Légalisation du cannabis

Le pot le moins cher au pays

Les succursales de la Société québécoise du cannabis s’apprêtent à recevoir leurs premiers clients aujourd’hui, alors que le cannabis devient légal au Canada. Dans l’espoir de rivaliser avec le marché noir, l’enseigne québécoise a fixé le prix d’entrée le plus bas au Canada : 5,29 $ le gramme. Entrevues et explications.

Entrevue avec le patron de la SQDC

Le défi de faire concurrence au marché noir

Pour établir ses prix de vente, la Société québécoise du cannabis (SQDC) a discuté avec les autres provinces pour éviter les trop grandes disparités, tout en s’informant de l’offre sur le marché noir afin d’être concurrentielle. Résultat, les boutiques du Québec offriront le cannabis récréatif et légal le moins cher au pays, a précisé en entrevue le grand patron de la nouvelle enseigne, Alain Brunet.

Comment se compare la rentabilité d’une bouteille de vin par rapport au cannabis ?

Je ne suis pas là-dedans. Je ne veux pas répondre. Je n’ai pas fait cette réflexion, je ne donnerai pas de chiffres, je n’en ai même pas.

Comment avez-vous fait alors pour établir les prix de vente ?

En fonction de la négociation faite pour chaque produit avec les fournisseurs. Nous, on voulait avoir une variété de produits dans une variété de prix, en sachant qu’il y aurait une barrière à l’entrée si on avait des prix trop élevés. Donc, on a beaucoup négocié pour avoir les prix au bon niveau, des prix qui correspondent au marché.

Après, il faut se garder une marge de profit, même si le but n’est pas de faire de l’argent…

Oui, il y a la marge fiscale, les taxes [TPS et TVQ], et on arrive au prix final. Au début, c’est prévisionnel. On a évalué – mais je ne donnerai pas de chiffres –, on a fait des prévisions pour établir une marge [dont on pense qu’elle] va correspondre à ce qu’on va avoir comme frais, comme charges. Tout en tenant compte du fait qu’il faut être au bon niveau de prix dans le marché.

Donc, votre marge est au minimum.

On peut dire ça. Mais on ne connaît pas le volume qu’on va faire, on ne connaît pas l’ampleur que le réseau va prendre, on a des coûts de démarrage importants.

Avez-vous parlé à ceux qui vont vendre du cannabis dans les autres provinces ?

Absolument. On échange beaucoup depuis le début du projet. On s’est aidés. En ce qui concerne les prix, on se rend compte avec Statistique Canada, qui a fait beaucoup d’évaluations, que le marché québécois est un peu plus bas en termes de prix qu’ailleurs au Canada. Alors nous, notre prix d’entrée à 5,29 $ le gramme reflète ça. Ailleurs au Canada, c’est plutôt autour de 7 $, pour l’instant. Alors oui, on s’est parlé sans se donner d’informations trop confidentielles sur les marges et ces choses-là, mais on s’est donné quand même de bonnes indications.

Comment négociez-vous avec les villes qui ne veulent pas de succursale de la SQDC sur leur territoire, comme Laval ?

On ne fait pas de négociation. Pour l’instant, on les laisse [de côté] parce qu’on a suffisamment de travail pour déployer le réseau. Moi, je me suis impliqué là-dedans, et ce qu’on a fait, c’est une démarche auprès des municipalités. Dans un premier temps, ce qu’on veut, c’est faciliter notre travail. Alors on veut des municipalités qui adhèrent [au projet]. Si elles ne veulent pas, on comprend tout à fait, on met ça de côté et on se reprendra.

Vous n’essayez pas d’en convaincre ?

Pas du tout. Pas dans les premiers temps. Puisqu’on veut travailler dans le sens d’une meilleure acceptabilité sociale, si on travaille avec des municipalités qui ont envie de travailler avec nous, s’il y a des pépins, ça va mieux. Et à l’inverse, si on force des gens et qu’il y a des pépins, on va se chicaner, ça n’évoluera pas dans le bon sens. On a fait ce choix-là et c’est payant.

Comment choisissez-vous les locaux ?

Il y a toute la question de la zone. À Montréal, il y a un périmètre de 150 mètres autour des établissements scolaires primaires et secondaires. Le postsecondaire est exclu, d’ailleurs c’est quelque chose qui risque d’évoluer avec le nouveau gouvernement. Après, on a travaillé par exemple avec la Ville de Montréal qui voulait qu’on soit dans le coin ici [près de la Plaza St-Hubert], qu’on soit près des bouches de métro. Après ce genre de critère, on va voir les locaux qui sont intéressants et on négocie.

Pourquoi n’irez-vous pas dans les centres commerciaux avec galerie marchande ?

C’est un choix qu’on a fait au départ parce qu’il y a souvent des attroupements de jeunes. On veut avoir pignon sur rue seulement.

Qu’allez-vous faire après la fin de votre mandat à la Société des alcools du Québec prévue en décembre ?

Je vais prendre le temps d’y penser ! Pour l’instant, mon idée est d’aller vers le conseil, de siéger à des conseils d’administration. Mais tout ça est encore en réflexion.

preuve d’âge à l’entrée des sqdc

« Personne ne sera fiché » 

Les consommateurs de cannabis qui entreront dans les succursales de la Société québécoise du cannabis (SQDC) devront montrer une carte d’identité pour prouver leur âge, mais « personne ne sera fiché », assure le PDG Alain Brunet. « Tout se fait dans l’anonymat. Tout est en place pour protéger la confidentialité, que ce soit en magasin ou dans notre site web », ajoute-t-il. La vérification d’âge se fera par un gardien de sécurité posté à l’entrée des succursales, « mais jamais on ne conserve de données », insiste M. Brunet.

Pour le site web transactionnel de la SQDC, un mécanisme particulier a été mis en place pour que toutes les données nominatives des clients – notamment leur date de naissance, leur adresse et leur numéro de carte de crédit – soient détruites des serveurs une fois la transaction faite. Ce mécanisme n’existe d’ailleurs pas pour le site web transactionnel de la Société des alcools du Québec (SAQ), qui fait les livraisons à domicile. Les clients de la SQDC qui voudront cependant enregistrer une « fiche client » pour ne pas avoir à redonner l’information à chaque transaction pourront le faire. 

— Tristan Péloquin, La Presse

Légalisation du cannabis

Un expert fustige le paternalisme « déplacé » de la SQDC

Malgré du pot vendu 5,29 $ le gramme seulement (toutes taxes incluses) et sa mission de « développer l’acceptabilité sociale » de la marijuana, la Société québécoise du cannabis (SQDC) semble faire dans la « moralisation et la paternalisation déplacée » de sa clientèle, estime le chercheur spécialiste en toxicomanie Jean-Sébastien Fallu.

Présent lors du dévoilement de la succursale de la rue Saint-Hubert, le spécialiste des drogues à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal est de ceux qui voient des avantages au cannabis par rapport à l’alcool. « Le cannabis tue moins que l’alcool, cause moins d’accidents, de violence, et est moins toxique physiquement. Il crée aussi moins de dépendance. On parle de 9 % de dépendance chez les consommateurs de cannabis, contre 16 % pour les usagers de l’alcool », a-t-il plaidé devant la horde de journalistes venue assister au dévoilement de la succursale.

De par la loi, la SQDC devra s’en tenir à une « mission sociale » par laquelle elle cherchera à ne pas augmenter le nombre de consommateurs de cannabis, en interdisant notamment toute forme de marketing. 

« Il n’y aura pas de programme de reconnaissance ou de dégustation » semblables à ceux qu’on trouve dans les succursales de la Société des alcools du Québec (SAQ), a résumé le PDG de la société d’État, Alain Brunet, qui a piloté la mise sur pied de la SQDC.

Jean-Sébastien Fallu voit dans cette approche à deux vitesses une certaine contradiction, qui semble glisser vers la « paternalisation déplacée » des consommateurs de pot. Selon lui, la SQDC devrait plutôt « relaxer » son approche très restrictive de marketing du cannabis, tout en resserrant les règles entourant la vente d’alcool.

« Si on regarde les données froidement, l’alcool est plus dangereux pour soi et pour autrui que le cannabis. En même temps, il ne faut pas banaliser le cannabis au point qu’il soit encouragé et valorisé, en plus d’être consommé avec de l’alcool. Mais si les gens délaissent l’alcool pour aller vers le cannabis, en général, d’un point de vue de santé publique, c’est un plus », croit M. Fallu. 

« Acceptabilité sociale »

L’acceptabilité sociale est l’un des principaux chevaux de bataille de l’industrie du cannabis, qui réclame depuis longtemps que les lois encadrant ses produits soient davantage inspirées de celles régissant l’alcool que de celles sur les produits du tabac. Lors d’une récente visite aux installations du producteur Hexo, à Gatineau, la question de l’« acceptabilité sociale » du cannabis a été évoquée à maintes reprises par la direction.

Le PDG de la SQDC et de la SAQ, Alain Brunet, a d’ailleurs affirmé hier que le « développement de l’acceptabilité sociale » de la consommation de cannabis était l’un des « trois piliers » qui avaient guidé la fondation de la chaîne. « Dans un premier temps, nous allons devoir démystifier [le cannabis], et c’est une question sociale qui va se régler à moyen ou long terme, j’irais même jusqu’à dire que c’est peut-être une question de génération. Ça ne se réglera pas en une année », a-t-il affirmé.

Sans aller jusqu’à dire que le cannabis est moins dangereux que l’alcool, la porte-parole de l’Association pour la santé publique du Québec, Émilie Dansereau, qui a aussi visité la succursale de la SQDC, estime que « le cannabis n’est pas pire que le tabac et l’alcool ». 

« L’OMS estime qu’un décès sur 20 est provoqué par l’alcool. Il faut cependant faire attention : ça fait des années qu’on documente les effets de l’alcool scientifiquement. Pour le cannabis, il n’y a pas de corpus scientifique aussi vaste. »

— Émilie Dansereau, porte-parole de l’Association pour la santé publique du Québec

« N’empêche, si on veut resserrer la mission de la SAQ, ce sera tant mieux », ajoute Émilie Dansereau.

Mme Dansereau s’est dite « impressionnée » par le concept proposé par la SQDC. « Ils respectent complètement l’esprit de la loi », a-t-elle indiqué. 

« Le fait qu’ils vendent du papier à rouler et des joints préroulés, qui sont probablement la pire option pour consommer le cannabis, m’a surprise. J’ai aussi remarqué que la plupart des produits affichent un très haut taux de THC, je me questionne à savoir s’il ne s’agit pas d’une forme d’encouragement à consommer des produits plus puissants », a-t-elle toutefois noté.

« Un exercice délicat »

Hugô Saint-Onge, chef et fondateur du Bloc pot, se montre plus sceptique. « Un des membres du parti a suivi la formation pour devenir employé de la SQDC et a abandonné tant il était découragé. Son impression est que si un client sort de la SQDC sans rien avoir acheté, c’est une réussite. Pour l’État, la consommation de cannabis est comme une toxicomanie. C’est un comportement déviant, et c’est ce qui se dégage de l’approche qui a été présentée », a-t-il estimé.

Adam Greenblatt, militant pro-marijuana de longue date qui travaille aujourd’hui pour le producteur de cannabis Canopy Growth, s’est pour sa part montré plus enthousiaste. « C’est très beau et très professionnel », a-t-il commenté.

« Trouver la balance entre promotion et santé publique est un exercice délicat. Je pense qu’ils ont la bonne balance. Les magasins ne sont pas agressants. Je suis assez fier de constater que le Québec a réussi l’exercice, surtout avec un échéancier aussi serré. »

LÉGALISATION DU CANNABIS

Pas de passe-droit pour entrer aux États-Unis

Les Canadiens qui admettront avoir déjà consommé de la marijuana pourraient se voir refuser l’entrée aux États-Unis, ont averti hier les autorités douanières américaines. Idem pour les milliers de travailleurs de la nouvelle industrie légale du cannabis. Les agents américains auront une « vaste latitude » pour traiter les dossiers au « cas par cas », ce qui laisse présager une certaine confusion à la frontière dans les mois qui suivront la légalisation.

« Inadmissible »

Todd Owen, commissaire adjoint de la U.S. Customs and Border Protection, a lancé une mise en garde aux Canadiens. « L’usage antérieur de marijuana et l’implication dans l’industrie pourraient vous rendre inadmissible en vertu des lois américaines sur l’immigration. Nos agents auront une vaste latitude à la frontière pour questionner les voyageurs sur leurs objectifs et leurs intentions pour déterminer s’ils sont admissibles ou pas. » Les États-Unis ne reconnaîtront pas non plus systématiquement les pardons judiciaires accordés aux Canadiens qui ont déjà été inculpés pour possession simple de cannabis. « Nous ne reconnaissons pas l’amnistie canadienne », a résumé M. Owen pendant une téléconférence.

Lois inchangées aux États-Unis

Les autorités douanières américaines insistent : les lois fédérales des États-Unis sur les drogues n’ont pas changé, même si le Canada a décidé d’assouplir les siennes. « La marijuana est toujours vue comme une substance narcotique illégale en vertu des lois fédérales, a lancé Todd Owen. La possession d’un tel narcotique à la frontière sera passible d’une arrestation et de poursuites, ou de poursuites différées, et vous êtes sujets à une amende de 5000 $. » Le refus de répondre à toute question d’un agent douanier pourrait aussi rendre les voyageurs canadiens inadmissibles à entrer aux États-Unis, a-t-il averti. « Vous ne voulez certainement pas mentir quand vous êtes questionnés par un agent. Les voyageurs doivent convaincre les officiers qu’ils ont des raisons crédibles de visiter le pays. »

Fumeurs et travailleurs

Les Canadiens, qui pourront légalement acheter jusqu’à 30 grammes de marijuana, ne devraient pas être questionnés davantage qu’auparavant sur leur usage récréatif. Mais les officiers auront « une vaste latitude » pour interroger les voyageurs à leur guise s’ils détectent des signes d’un usage excessif de drogue, a précisé le commissaire adjoint de la U.S. Customs and Border Protection. « L’aveu d’un usage illégal de drogue peut rendre quelqu’un inadmissible [à entrer] aux États-Unis. » Les dossiers des milliers de travailleurs de la jeune industrie canadienne du cannabis, par exemple des employés impliqués dans la vente en magasin ou dans la production, seront évalués au « cas par cas » lorsqu’ils tenteront d’entrer aux États-Unis. « Cela dépendra de leur rôle dans leur entreprise et du but de leur visite aux États-Unis », a expliqué Todd Owen.

Pas une surprise pour Ottawa

Un haut fonctionnaire de Justice Canada, qui participait à une séance de breffage avec des représentants de plusieurs ministères fédéraux hier matin, a confirmé à La Presse qu’Ottawa ne s’attendait pas à une clémence particulière des autorités américaines après la légalisation du pot. « On a eu plusieurs discussions, mais on pense qu’au final, les États-Unis sont un pays souverain et vont appliquer les règles qui les intéressent », a-t-il indiqué à condition de ne pas être nommé. « Si les États-Unis décident de limiter l’accès à leur pays à des employés de compagnies de cannabis, ça va être leur choix, a-t-il poursuivi. Ça va être la même chose que des gens qui admettent avoir consommé du cannabis. »

Nouvelle question au Canada

Alors que les États-Unis maintiennent la ligne dure, les voyageurs qui entrent au Canada doivent s’attendre à se faire poser systématiquement une nouvelle question dès ce matin : « Est-ce que vous entrez avec du cannabis ou des produits qui contiennent du cannabis au Canada ? » Un haut fonctionnaire de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a confirmé à La Presse que cette question serait désormais posée à tous les points d’entrée au pays, qu’ils soient terrestres ou aériens. « C’est une façon de s’assurer que les gens seront en conformité avec la loi », a-t-il expliqué. La nouvelle question de l’ASFC sera aussi ajoutée dans les bornes douanières libre-service qu’on trouve dans les aéroports du pays, comme à Montréal-Trudeau.

Entrée et sortie illégales

Même si le cannabis sera légal partout au Canada, avec la possibilité de posséder jusqu’à 30 grammes par adulte, il demeurera illégal de tenter d’entrer au pays ou d’en sortir avec cette substance. Les employés de l’ASFC affectés aux postes frontaliers ne s’attendent à aucun surcroît de travail lié à la légalisation du cannabis, a indiqué à La Presse Jean-Pierre Fortin, président national du Syndicat des Douanes et de l’Immigration. « L’importation de cannabis demeure illégale. Pour nous, c’est business as usual. »

Vers les drogues dures ?

À Ottawa, l’opposition conservatrice a continué hier de déplorer la légalisation du cannabis et le manque d’information offerte aux jeunes. Le député Gérard Deltell a estimé que cette banalisation de la marijuana pourrait faciliter la transition vers l’usage de « drogues dures ». Questionnée à ce sujet, la ministre de la Santé Ginette Petitpas Taylor a répété la ligne habituelle du gouvernement. « Le système actuel face au cannabis ne fonctionne pas au Canada. Les jeunes ont accès à du cannabis. C’est presque aussi facile pour eux d’acheter du cannabis que d’acheter des cigarettes. C’est donc pour cette raison-là que nous allons de l’avant pour protéger nos jeunes. Nous prenons une approche de santé publique pour s’assurer que l’information est donnée aux Canadiens et aux Canadiennes. »

Trudeau se veut rassurant

Le premier ministre Justin Trudeau a lui aussi tenté de se montrer rassurant envers les parents inquiets des impacts de la légalisation, pendant un bref point de presse au parlement. Il s’est aussi défendu de faire la promotion du cannabis avec cette mesure. « On va avoir des conversations et les parents vont avoir des conversations avec les enfants pendant longtemps. On n’est pas en train de contrôler le cannabis parce qu’on pense que c’est bon pour la santé. Au contraire, on est en train de contrôler le cannabis parce qu’on sait que c’est pas bon pour nos enfants, c’est pas bon, c’est un produit qui n’est pas recommandé, ce n’est pas un produit de santé. Mais on sait que nous nous devons de faire une meilleure job pour protéger nos enfants et pour éliminer ou réduire massivement les profits qui vont au crime organisé. »

Possession simple de marijuana

Ottawa pourrait accélérer les demandes de pardon

Les Canadiens qui ont déjà été reconnus coupables de possession simple de marijuana pourraient bientôt bénéficier d’un processus accéléré de « pardon », ont déclaré hier des responsables fédéraux. Le premier ministre Justin Trudeau a dû faire face à des pressions intenses, y compris au sein même de son caucus, pour se pencher sur cet enjeu de suspension du casier judiciaire, en raison des conséquences de telles accusations de possession simple pour les Canadiens marginalisés. Lors d’une séance d’information, hier, des responsables fédéraux ont déclaré aux journalistes que les discussions au sein de l’appareil gouvernemental avaient porté sur l’accélération des demandes de pardon, mais pas sur une amnistie générale des inculpés. — La Presse canadienne

Légalisation du cannabis

Le contre-exemple de la Californie

Dans cet État, les ventes du marché légal ont baissé après la légalisation du cannabis récréatif.

Québec — Que se passe-t-il quand le cannabis légal est plus cher que l’illégal, dans un endroit où le marché noir est bien établi depuis des dizaines d’années ? Il peut se passer ce qui s’est produit cette année en Californie, où la légalisation n’a pas encore réussi à assommer le marché noir.

C’est l’avertissement que lance un analyste californien spécialisé dans le cannabis. Tom Adams, de la firme BDS Analytics, prévient la Société québécoise du cannabis (SQDC) : si elle veut battre les dealers, elle devra être préparée à se mesurer à une machine bien huilée et à rivaliser avec ses prix.

« Il faut rendre le marché légal plus intéressant que le marché illégal sur tous les plans : de meilleurs prix, de meilleurs produits, un système de vente plus pratique… Tous ces aspects devraient être améliorés par la légalisation », lance Tom Adams en entrevue.

BDS Analytics est une firme de recherche spécialisée dans le cannabis. Elle a beaucoup écrit sur la légalisation en Californie, le plus grand marché aux États-Unis. Le cannabis y a été légalisé le 1er janvier dernier.

Recul du marché légal

Mais l’expérience après neuf mois a été en partie décevante : loin de balayer le marché noir, le marché légal du cannabis a même… perdu des plumes dans les premiers mois.

Il s’était vendu pour 3 milliards de dollars américains de cannabis médical en 2017 en Californie. BDS Analytics prévoyait que la légalisation ferait passer ce chiffre, en y incluant le tout nouveau cannabis récréatif, à 3,8 milliards.

Or, à la lumière de premiers mois décevants, les analystes révisent maintenant leurs chiffres. BDS anticipe maintenant des ventes totales sous la barre des 3 milliards en 2018. En d’autres mots, il devrait se vendre moins de cannabis légal après la légalisation qu’avant.

« La Californie va probablement devenir le premier État qui aura légalisé l’usage du cannabis récréatif et aura vu le marché légal baisser après un an. »

— Tom Adams, de la firme BDS Analytics

« Au Colorado, dans l’État de Washington et en Oregon, on a vu des croissances importantes de 55 % à 90 % dans les premières années après la légalisation », affirme Tom Adams.

Cette situation est attribuable à plusieurs facteurs. La Californie avait un marché du cannabis médical très développé et très peu réglementé. « Ça, c’est très différent du Canada », note Tom Adams.

Mais selon lui, les résultats décevants s’expliquent aussi par le prix élevé du gramme de cannabis en Californie, où les taxes et les régulations font mal au marché légal, croit-il.

« Les taxes et les règlements en place en Californie représentent environ 77 % du prix. Ce poids-là, le cannabis illégal n’a pas à le supporter », dit-il. Résultat ? Selon lui, le cannabis légal se vend en ce moment plus cher que l’illégal.

« Mais si les prix ne baissent pas avec la légalisation, alors plusieurs consommateurs vont se demander pourquoi passer au marché légal », prévient-il.

Un marché noir florissant au Québec

L’été dernier, la firme Marketview a sondé 1419 Californiens qui avaient consommé du cannabis récemment, soit après la légalisation, et 18 % ont admis l’avoir acheté sur le marché noir.

« Le marché noir du cannabis existe depuis la nuit des temps. Il possède un réseau de distribution sophistiqué, bien huilé. Plusieurs consommateurs de cannabis étaient satisfaits de ce système, dit Tom Adams. Personne ne voulait se faire arrêter, bien sûr. Mais le marché noir arrivait à faire parvenir le produit au marché. »

Au Québec, la SQDC va s’attaquer au deuxième marché noir en importance au pays, derrière celui de la Colombie-Britannique. La province de l’Ouest a produit 36 % de tout le cannabis – illégal et médical – au pays l’an passé, selon Statistique Canada. Le Québec en a produit 31 %, loin devant l’Ontario (22,7 %).

Différents acteurs du marché noir à qui nous avons parlé dans les derniers mois se sont dits capables de survivre à la légalisation.

Selon eux, la décision par Québec d’interdire la culture de plants à domicile va jouer en leur faveur. « Permettre ça, ça nous aurait fait très mal », nous disait récemment en entrevue l’un d’eux, qui a préféré garder l’anonymat.

Le marché noir au Québec représenterait 1,2 milliard de dollars et emploierait à divers degrés plus de 45 000 personnes à l’heure actuelle, selon Yanick Charette, professeur adjoint à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval qui s’est intéressé à la question.

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