Frappes américaines en Syrie

Et maintenant ?

Les frappes américaines contre l’aéroport militaire de Homs, en Syrie, sont-elles susceptibles de changer la donne de ce conflit meurtrier qui vient d’entrer dans sa septième année et a déjà fait plus de 400 000 victimes ?

Ce n’est pas impossible, mais c’est peu probable. Et le cas échéant, il est loin d’être sûr que le changement serait pour le mieux…

Pour la première fois, donc, depuis le début du conflit, Washington est intervenu militairement sur le territoire de la Syrie. Voilà pour les certitudes. Au-delà de ce constat, cette attaque soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.

Première inconnue : quelles sont les véritables intentions de l’administration Trump ? Voulait-elle seulement marquer une limite, montrer à Damas qu’il avait franchi la fameuse « ligne rouge » au-delà de laquelle il s’exposait à des représailles ?

C’est ce qu’a affirmé la Maison-Blanche, deux fois plutôt qu’une, dans les heures qui ont suivi la pluie de missiles américains.

Dans ce cas, la punition infligée au régime Assad risque d’avoir un effet plus symbolique que réel. Oui, elle permet de mettre le poing sur la table. Mais après ?

« Le poids des armes chimiques dans l’équilibre des forces sur le terrain est relativement mineur », souligne Thomas Juneau, politologue à l’Université d’Ottawa.

Pour dire les choses plus crûment, l’impact des armes chimiques est spectaculaire et terrifiant. Les images d’enfants qui agonisent, les pupilles dilatées sous l’effet des gaz neurotoxiques, glacent le sang. Mais leur pouvoir de destruction est moins grand que celui des bombes et des obus qui pleuvent chaque jour sur Idlib et les autres villes de la Syrie encore contrôlées par les rebelles – sans mériter la moindre mention dans les médias internationaux.

« Dire à Bachar al-Assad qu’il ne doit plus utiliser les armes chimiques, c’est une bonne chose, note Sarwat Bashi, Syrien originaire d’Alep établi à Montréal. Mais si ça équivaut à dire qu’il est libre de bombarder la Syrie avec des barils d’explosifs, c’est un mauvais message… »

Alors, que veut vraiment Donald Trump ? A-t-il agi par impulsion, révolté par les images insoutenables qu’il a vues sur l’écran de sa télévision ? Veut-il vraiment s’arrêter là ?

Le cas échéant, en sera-t-il capable ? Car une fois déclenché, l’engrenage militaire ouvre des perspectives imprévisibles. Dont celui d’une escalade dans un conflit déjà largement internationalisé.

Ce qui nous amène à une autre grande inconnue : quelles seront les réactions des autres acteurs de ce conflit à la frappe américaine, et plus particulièrement, celles de la Russie ?

Hier, Moscou y a réagi avec indignation, dénonçant une action militaire jugée illégale. Mais aux yeux de Mokhtar Lamani, ancien émissaire de l’ONU à Damas, en réalité, les Russes sont peut-être contents que leur encombrant allié se soit fait taper sur les doigts.

Ce dernier rappelle que le secrétaire d’État américain Rex Tillerson doit se rendre à Moscou la semaine prochaine, pour y rencontrer, pour la première fois, le président Vladimir Poutine. Une rencontre qui donnera peut-être des indications plus claires sur l’avenir des relations entre la Russie et l’administration Trump, une fois que la poussière des derniers jours sera un peu retombée.

Les Russes n’étaient pas nécessairement ravis par l’attaque chimique de mardi, renchérit Thomas Juneau. « Tout ce qui risque de faire entrer les Américains en Syrie constitue une mauvaise nouvelle pour eux. » Il ajoute que le régime syrien connaît des fissures et qu’il n’est pas non plus clair que ce soit Bachar al-Assad lui-même qui ait commandé l’attaque sur Khan Cheikhoun… ce qui ajoute une couche de mystère supplémentaire à cette équation à plusieurs inconnues.

Éventuellement, cela pourrait ressusciter le scénario d’un changement de régime à Damas. S’il s’entête à vouloir garder chaque centimètre carré de son pays torturé, s’il rejette tout scénario de compromis, Bachar al-Assad pourrait devenir l’électron incontrôlable dont tous voudront se débarrasser…

Mais après six ans de guerre qui a conduit à une ultra-fragmentation de la société syrienne, l’effondrement du régime créerait un vide de pouvoir où tous les démons libérés par ce conflit risqueraient de s’engouffrer. Une perspective effrayante, aux yeux de Thomas Juneau.

Vous croyez que la situation en Syrie ne pourrait pas être pire qu’elle ne l’est aujourd’hui ? Pas si sûr…

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Chez les opposants syriens, après une réaction positive devant une première action militaire concrète contre le régime de Bachar al-Assad, ce qui prime, c’est le scepticisme et la méfiance.

« J’ai été contente en voyant les frappes », confie Rand Sukhaita, Syrienne née à Khan Cheikhoun, aujourd’hui exilée en Turquie. Elle imagine que ses amis et proches vivant dans la région d’Idlib auront droit à une pause dans les bombardements qu’ils subissent presque quotidiennement. Ils jouiront peut-être d’une semaine de répit ? Ou deux ?

« Mais nous savons que Trump n’a pas fait ça pour nous, ou pour des raisons humanitaires, mais pour ses propres besoins politiques », dit cette jeune femme qui espère néanmoins que d’autres aéroports militaires seront ciblés à leur tour…

Le journaliste Wael Alharba, réfugié en Turquie lui aussi, ne croit pas davantage à la bonne foi de Washington. À ses yeux, l’attaque américaine, c’est « de la bouillie pour les chats », ni plus ni moins. Une manière de canaliser la colère après le bombardement chimique, sans conséquences réelles.

Ce qui nous ramène à l’inconnue numéro un : Trump a-t-il vraiment un plan pour la Syrie ? Nous réserve-t-il d’autres virages à 180 degrés comme celui de jeudi ?

A-t-il définitivement abandonné la doctrine de Barack Obama, selon qui seule une solution politique pouvait mettre un terme au carnage syrien ? Va-t-il se désintéresser des négociations de Genève, qui ont repris péniblement, fin mars ?

Les signaux en provenance de la Maison-Blanche restent pour l’instant aussi confus que chaotiques.

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