Dernier numéro imprimé de La Presse

De camelot à journaliste… à camelot

La chaleur d’un lit peut créer des vocations. Un matin de janvier 2004, le fils de Pierre Fournier a décidé de rester couché plutôt que de distribuer La Presse, abandonnant les lecteurs du Vieux-Longueuil à leur triste sort et obligeant son père à le remplacer. Quatorze ans plus tard, c’est toujours le père qui se lève au milieu de la nuit pour passer de porte en porte.

Avec la fin de l’édition imprimée de La Presse, plus de 700 camelots raccrocheront leurs besaces et nettoieront leurs doigts tachés d’encre pour la dernière fois aujourd’hui. Une retraite obligée pour ces spécialistes du froid et de la pluie, des escaliers glacés et des chiens zélés. À l’heure où le matin se confond avec la nuit.

Pierre Fournier tire sa révérence sans amertume. Les réveils à 2 h 40 le samedi matin sont difficiles, mais c’est surtout l’impossibilité de s’absenter pour de longues périodes qui posait problème.

« Je suis très serein, il n’y a pas de problème. J’aurais continué, mais j’ai 61 ans et ma femme est à la retraite. On veut faire du camping et ce serait agréable de faire des séjours plus longs que du samedi au vendredi… », dit celui qui a déjà travaillé au service de l’information de Radio-Canada.

Avec quelque 200 adresses à desservir en quelques heures, le remplacement était compliqué : son parcours s’est graduellement élargi à mesure que des lecteurs passaient à La Presse+ et annulaient leur abonnement.

L’absence pour l’installation d’urgence d’un pacemaker, l’automne dernier, a prouvé que l’expert-camelot était essentiel. « Il y a eu beaucoup de plaintes ce samedi-là », relate-t-il.

À vélo

Pierre Fournier passe d’une maison à l’autre au pas de course, souvent un exemplaire dans chaque main et revenant fréquemment se ravitailler à son auto. Moteur ne rime pas avec paresse dans son cas : la distribution des journaux demeure un long sprint essoufflant. Il a calculé que juste en allers-retours, il parcourt tout de même environ neuf kilomètres par tournée.

Il ne s’ennuiera pas, mais il aimait tout de même bien sa sortie quotidienne, devenue hebdomadaire fin 2015. « Je me suis rendu compte que ça me faisait faire une marche d’une heure par matin tous les matins, ce qui n’est pas une mauvaise affaire », relate M. Fournier à coup de quatre ou cinq mots, entre deux adresses.

« Je me suis rendu compte que j’aimais voir le soleil se lever, que c’était agréable. C’est moins agréable à - 20 ou pendant une tempête de neige, mais sur l’année, il y a deux mois où c’est difficile. »

— Pierre Fournier

Le camelot jure qu’il prend son vélo la plupart du temps – même en hiver. Sa femme, elle aussi une ancienne journaliste de Radio-Canada, lui a cousu des bandes réfléchissantes sur son vieux manteau bleu. Lui s’est bricolé une petite remorque pour traîner les kilos de journaux qu’il doit distribuer à ses voisins longueuillois. Le journaliste de Gravel le matin qui s’est attiré les foudres du camelot en annulant son abonnement, la vedette de District 31 qui est demeurée fidèle ou le retraité de Radio-Canada qui devra faire son deuil à partir d’aujourd’hui : M. Fournier connaît son parcours par cœur.

Devant la résidence La Sittelle, le seul lecteur qu’il verra de sa matinée : Bruno, qui l’attend chaque matin à 4 h pour recevoir en main propre sa copie.

De camelot à camelot

Les 14 dernières années ont constitué une seconde tournée pour Pierre Fournier :  le sexagénaire distribuait la Gazette à Hampstead dans les années 60-70. « C’était la belle époque où tout le monde prenait le journal », se souvient-il, sans jamais arrêter sa tournée. « Je n’ai jamais pensé que je recommencerais à faire ça. [Les levers au petit matin], j’ai trouvé que c’était beaucoup plus facile à 50 ans qu’à 15. »

Entre les deux, il ne s’est pas trop éloigné des manchettes de La Presse, notamment en travaillant de nuit au service de l’information de Radio-Canada pendant une vingtaine d’années. Il travaille maintenant comme traducteur à partir de sa maison du Vieux-Longueuil.

Selon lui, ses confrères camelots ne correspondent pas non plus à l’image d’Épinal de l’écolier qui distribue ses exemplaires sur le chemin de l’école. « Les jeunes ne veulent plus faire ça aujourd’hui », assure-t-il. Ils préfèrent peut-être demeurer dans la chaleur de leur lit au petit matin. Avec leur iPad sous l’oreiller ?

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