Opinion

L’hypocrisie

« L’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertu », disait Molière. On a droit depuis quelques jours à une hypocrisie dégoulinante de la part d’un grand nombre de politiciens québécois sur la question du financement de la Commission scolaire English-Montréal par le programme fédéral de contestation judiciaire.

« Il est inacceptable et immoral que le gouvernement canadien s’ingère dans une contestation d’une loi adoptée par les élus de l’Assemblée nationale », affirme le chef intérimaire du Parti québécois, Pascal Bérubé. François Legault parle d’« insulte aux Québécois ». Il pense même recourir aux ressources de l’État pour faire taire la commission scolaire. Et bien sûr, l’inénarrable Simon Jolin-Barrette entonne le refrain bien connu : la loi 21 est l’expression de la volonté de la nation québécoise, « une loi modérée […] et qui fait état des spécificités de la société québécoise ».

On peut répondre immédiatement à ce dernier que la loi 21 est peut-être une loi modérée, mais on ne nous a pas donné l’occasion d’en débattre. En effet, la nation québécoise n’est pas unanime, et une partie de celle-ci exige qu’un véritable débat démocratique informé ait lieu. Une loi adoptée sous le bâillon, et sans possibilité de présenter des arguments rationnels et nuancés devant une commission parlementaire crédible ou devant les tribunaux, est peut-être modérée, mais comment le savoir, si on ne fait que consulter des pages Facebook ?

Mais revenons à l’hypocrisie. À celle qui consiste à dénoncer la supposée intervention fédérale dans la contestation d’une loi provinciale. Cette posture est d’une spectaculaire hypocrisie. Comme l’a brillamment démontré Frédéric Bérard dans un livre fondé sur des faits et non des mythes (Charte canadienne et droits linguistiques, PUM, 2017), le gouvernement du Québec – qu’il soit péquiste ou libéral – ne s’est jamais gêné pour intervenir directement à la Cour suprême, à plusieurs reprises, et par la bouche de son Procureur général, pour s’assurer que la définition la plus restrictive possible soit donnée aux droits des minorités francophones hors Québec reconnus par la Charte canadienne.

Dans les affaires Mahé 1990, Beaulac 1999, et surtout Commission scolaire francophone du Yukon 2015, le Procureur général du Québec est intervenu devant la Cour suprême pour appuyer l’adoption, par des gouvernements provinciaux qui n’étaient pourtant pas dépourvus de moyens, de lois albertaine, britanno-colombienne et yukonnaise qui n’avaient qu’un seul objectif : limiter les droits des minorités francophones de ces provinces et territoires. Et le comble de l’ironie, c’est que la majeure partie des fonds issus du Programme de contestation judiciaire a été remise à ces groupes francophones hors Québec qui cherchaient à défendre leur droit de vivre en français à l’encontre des coups redoublés de leur gouvernement provincial, aidé par celui du Québec !

Si les gouvernements québécois successifs ont adopté cette posture détestable, c’est parce qu’ils craignaient qu’une interprétation favorable aux droits des minorités francophones hors Québec ne profite à la minorité anglo-québécoise.

Exprimant parfaitement la logique d’assiégé si typique des gouvernements québécois, la ministre d’alors, Linda Goupil, disait ceci au lendemain de l’affaire Beaulac : « Ce que le jugement Beaulac a comme effet concret, au Québec, c’est de limiter la capacité des Québécois de protéger l’épanouissement de leur langue. » Et au lendemain de l’affaire yukonnaise, devant la dénonciation du comportement du Québec par la Fédération nationale des conseils scolaires francophones, un Jean-Marc Fournier un peu penaud avançait comme justification que, « malgré son statut majoritaire au Québec, le français n’en demeure pas moins menacé ».

Il faut donc en conclure que le Québec est une nation si fragile, si grabataire, si souffreteuse qu’il lui faut, pour survivre, sacrifier les francophones hors Québec sur l’autel de la nation.

La faute du fédéral

Au-delà de l’hypocrisie, il y a, dans le discours actuel, une chose qui me met en colère. Un très grand nombre de Québécois, lorsqu’ils sont confrontés à un problème qui ébranle leur conception unanime de la nation blanche francophone de souche, se mettent immédiatement à chercher, jusqu’au plus profond des trous, l’élément – même le plus ténu – qui pourrait donner à ce problème une touche « fédérale » ou plutôt « fédéraste ». Une fois cette trouvaille faite, on la brandit avec fierté, on l’exhibe, on la pavane. Et, surtout, on arrête totalement de penser, car, dans un réflexe pathétique, cette trouvaille mène toujours à la même conclusion : c’est la faute du fédéral, de Trudeau père, de la common law, de la Constitution de 1982, de celle de 1867 et, bien sûr, de la Conquête dont bien des nationalistes ne sauraient donner la date exacte.

Personne ne nous encourage à l’autocritique, à la recherche de raisons qui nous impliqueraient au moins un petit peu. Au contraire, on ne cesse de nous flatter dans le sens de la nation !

Les Québécois seraient sans défauts ! À entendre les ténors chanter la perfection des « de souche », je suis étonné, moi qui en suis un, de ne pas voir jaillir les fleurs sur mon passage, et surpris de ne pas voir le regard mort des aveugles s’animer quand je les croise. Mais, en passant, si nous sommes si bons, pourquoi alors ne pas appuyer les démarches des francophones hors Québec ?

Un peuple libre n’est pas seulement celui qui peut s’opposer aux interférences d’autrui (l’Antéchrist fédéral), c’est aussi celui qui se méfie de la possible domination dont il peut faire l’objet. Or, de plus en plus, le présent gouvernement limite la délibération démocratique de ce fameux peuple québécois.

Enfin, un peuple est libre tant et aussi longtemps qu’il n’est pas unanime. Tant et aussi longtemps qu’il n’évite pas d’aborder les difficultés qui le traversent en se drapant dans sa supposée pureté, tant et aussi longtemps qu’il ne nous donne pas de nous-mêmes une image imbécilement parfaite.

Mais, bien honnêtement, je suis convaincu que, 10 000 ans après son accession à l’indépendance, il s’en trouverait encore pour attribuer les difficultés de la République libre de la Laurentie au gouvernement fédéral et à la Conquête (de 1760, en passant).

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