Sans filtre

« J’avais tellement peur que le mal n’arrête jamais » 

Dans leurs propres mots, des athlètes d’ici reviennent sur des moments charnières de leur carrière ou lèvent le voile sur des aspects méconnus de celle-ci. Bonne lecture !

Après des années de hockey sénior à Rimouski, Jacques Mailhot a décidé d’envoyer des CV à gauche et à droite. Il a été invité au camp des Nordiques. La première journée, il s’est battu deux fois. Même chose le lendemain. L’entraîneur dans la Ligue américaine, Ron Lapointe, l’attendait à sa sortie de la glace : « C’est beau, le kid, tu l’as, ton contrat. » The Mailman, comme on le surnommait, jouera cinq matchs avec les Nordiques en 1988-1989, mais 600 matchs au hockey professionnel. Il se sera battu plus de 300 fois avant de prendre sa retraite. Ces combats ont laissé des séquelles qui l’ont poussé à envisager le suicide. Son récit.

Mon rôle était très clair, j’étais un bagarreur. Je n’étais même pas capable de marquer durant les entraînements. Mon coup de patin n’était pas le meilleur, mais j’avais du cœur. Ça ne me dérangeait pas de travailler plus fort que les autres. Je n’aimais pas perdre mes bagarres et je n’en ai pas perdu beaucoup.

J’ai quand même été payé pendant 14 ans pour jouer au hockey. J’ai roulé ma bosse, je suis allé où on avait besoin de moi : Nordiques de Québec, Ligue américaine, Ligue internationale, East Coast.

J’étais un honnête bagarreur. Je n’étais pas du genre à sauter dans le dos ou à frapper avec mon bâton. J’ai toujours cru au code du policier. J’ai grandi avec ça, c’était important d’être respecté. Quand tu laisses tomber les gants, c’est un contre un, et quand ton adversaire tombe à terre, tu arrêtes de frapper. J’avais une bonne réputation. J’étais solide, je pouvais frapper des deux mains, je savais recevoir des coups aussi.

Il m’est souvent arrivé après un combat de quitter le banc des pénalités et de ne pas savoir où je m’en allais. Au banc, le thérapeute me donnait des sels pour me réveiller. Il me demandait si je savais où j’étais. Je regardais autour de moi, je voyais bien que j’étais dans un aréna. Je répondais que oui. Il me demandait combien je voyais de doigts, il me regardait dans les yeux. Pas plus que ça. Après, il me tapait dans le dos et me disait : OK, c’est bon.

Avec le rôle que j’avais, j’étais dans une position délicate. Je ne pouvais pas rater de matchs. Si je commençais à rater des matchs, on allait me remplacer. Je devais être plus dur. Je n’aimais pas admettre que j’avais une commotion cérébrale. Je disais plutôt que j’étais étourdi, mais dans le fond, je savais que c’était plus que ça.

À l’époque, il n’y avait pas beaucoup de connaissances sur les commotions cérébrales ou leurs symptômes. J’ai bien dû en faire six à huit par année.

La première fois

Je jouais ici, au Texas, la première fois que j’ai senti les conséquences des coups à la tête. C'était il y a une vingtaine d'années. J’avais 36 ans et j’avais été rappelé par les Grizzlies de l’Utah. On jouait à Vegas et je me suis battu deux fois. Je me suis fait frapper solidement. À mon retour à l’hôtel, mon lit tournait. Je me suis réveillé en plein milieu de la nuit et j’ai commencé à vomir.

Quand je suis revenu au Texas, j’avais de la misère à dormir. J’avais des étourdissements. Ça a duré une semaine, j’allais patiner et j’avais mal à la tête. Après l’entraînement matinal, j’allais dormir chez moi. Je me disais que ça allait passer et je n’en parlais à personne. Je voulais garder mon travail.

Le pire, c’est que j’ai continué à jouer comme ça jusqu’à 40 ans. Puis, tout d’un coup, il y a environ trois ans, les séquelles se sont manifestées d’une façon assez sournoise. J’ai commencé à faire une grosse dépression. Sans raison, je pouvais être au travail, à la maison, ça me frappait et je pleurais. J’avais mal à la tête, la lumière me faisait mal aux yeux, le son était aigu dans mes oreilles. Quand je dis mal à la tête, c’est comme si quelqu’un essayait de m’écraser la tête avec un tracteur. J’aurais voulu sortir de mon cerveau, parce que ça faisait trop mal.

J’ai pris de la boisson, des pilules, ça ne passait pas. J’étais plongé dans une dépression tellement profonde qu’un soir, mon voisin est venu chez moi et il a trouvé mes deux armes à feu sur la table. Il a compris que ça n’allait pas. Il m’a embarqué dans son auto et m’a conduit à l’hôpital. Il a expliqué au médecin que j’essayais de me faire du mal. Ils m’ont gardé trois jours dans l’aile psychiatrique.

Dans le temps, je restais seul à Austin et ils ne voulaient pas me laisser partir. J’étais trop fragile. On m’a demandé si j’avais de la famille. Oui, au Canada. On a accepté de me laisser partir à condition que j’aille voir ma famille. J’ai donc pris un billet d’avion et je suis parti voir les miens à Shawinigan.

15 heures de sommeil

Je dormais de 15 à 18 heures par jour. Mes sœurs et mon frère, je ne les voyais pas. Ils ne comprenaient pas ça ce qui m’arrivait. Je ne pouvais plus dormir sans me couvrir les yeux et les oreilles. J’étais dans une bulle noire. Quand j’arrivais à relaxer un peu, la douleur s’éloignait. Des fois, ça pouvait durer 20 minutes, des fois deux heures. D’autres fois, j’avais tellement mal à la tête que je devais me mettre une poche de glace pour calmer la douleur.

Il y avait aussi des changements d’humeur. Ça avait commencé plus tôt. Mon ex-femme, qui est quelqu’un de formidable, l’avait remarqué. Ça arrivait subitement. Mes amis avaient peur de moi, de la façon dont je réagissais. Puis je retrouvais mon état normal et je m’excusais. Ça m’a mené au divorce. Ça a détruit ma relation. Quand j’avais des sautes d’humeur, j’avais un regard vraiment agressif.

J’avais mal. J’étais tanné d’avoir mal. J’avais peur. J’avais tellement peur que le mal n’arrête jamais que j’en étais venu à croire qu’il y avait une seule manière de mettre fin à tout ça. C’est ce que je voulais faire et j’y ai pensé.

Vous savez quand vous allez à l’hôpital et que l’on prend votre pression ? On se sent tout écrasé. Imaginez ça autour de votre tête. C’est comme ça que je me sentais. C’était constant, la pression continuait, continuait et continuait.

La guérison

Quand je suis revenu de mon voyage au Canada, j’ai fait des recherches. Je suis allé voir un neurologue, j’ai rencontré un thérapeute. Ils m’ont aidé à comprendre. Le cerveau est une grosse boîte à surprises.

On m’a fait passer un questionnaire. Le lendemain à l’hôpital, j’ai subi une batterie de tests. Je ne sais pas combien de machines me sont passées sur le corps.

J’ai commencé à me sentir mieux. On me donne les mêmes médicaments qu’à ceux qui font de l’alzheimer. Je prends 11 pilules le soir avant de m’endormir. J’ai un médicament pour dormir, un médicament qui va directement au cerveau. Je prends des médicaments pour la dépression, pour garder mon humeur égale, des vitamines. Ça fonctionne pour moi.

Je suis très chanceux et je remercie ma bonne étoile tous les jours de pouvoir fonctionner et d’avoir une vie normale. J’ai encore des maux de tête, peut-être une ou deux fois par mois. Je prends aussi des médicaments pour ça.

J’ai peur constamment. Ma mémoire n’est pas ce qu’elle était. Chaque jour, des souvenirs s’effacent de ma vie. Mais j’ai décidé de vivre et d’accepter ce qui se passe avec moi. Je ne veux pas vivre dans le passé, je ne veux pas mourir à petit feu.

En plus, on a une fraternité d’anciens joueurs de hockey et je n’ai jamais vu ça de ma vie. Des joueurs contre lesquels je me suis battu qui sont vraiment des bonnes personnes. Des gars qui m’ont dit : si tu as besoin d’aide, on est là. C’est bien de savoir que je ne suis pas seul. Un de mes amis, ça fait six mois qu’on se parle. Ce n’était pas un bagarreur, mais il a été frappé souvent. Il a subi de bonnes commotions. Je comprenais ce qu’il me disait, car je suis passé par là moi aussi. J’essaie d’apporter ma contribution.

Je veux parler de mon expérience pour dire qu’il y a une solution, et que la solution, ce n’est pas de mourir. Je ne veux pas mourir. J’ai peur de mourir. J’ai peur aussi de vivre avec les séquelles de mes commotions passées. C’est pour ça que je fais attention à moi.

Je veux aussi que les entraîneurs et les parents comprennent que l’enfant qui grandit est en pleine croissance. S’il veut jouer au hockey, qu’il apprenne à jouer en équipe, à avoir du plaisir, à être sociable avec des coéquipiers. Il y a 7000 gars qui ont joué dans la LNH. Ce n’est pas beaucoup. Les parents qui pensent que leur petit gars va jouer dans la LNH, insistez plutôt pour qu’il aille à l’école. Pour qu’il s’offre un avenir.

Quand j’essaie d’expliquer ça à des parents, ils admettent que j’ai bien raison. Puis je les regarde aller sur le bord de la bande. Ça crie après les enfants.

Aujourd’hui, je fais partie de la poursuite envers la LNH pour les commotions. Je ne peux pas trop en parler, étant donné que c’est devant les tribunaux, mais on veut des centres de traitements. On veut de la reconnaissance. C’est important pour les joueurs qui sont passés par là. Les médicaments coûtent cher aux États-Unis. On aimerait dire que l’on a donné 10 ans, 12 ans, 14 ans pour notre sport et que l’on va être protégés jusqu’à la fin. C’est ça, la poursuite. Ce n’est pas une question d’argent.

On le fait pour Sasha Lakovic, qui a joué avec Calgary et New Jersey. On s’est battus tout le temps, mais on était amis en dehors de la glace. Sasha est mort d'un cancer du cerveau à 45 ans. Il avait quatre enfants qui n’ont plus de père. Il est allé voir le docteur, on lui a dit qu’il ne lui restait que quelques mois à vivre. Tu fais quoi, dans ce temps-là ? On le fait aussi pour Derek Crawford, qui s’est suicidé. Il avait une maladie incurable au cerveau.

Beaucoup de joueurs des ligues mineures ont fait mon boulot et personne ne parle d’eux. Aujourd’hui, les joueurs sont plus rapides, l’entraînement est meilleur, mais une blessure au cerveau, ça fait mal. Si tu te casses un bras, ils vont te mettre un plâtre. Une blessure au cerveau, on ne le voit pas. La seule personne qui sait qu’elle existe est celle qui l’a subie. Le cerveau est la pièce maîtresse du corps humain.

Pensez aux conséquences.

Cet entretien a été rendu possible grâce à l’organisme Le Bouclier Prévention, qui sensibilise parents et organisateurs sportifs aux conséquences des blessures à la tête.

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