TENDANCE

Le « bad boy des charcuteries »

Salé, gras, lourd, cher : malgré ses nombreux défauts, le bacon soulève les passions. Son côté interdit nous attire, mais c’est surtout son goût qui retient notre attention. Pourquoi cette simple viande transformée fait-elle l’objet d’autant d’attention ?

« Ce n’est peut-être pas bon pour le cœur, mais c’est bon au goût », s’exclame Bob le Chef, de son vrai nom Robert James Penny. Le logo de son site L’Anarchie Culinaire selon Bob est coiffé de trois tranches de bacon. Si la charcuterie doit avoir un porte-parole, Bob le Chef est la personne toute désignée. Plusieurs recettes de son site contiennent du bacon. Il a déjà fait des publicités pour Lafleur et il sera le porte-parole du premier Festival du bacon à Sherbrooke les 16 et 17 mai.

Comme une chanson que tout le monde s’approprie et qui a été l’unique succès d’un artiste, le bacon est l’équivalent d’un « one hit wonder », selon Bob le Chef. « C’est le bad boy des viandes, dit-il. C’est une mode. C’est cyclique. Tous ceux qui aiment le bacon en ce moment vont être morts dans 10 ans. »

Un constat brutal que partage Alex Sereno, chroniqueur et animateur du site On s’en food. « C’est un aliment culte. Comme toute mode, ça va faire son temps. » L’animateur adore littéralement le bacon et il aime préparer des recettes décadentes sur son BBQ la fin de semaine avec « ses chums de gars », pour reprendre son expression. « Tout pour avoir mal au bras gauche », dit-il en parlant de ses expériences culinaires avec le bacon. Un ex-beau-père lui a même appris à réutiliser le gras de cuisson pour faire cuire ses œufs.

L’ALIMENT INTERDIT

Influencé par le chef Chuck Hughes, qui a une tranche de bacon tatouée sur le bras, Francis Laplante, auteur du blogue Tranche de pain et président du FoodCamp, qui aura lieu les 18 et 19 avril à Québec, cuisine beaucoup la viande salée. Il achète du flanc de porc qu’il fait confire dans le gras de canard pour ensuite le faire revenir dans la poêle. « Ça n’a pas de classe, mais c’est délicieux », souligne-t-il. Mais l’aliment vaut-il la peine au point de se boucher les artères ? « C’est quelque chose d’illégal. C’est gras, c’est riche. T’as pas le droit, mais tu en manges pareil. C’est le côté interdit qui ajoute du croquant dans l’aventure de la vie », répond le blogueur, qui souligne tout de même faire attention à sa santé en réduisant sa consommation de bacon à une fois par semaine.

C’est tout de même la passion du bacon, née un peu autour d’une blague, qui pousse Alexandre Leclerc à concevoir, avec des partenaires, la seule boutique entièrement consacrée à la charcuterie au Québec. La Baconnerie ouvrira ses portes à Québec au mois de juin. « Je suis un fan de bacon. J’en mets partout », indique-t-il. Différentes sortes et saveurs de bacon y seront vendues en plus des produits dérivés, par exemple de l’antisudorifique.

Avec autant d’engouement, ce n’était qu’une question de temps avant qu’il y ait un festival du bacon au Québec. Les États-Unis en comptent plusieurs. « C’est un culte au Québec, indique la directrice de l’événement, Leslie Tran. Ceux qui sont fans de bacon ne le sont pas à moitié. C’est une passion, c’est presque une secte. Certains nous disent en manger un ou deux paquets par semaine. Ce n’est pas une rébellion contre la nutrition, mais ils se gâtent. »

Une mode ? Pas tant que ça, s’il faut croire la chef de marque de Lafleur, Claude Vézina. « La tendance est en croissance pour la popularité du bacon, explique-t-elle. Je dirais que c’est une mode, mais je ne crois pas qu’elle va diminuer. L’engouement pour le bacon est lié au fait que c’est un aliment tellement savoureux. C’est un plaisir coupable. On en veut, on aime ça, mais on sait qu’on ne peut pas en abuser, car c’est gras. » Son collègue Richard Vigneault, directeur des communications pour Olymel, renchérit : « C’est une tendance nord-américaine. Au Québec, on a beaucoup de foodies qui cuisinent, qui aiment aller au restaurant. »

CONÇU POUR LUI, MAIS AUSSI POUR ELLE 

Masculin, le bacon ? « Les hommes sont les principaux acheteurs, plus que les femmes. Pas une énorme différence, mais les hommes en consomment davantage », confirme Claude Vézina, de chez Lafleur. « C’est mâle. Très lumbersexuel, illustre de son côté Bob le Chef. Le bacon a un côté Ovila Pronovost, où on travaille fort au champ toute la journée, on a une barbe, et ensuite on mange quelque chose de gras. »

Pourtant, au restaurant Brutus de la rue Beaubien, à Montréal, la clientèle féminine est attirée par les plats gargantuesques composés de bacon. « Étonnamment, il y a beaucoup de filles, explique le copropriétaire Anthoni Jodoin. Nous étions curieux, avant d’ouvrir, de savoir si les femmes allaient être attirées par le concept, car elles ont souvent en tête de bien manger. Mais il y a énormément de femmes, peut-être même plus que d’hommes, qui viennent ici. »

PHÉNOMÈNE VIRAL 

Le bacon vit des heures de gloire sur l’internet et les réseaux sociaux. « L’internet, c’est un terrain de jeu pour les vidéos de chat et les recettes de bouffe avec du bacon », blague Anthoni Jodoin, du Brutus. Le site On s’en food tourne à plein régime lorsqu’il est question de bacon. « Si je mets quelque chose d’insignifiant avec du bacon, j’ai une grande portée, raconte Alex Sereno, qui fait aussi de la veille stratégique sur l’internet. C’est 100 % ludique. Il n’y a rien à apprendre. » Bob le Chef mesure aussi la différence. « Si je mets une photo de mac and cheese sur Instagram, je reçois 200 clics “j’aime”. Si j’y ajoute du bacon, j’en reçois le double. »

Le bacon est donc une passion, sans mauvais jeu de mots, imprégnée dans le cœur de plusieurs amateurs.

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