« Cher Gap,
Je m’appelle Alice Jacob et j’ai presque cinq ans et demi. J’aime les t-shirts cool, comme ceux de Superman, de Batman et de voitures de course. Tous vos chandails pour filles sont roses, avec des princesses et des trucs comme ça. Les chandails des garçons sont vraiment cool. Ils sont avec Superman, Batman, du rock et des sports. Qu’en est-il des filles qui aiment ces choses comme moi et mon amie Olivia ? Pouvez-vous faire des t-shirts de filles cool, s’il vous plaît ? Ou pouvez-vous créer une section “ni garçon ni fille” dans vos magasins – seulement une section pour enfants ?
Merci,
Alice Jacob »
Dictée par une petite Américaine à sa mère, cette lettre a été publiée en mars dans The Washington Post. Surprise : Jeff Kirwan, président et chef de la direction de Gap, lui a répondu.
« Tu sembles être une enfant très cool, avec un grand sens du style », lui a écrit M. Kirwan. Après avoir précisé que GapKids essaie de « toujours offrir un large éventail de styles et de choix pour les filles et les garçons », le président s’est montré ouvert au changement. « Tu as raison, je pense que nous pouvons faire un meilleur boulot, en offrant encore plus de choix qui plaisent à tout le monde, a-t-il indiqué. J’ai parlé avec nos concepteurs et nous allons travailler sur des choses encore plus amusantes qui te plairont, je crois. » Il a annoncé à Alice la mise en vente prochaine d’un t-shirt pour filles à motif de… Chewbacca, le guerrier poilu de Star Wars.
Cet automne, les magasins Gap offrent – au rayon filles – des chandails ornés de Saturne, d’un dinosaure ou encore d’instruments scientifiques (microscope, bécher et éprouvette). En plus des incontournables t-shirts à motifs de licornes ou de papillons, qui n’ont pas disparu pour autant.
Fini les rayons par sexe
La chaîne néerlandaise Hema, présente dans sept pays, a supprimé les rayons filles et garçons dans 300 de ses magasins, ont rapporté en septembre plusieurs médias français. Pour les remplacer, une seule section pour enfants. Pareil dans les magasins britanniques John Lewis, ce qui a suscité la grogne d’utilisateurs des médias sociaux, qui semblaient ignorer que la chaîne continue de vendre des robes et des chemises. La différence, c’est surtout que des vêtements au genre neutre – comme un tricot jaune foncé – ne sont plus réservés à un sexe.
Dans les centres commerciaux du Québec, le meilleur et le pire se côtoient. L’Aubainerie vend un amusant chandail rayé noir et blanc avec la mention « Jamais en rose ». Ainsi qu’un autre proclamant « Trop cute pour toi », qui renforce l’idée qu’une fillette doit être jolie – davantage que les autres. Zara offre un chouette t-shirt gris foncé orné de chevaux, pouvant plaire aux filles comme aux garçons. Et un body pour enfant décoré du logo de Barbie…
The Children’s Place propose un chandail rose avec la mention « Princess » (princesse) écrite en doré, mais d’autres ont des messages plus positifs, comme « Smart Girls Rule » (les filles intelligentes règnent). Quant aux garçons, ils sont « Undefeatable » (imbattables) ou des « Space Genius » (génies de l’espace), selon la chaîne américaine.
Les designers offrent heureusement plus de diversité.
« Je ne comprends pas qu’il y ait encore autant de vêtements pour enfants catégorisés strictement pour filles ou garçons. »
— Pétronille Gillet, créatrice de Blacksnaps
La marque montréalaise propose par exemple un t-shirt noir décoré d’un citron.
« Il est très important pour moi de ne faire que des collections unisexes, dit Mme Gillet. C’est une des priorités de mon entreprise. Ce sujet me touche tout particulièrement, car mon petit gars est encore très souvent jugé par rapport à ses vêtements ou ses cheveux longs. »
Les enfants désirent… du confort
Que veulent les enfants ? Aude Le Dubé, propriétaire de la marque Coton mouton, a récemment réuni des fillettes pour sonder leurs envies. « Tout ce qui les intéresse, c’est le confort, constate-t-elle. Dans les couleurs, les plus jeunes sont attirées par le rose. Mais dès 8 ou 9 ans, elles m’ont dit qu’elles adorent le noir et le bleu marine. Je pense que c’est le reflet de ce qu’elles voient leur maman porter. Sinon, elles aiment le jaune, le rouge, le bleu, mais le rose arrive loin, loin derrière. Le plus drôle, c’est quand je leur ai demandé si elles aimaient les robes. Elles m’ont répondu : “Pas particulièrement, sauf si elles ont des poches !” »
Romane Duval, 7 ans, une des enfants ayant participé à la séance photo de La Presse, a préféré le kangourou noir à motif de planète, parmi les vêtements essayés. Pourquoi ? « Avec la planète Saturne, il est beau et plein de couleurs », a-t-elle répondu. Les filles peuvent-elles devenir astronautes pour aller explorer des planètes ? « Mais oui, les filles aussi ! », s’est-elle exclamée.
« La mode unisexe permet non seulement de briser les barrières entre les sexes dès le jeune âge, observe Mary-Jo Dorval, designer de Kid’s Stuff (Trucs d’enfants), mais aussi de faciliter la passation des vêtements entre les enfants et d’éviter ainsi la surconsommation. »