Chronique

Les relations humaines

Toucher quelqu’un qui veut qu’on le touche, c’est doux. Embrasser quelqu’un qui veut qu’on l’embrasse, c’est bon. Baiser avec quelqu’un qui veut baiser avec nous, c’est merveilleux. Faire les mêmes gestes à quelqu’un qui ne veut pas, c’est abject. Dans un cas, c’est le plaisir ou l’amour. Dans l’autre cas, c’est l’horreur et la haine.

Donner un coup de poing sur la gueule de quelqu’un, c’est clair que c’est une agression. Personne ne veut recevoir de coup de poing sur la gueule. Enfoncer un couteau dans la peau de quelqu’un, c’est sûr que c’est un crime. Personne ne veut qu’on lui enfonce un couteau. Mais mettre la main au cul de quelqu’un, ça peut être une caresse ou ça peut être une violence. Tout dépend de ce que l’on ressent pour celui qui le fait. 

C’est à cause de cette dualité que trop de prédateurs s’en tirent. Parce qu’il y a toujours un doute. Une possibilité de consentement. De provocation. De tentation. C’est la parole de l’un contre la parole de l’autre. Quand en plus, il y a une relation de pouvoir, ça devient une spirale destructrice. Une oppression constante. Le monde vire à l’envers. C’est l’agressé qui a honte. C’est l’agresseur qui est fier. C’est l’agressé qui est prisonnier de sa mémoire. C’est l’agresseur qui est libre de recommencer.

Assouvir ses instincts sexuels sur une personne qui les repousse, c’est un acte de terrorisme. Le terrorisme de l’intimité. Qui fait exploser des bombes dans l’âme de la victime. Dans son intégrité. Dans la perception de son être. Dans son rapport avec le monde.

Pour combattre ce régime de terreur, il ne fallait pas seulement que les victimes parlent, il fallait que la société les entende. C’est ce qui est en train de se produire depuis quelques jours. Avec l’affaire Weinstein, l’affaire Salvail, l’affaire Rozon et toutes les autres affaires, qu’on découvre avec le mot-clic #MoiAussi, aux noms moins connus, mais aux conséquences aussi graves.

On assiste à un mouvement important. Un éveil des consciences grâce à toutes ces personnes qui dénoncent les agissements qu’elles ont subis. Ce sont elles, les personnalités de l’année. Les courageuses, les courageux.

C’est une révolution. Un combat contre la domination. Les pervers ne pourront plus compter sur la peur des innocentes et des innocents à les dénoncer. La honte vient de changer de côté.

On dénigre souvent les réseaux sociaux. C’est vrai que ça peut servir à transmettre la bêtise, la noirceur. Mais ça peut aussi servir à transmettre l’honneur, la lumière. Ce courant de dénonciations enclenchées par les médias traditionnels, il ne faut pas l’oublier, a décuplé d’ampleur grâce à Facebook et à Twitter. Avant, il n’y avait que les puissants qui avaient des contacts. Et ils les utilisaient pour obtenir ce qu’ils voulaient. Pour conserver leurs privilèges. Maintenant, tout le monde a des contacts. Tout le monde a une communauté au bout du doigt. Qui s’émeut et qui réagit.

Seul, on a peur de ne pas être entendu, de ne pas être cru et d’être humilié. Ensemble, on change le rapport de force. Le jeu de ma parole contre la tienne ne tient plus. Ce sont des dizaines de paroles contre la tienne. Quand les victimes ne sont plus isolées, quand les victimes sont rassemblées, le doute disparaît. Et la tendance se confirme.

Ce qui se produit en ce moment doit être plus profond qu’une succession de scandales de grosses vedettes. Il faut que ce soit le début d’un changement de mentalité. Pour une société plus sensible aux inconduites sexuelles. À l’appropriation du corps et de la dignité de l’autre.

Forcer quelqu’un à vivre quelque chose qu’il ne veut pas vivre. Se servir de l’autre. Se servir dans l’autre. Comme si on était dans son garage et que tout nous appartenait. Faire de l’autre son objet. L’objet de son plaisir égoïste. Ça n’arrive pas seulement dans le show-business. Ça arrive partout. Au bureau, à l’usine, à l’aréna, sur les pentes de ski, dans la maison.

Ça ne cessera probablement jamais de survenir. Mais ça peut se contrôler. Ça peut diminuer, si on parvient à s’éduquer. Les relations sexuelles ne sont pas des relations de pouvoir. Le plaisir ne vient pas par la possession. Le plaisir vient par l’abandon. Pas par la contrainte, mais par la liberté.

Les relations sexuelles sont des relations humaines. Jamais des relations inhumaines. C’est toujours une question de réciprocité. L’autre ne nous appartient pas. On ne peut rien forcer. Tout ce qui est forcé est brisé. 

C’est pas parce qu’un cul nous excite qu’on a le droit de le pogner. Qu’on soit le boss ou l’employé. Prendre ce qui ne nous est pas donné, c’est voler, c’est saccager, c’est mépriser.

L’impact de cette présente indignation collective va-t-il durer ? L’onde de choc sera-t-elle assez forte pour changer les comportements ? Pour décourager les narcissiques qui auraient pu ? Pour que les victimes ne se sentent plus jamais seules ? Je crois que oui. Quelque chose a changé.

Aux prochains partys de bureau, les patrons cochons et les collègues lourds devront contenir leur façon d’agir. On va plus rapidement les remarquer. La pression sociale devrait avoir un effet sur eux. Leurs gestes sont devenus à jamais ceux d’une autre époque. L’automne 2017 a fait évoluer les rapports entre les gens.

Merci à tous les #MoiAussi. Les générations qui viennent ne sauront jamais à quel point vous avez changé leur vie. Victimes ou pas, nous vous devons beaucoup, nous tous aussi.

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