OPINION

LETTRE À LA MINISTRE DE LA SANTÉ FÉDÉRALE L’évaluation des pesticides est-elle entre les mains de Monsanto ?

Madame la ministre Ginette Petitpas Taylor, la semaine dernière, un juge américain a statué que certains des pesticides les plus vendus au Canada avaient contribué au cancer de DeWayne Johnson et que Monsanto avait sciemment caché ces risques.

Pas plus tard que l’année dernière, vous affirmiez encore que l’ingrédient actif de ces pesticides – le glyphosate – ne posait pas de risques inacceptables pour les Canadiens. À n’en point douter, ce verdict vous oblige à reconsidérer cette conclusion. 

Ce n’est pas seulement ce verdict qui devrait vous inquiéter, toutefois. Le procès a divulgué des documents qui révèlent que Monsanto a eu recours à des prêtes-plumes pour colporter de faux faits scientifiques minimisant les risques de cancer de ses produits malgré le fait que l’entreprise connaissait l’ampleur réelle de ces risques depuis des décennies. Elle investit massivement dans son service interne – « Freedom to Operate » – qui a pour mandat de réfuter toute étude scientifique, tout chercheur ou tout organisme de réglementation qui tente de révéler le potentiel cancérogène du glyphosate. 

Des documents internes révèlent encore que Monsanto a négocié directement avec des scientifiques de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (EPA) afin qu’elle minimise l’évaluation des risques de cancer.

Puis, des représentants de l’EPA ont tout fait en leur pouvoir afin que Monsanto ait la voie libre, tout en empêchant les autres chercheurs d’étudier les liens entre le glyphosate et le cancer. À la suite d’un tel comportement outrepassant les politiques et les lignes directrices de l’EPA, le département américain de la Justice a ouvert une enquête. 

Au-delà des États-Unis, le Canada

Ce problème ne touche pas seulement les États-Unis. L’évaluation du glyphosate par Santé Canada a été menée conjointement avec l’EPA, et se fonde en grande partie sur des recherches effectuées par Monsanto pour tirer ses conclusions. 

En juillet 2017, Équiterre et ses partenaires déposaient un avis d’opposition à Santé Canada sur son évaluation du glyphosate, soulevant des inquiétudes sur le fait que cette dernière avait échoué à considérer et avait même rejeté d’importantes données scientifiques sur les risques du glyphosate pour la santé publique et les écosystèmes. 

Considérant les preuves révélées en cour et le verdict lui-même, nous vous exhortons à revoir la décision de votre ministère de réautoriser l’utilisation du glyphosate au Canada pour les 15 prochaines années. Il n’est plus possible de conclure en toute confiance que le glyphosate ne pose aucun risque inacceptable pour notre santé. 

Donnez aux Canadiens l’assurance que votre décision n’est pas influencée par les géants de l’industrie agrochimique, mais plutôt fondée sur des données scientifiques crédibles comme l’exigent les lois et les politiques de votre gouvernement, et comme le méritent les citoyens. 

L’Allemagne, la France et l’Autriche ont pris des mesures afin de restreindre sévèrement ou de bannir l’utilisation du glyphosate au cours des trois à cinq prochaines années. Nous vous exhortons à mener une nouvelle évaluation du glyphosate, à créer un comité formé de scientifiques indépendants pour mener cette évaluation, et à décider à nouveau si le glyphosate est suffisamment sûr pour être utilisé au Canada.

Nous demandons également que vous lanciez une enquête interne quant à la validité des documents consultés par l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA), ses procédures, ainsi que sa collaboration avec l’EPA et Monsanto afin d’établir si Monsanto, l’ARLA ou les fonctionnaires canadiens ont menti ou agi à l’encontre de la loi au cours de la procédure qui a mené à la reconduction de l’homologation du glyphosate. 

La crédibilité du processus d’évaluation auquel vous soumettez les pesticides – et bien sûr notre santé – est compromise si vous ne prenez pas immédiatement les mesures qui s’imposent.

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