Opinion Le Québec dans l’œil du monde

Comment peut-on encore avoir peur
en 2018 ?

Combien de fois avons-nous lu que l’éducation, l’information et la liberté d’expression étaient les meilleurs outils pour faire disparaître la peur de notre société ? Un véritable javellisant contre l’obscurantisme et la désinformation.

Durant les grandes guerres, nos médias n’avaient pas les mêmes moyens. Au Moyen Âge, la presse était plutôt embryonnaire. Au temps des monarchies, les crieurs publics n’avaient pas tout à fait la même fonction et bon nombre d’auteurs se voyaient mettre à l’index ou disparaissaient tout simplement.

Il est donc permis de croire que le XXIe siècle est celui de la transparence, de l’intégrité et surtout de la sérénité. Terminée la peur. Haro sur la terreur, la désinformation et sur le dogmatisme. La multiplication des médias et la montée des réseaux sociaux devaient tuer définitivement le contrôle outrancier de l’information.

Seulement voilà, le diagnostic de notre écosystème médiatique ne ressemble pas beaucoup à ce qu’on avait prévu. Le fou du village qui nous faisait peur en nous annonçant tous les cataclysmes il y a un siècle est encore là. Il est plus dangereux, car il prend bien des formes. Aujourd’hui, c’est parfois un troll des réseaux sociaux, un chroniqueur hyper actif ou un président américain.

Le volume global de nouvelles auquel vous êtes exposés croît année après année, mais l’actualité meurt de plus en plus rapidement. Nous avons de moins en moins de temps pour comprendre, ingérer et nous faire une tête sur les phénomènes de société. Notre sens critique n’a pas le recul nécessaire. Sans nous en rendre compte, nous remplaçons progressivement le scepticisme par le cynisme.

Nous savons de plus en plus de choses. Nous avons de moins en moins les moyens et le recul pour les comprendre. Même si elle est bombardée de données, l’intelligence humaine requiert du temps pour digérer le contenu. Lui donner une perspective. Donner un sens au chaos.

Or, il n’y a que 4 % de l’actualité qui a une espérance de vie d’une semaine. Près de 75 % des sujets disparaissent en 120 minutes. La cadence est trop rapide pour gérer ce flot d’informations.

En plus d’accélérer la tendance, les Twitter, Facebook et compagnie ont contribué à changer la donne. Le réseau social se conjugue à la première ou à la deuxième personne du singulier.

«  JE pense que TU es comme ça.  »

En appelant un engagement personnel, le réseau social mise sur l’émotivité, parfois même exacerbée.

Parallèlement, les médias traditionnels s’éloignent progressivement de leur pragmatisme historique. La montée de l’opinion, la concurrence féroce et le désir de suivre la mouvance des réseaux sociaux sont des facteurs qui font que nos médias rationalisent de moins en moins l’information, misant sur l’émotivité plutôt que d’expliquer l’émotion.

Parmi la gamme d’émotions disponibles, la peur est sans doute l’une des plus rentables qui soient.

Il n’est pas toujours nécessaire de lui donner un sens. Souvent, une image suffit. Elle est multiculturelle et universelle. Elle s’adapte à toutes les circonstances.

L’immigration, les pitbulls, l’extrême droite, le terrorisme, les crises de santé publique, la corruption et même le président Trump peuvent servir de tremplin. Dans certains reportages, on croirait que la peur n’est pas l’épice, mais plutôt le sujet du moment.

Et quel est le dernier rempart face à ceci ? La police. La police, avec ses histoires d’écoutes électroniques et les enchevêtrements de l’UPAC, gagnerait à se faire plus rassurante. On y gagnerait tous.

Parlant d’affaires policières, les faits divers ont occupé près de 12 % de l’actualité en 2017. C’est 50 % de plus qu’il y a 10 ans seulement. Pourtant, la plupart des spécialistes affirment que nous n’avons jamais vécu dans une société si paisible.

En 15 ans, la peur a gagné du terrain. Elle a crû de 300 %. En 2016, près de 40 % de l’actualité utilisait la peur comme point d’ancrage.

Quand on a peur, on fait appel aux instincts plutôt qu’à la raison. Il ne faut alors peut-être pas s'étonner que 2017 ait été marquée par l’intolérance. Il ne faut pas s’étonner d’avoir autant entendu parler des groupes d’extrême droite.

Mais ce serait trop facile d’incomber tous ces torts aux médias.

Si nous prenions tous la peine, plus souvent, de diversifier nos sources d’information, de moins limiter nos lectures aux grands titres et de ne jamais republier des liens sans les avoir validés par une lecture attentive, ne serait-ce pas un bon départ ?

Et, en cas d’intoxication sévère, pourquoi ne pas prendre une pause de l’actualité, une journée par mois ? Vous verriez le lendemain que le monde n’a pas vraiment changé.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.