne. Les clients déçus pourront remplir une plainte en ligne à un organisme indépendant qui tentera de trouver une solution dans les 90 jours.

À terme, les nouveaux modes de résolution de conflit en ligne pourraient remplacer les tribunaux officiels. Au Royaume-Uni, un comité présidé par Richard Susskind, sommité en la matière, a recommandé un changement radical du système de justice. Les litiges civils de moins de 25 000 livres sterling devraient être soumis à un tribunal en ligne.

Non, la cyberjustice n’est pas de la science-fiction. Même chez nous…

En novembre dernier, le Laboratoire de cyberjustice de l’Université de Montréal a conclu un partenariat avec la Ville de Québec pour rendre la cour municipale véritablement numérique. D’ici la fin de 2017, vous pourriez plaider ou non coupable sur le web et soumettre des preuves en ligne, par exemple.

Ce n’est pas trop tôt !

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.