Grande entrevue

Claude Lemieux et le bâton miraculeux

Claude Lemieux se rappelle l’ambiance funèbre dans le vestiaire du Canadien entre la troisième période et la prolongation du septième match contre les Whalers de Hartford, en deuxième ronde des séries éliminatoires de 1986.

« Tout le monde était down parce que les Whalers avaient marqué le but égalisateur tard en troisième. Ça ne parlait pas fort. En plus, on n’avait pas eu beaucoup de succès en prolongation en saison régulière. »

Lemieux, lui, malgré toute la candeur et toute la fougue de ses 20 ans, avait l’estomac serré, dans son coin de la pièce. « Moi, je me disais : “Faut pas que ça arrête, c’est tellement le fun !” »

Pour chasser le stress, Lemieux a quitté le vestiaire, « emprunté » l’un des bâtons de son ami Stéphane Richer et s’est emparé de la première scie qui lui est tombée sous la main dans le corridor.

« J’aimais la courbe sur son bâton. Et moi je n’avais pas eu beaucoup de succès dans cette série. Il avait comme une courbe dans le talon. Je me suis dit qu’avec une courbe comme ça, si je m’étais retrouvé sur mon côté fort, j’aurais pu la mettre dans le haut du but contre [Mike] Liut. Dans ce temps-là, on s’échangeait plus facilement les bâtons. Ils étaient en bois, on prenait une torche, une scie, on pilait dessus, on coupait la palette un peu, on faisait plein de choses de même. J’ai coupé le manche, évidemment, parce que je n’aurais jamais pu jouer avec les grands bâtons de Richer… »

Dans les premiers instants de la prolongation, Claude Lemieux se retrouve sur la glace avec Mike McPhee et Brian Skrudland.

« Je me retrouve derrière le but et je me fais frapper par-derrière, la tête dans la bande, les pieds par-dessus la tête. J’étais sûr qu’il y avait une punition. Je me suis relevé et je n’étais pas trop de bonne humeur. J’étais en câlique. La rondelle s’est retrouvée à mes pieds, il y a eu quelques mises en échec et j’ai eu la chance de revenir devant le but. Je savais que je devais tirer en haut dans le coin pour battre Liut, qui avait de la difficulté sur les tirs hauts quand on le faisait bouger. Le pire, c’est que je me suis ramassé sur le revers avec une courbe qui ne favorisait pas ce genre de tir. J’ai été super chanceux. C’est un petit miracle qui est arrivé de même… »

Ce but allait devenir l’un des nombreux moments mythiques de l’histoire du Canadien en séries éliminatoires…

Quelques semaines et plusieurs buts de Claude Lemieux plus tard, le CH remportait la 23e Coupe Stanley de son histoire contre les Flames de Calgary.

Au troisième rang de l’histoire

À la fin de sa carrière, Lemieux, aujourd’hui âgé de 51 ans, allait revendiquer quatre Coupes Stanley, une avec le Canadien, deux avec les Devils et enfin une avec l’Avalanche du Colorado. Ses 19 buts gagnants en séries le placent au troisième rang de l’histoire, derrière Wayne Gretzky et Brett Hull. Il a aussi remporté le trophée Conn-Smythe en 1995.

« Les Coupes sont toutes belles, mais la première est toujours la plus spéciale. Le fait aussi d’être québécois et de la gagner tout près de ma ville natale de Mont-Laurier, qui est à deux heures de Montréal. J’étais un amateur du Canadien et j’avais la chance de jouer avec mes héros d’enfance, Guy Lafleur, Steve Shutt [qui n’étaient plus avec le Canadien au printemps 1986] et Larry Robinson. Je vivais un rêve. »

Pourtant, cette Coupe de 1986 était loin d’être acquise. Un vent de révolte soufflait sur l’équipe, à quelques semaines des séries. L’entraîneur Jean Perron avait eu besoin du soutien sans équivoque du directeur général Serge Savard pour ramener les vétérans dans le droit chemin.

« Nous, les jeunes, on n’était pas préoccupés par les conflits entre les vétérans et un jeune coach. On voulait juste jouer. »

« Il y avait peut-être de grosses divergences d’opinions entre ce que Jean voulait faire et ce qu’eux voulaient, mais l’influence, inévitablement, venait d’en haut. La boucane du cigare à M. Savard, elle descendait dans le vestiaire. »

— Claude Lemieux 

« Il y avait aussi Jacques Lemaire, [André] Boudrias, il y avait des têtes de hockey incroyables qui faisaient partie de notre organisation. Jean Perron était très bien entouré même s’il était jeune. Il n’y a pas beaucoup d’entraîneurs qui font exactement ce qu’ils veulent. Quand tu as un club avec 11 recrues, je pense que le message est assez clair… Moi, avec la blessure à Mario Tremblay en fin de saison, ça m’a donné ma chance. Sinon, je ne sais pas quand ça se serait produit ni même si ça se serait produit. »

Quelques années plus tard, il a vécu le moment le plus humiliant de sa carrière lorsque l’entraîneur Pat Burns a retenu le soigneur Gaétan Lefebvre sur le banc alors que Lemieux était étendu sur la glace. Ce jour-là, il a dû se relever par ses propres moyens, après avoir constaté que personne ne venait à son aide…

« Je lui en ai reparlé. On était en bons termes. Après Montréal, Pat avait même essayé de m’avoir quand il était à Toronto. On appelle ça “faker”. On ne fait pas ça parce qu’on n’est pas tough, on fait ça pour aider l’équipe. Tu vas le faire dix fois, ça va marcher sept fois, mais y a trois fois où tu vas avoir l’air d’un tata. Tu vas peut-être gagner cinq matchs à cause de ça en soutirant des punitions. Le fait qu’il m’a laissé là cette fois-là disait tout. »

Le retour

En 2008, après quatre ans d’absence, Claude Lemieux effectue un retour au jeu avec les Sharks de San Jose, à l’âge de 43 ans. Beaucoup estiment qu’il s’agit d’un projet irréaliste. Il disputera tout de même 18 matchs avec eux.

« Mon retour avec les Sharks était super important parce que je n’avais pas eu la chance de finir ma carrière comme je voulais, en 2003, avec les Stars. J’avais subi une opération pendant l’été et je n’étais pas prêt pour le camp d’entraînement à Dallas. Le directeur général m’a convoqué pour me dire qu’il allait racheter mon contrat. Je n’étais pas en santé, c’était plus difficile de négocier un nouveau contrat ailleurs et j’étais tanné aussi de déménager ma famille ; je venais de faire quatre villes en quatre ans. J’avais trouvé ça plate d’avoir une aussi longue carrière et de ne pas pouvoir profiter de la fin avec ma famille. »

Claude Lemieux a disputé 1215 matchs avec Montréal, Denver, New Jersey, Phoenix, Dallas et San Jose. Son meilleur coach ? « Jacques Lemaire, répond-il spontanément. Mais j’en ai eu d’autres bons aussi. Larry [Robinson] était entraîneur en chef quand on a gagné au New Jersey en 2000. Il y a eu Marc Crawford avec l’Avalanche et Joel Quenneville, qui était alors adjoint, mais qui, on le savait tous, allait devenir entraîneur-chef un jour. »

En mai 1996, Lemieux a été au cœur d’une controverse de taille. Il a frappé son adversaire Kris Draper par-derrière lors du sixième match de la finale d’association entre l’Avalanche et les Red Wings de Detroit. Draper s’est fracassé le visage contre le haut de la rampe et a subi une commotion cérébrale et des fractures de la mâchoire, du nez et d’un os de la joue. Cet incident allait le suivre pendant le reste de sa carrière.

« Je n’ai pas beaucoup de regrets parce que j’ai eu une super bonne carrière, analyse aujourd’hui Claude Lemieux. Mais si j’avais tourné à droite plutôt que de frapper Kris Draper, je n’aurais pas eu à répondre à des questions et à vivre ce moment-là pendant des années. Mais c’était ma façon de jouer. Ça fait partie du match. »

De joueur à agent

Aujourd’hui, Claude Lemieux est agent de joueurs pour la firme 4Sports. Il représente entre autres le gardien des Maple Leafs Frederik Andersen, Hampus Lindholm, Sven Andrighetto et les jeunes Kevin Fiala et Joel Eriksson Ek.

« J’ai rencontré les fondateurs de l’entreprise vers la fin de ma carrière. Ils avaient une branche pour le soccer, le golf et le hockey, mais en Europe seulement. Ils m’ont demandé si ça m’intéressait de travailler avec eux. J’ai commencé comme consultant. »

« À ma retraite en 2009, ils avaient besoin de quelqu’un à temps plein en Amérique du Nord. On partait de zéro, mais j’avais quand même des joueurs de la Suisse et de la Suède. »

— Claude Lemieux, à propos de son travail pour la firme 4Sports

Parmi ses nombreux souvenirs, le plus précieux demeure le premier chandail qu’il a porté avec le Canadien.

« Dans le temps, ils nous passaient les chandails des joueurs de l’année précédente. J’avais eu le 32 qui appartenait à un gardien, probablement Mark Holden. Ils avaient juste remplacé le nom derrière. C’est le chandail [blanc] que j’ai porté à mon premier match hors concours et pour mes huit premiers matchs de la saison avant d’être renvoyé dans les rangs juniors. »

Lemieux l’a retrouvé par hasard il y a quelques années sur eBay. « Un des jeunes joueurs que je coachais à Phoenix voulait me faire un cadeau pour ma fête. Il a dit à son père qu’il croyait avoir trouvé le chandail de recrue de “coach Lemieux”. Mais le petit gars ne comprenait pas que ça allait coûter cher. Je lui ai dit que le cadeau, c’était de l’avoir retrouvé et que j’allais le payer. J’ai su que c’était le vrai chandail puisqu’on pouvait voir sur la photo que la bande du nom avait été changée derrière. Il n’est pas dans un cadre, parce que ça me prendrait un musée pour avoir tout ça dans ma maison, mais je le garde précieusement dans mon coffre-fort. »

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