Pénurie de main-d’œuvre

« C’est la survie de l’entreprise qui est en jeu »

Granby — Dans le parc industriel de Granby, plus de la moitié des 270 entreprises qui y sont implantées affichent en grosses lettres sur des banderoles improvisées le même cri de désespoir : « Nous embauchons ». Chez Les Vêtements SP, où j’ai rendez-vous, une des pancartes précise : « Couturières demandées ».

« C’est la survie de l’entreprise qui est en jeu », m’explique calmement Steve Bérard, PDG et copropriétaire de l’entreprise Les Vêtements SP. La PME fabrique les chandails de hockey de toutes les équipes de la LNH, des équipes membres de la Fédération internationale de hockey et de toutes les organisations de la Ligue américaine et du hockey junior majeur canadien.

Il y a trois ans, Steve Bérard, un ingénieur en télécommunications qui a fait carrière chez les grands opérateurs québécois Bell et Vidéotron, a décidé de se joindre à l’entreprise que son père avait fondée dans les années 90.

« Il n’y avait pas de relève. Après avoir travaillé toute ma vie dans les technologies, j’ai donc décidé d’embarquer avec mon père en vue de reprendre l’entreprise.

« Un an après mon arrivée, on a fait l’acquisition de l’usine Sport Maska de Saint-Hyacinthe, et en décembre, j’ai racheté l’entreprise avec Manon Bourget, une dirigeante clé des Vêtements SP », m’explique Steve Bérard.

Depuis deux ans, le volume de production ne fait qu’augmenter. Seulement depuis le début de l’année, Les Vêtements SP a enregistré une hausse de 15 % de son carnet de commandes.

Steve Bérard a embauché un vice-président des ventes qui a mis les bouchées doubles dans le développement du marché. Le hic, c’est que l’entreprise est incapable de suivre la cadence en raison du manque de main-d’œuvre.

« On était 225 en début d’année et on avait besoin de 50 nouveaux employés pour pourvoir une foule de postes, mais on a surtout besoin de couturières. On a réussi à pourvoir seulement 25 postes, mais c’est insuffisant pour nos besoins, », déplore le PDG.

Le coût humain

Comme une multitude de PME industrielles, Les Vêtements SP tente tant bien que mal de pallier son incapacité à trouver de la main-d’œuvre pour fonctionner correctement.

« J’ai dû freiner mon vice-président Ventes, lui demander de cesser le développement de marché pour faire plutôt du suivi auprès de nos clients. On fabrique un produit de niche qui est recherché. Les équipes professionnelles ou semi-professionnelles veulent un produit haut de gamme, elles ne veulent pas de la production de masse que l’on fait en Asie », expose Steve Bérard.

Les chandails de hockey que fabrique Les Vêtements SP sont des produits de qualité qui nécessitent plusieurs coupes et des types variés de textures de tissus.

« On a revu nos échelles salariales et nos avantages sociaux. On a haussé nos prix et réduit nos marges, mais cela ne suffit pas. On ne trouve pas les employés dont on a besoin. »

— Steve Bérard, PDG et copropriétaire des Vêtements SP

« Ça commence à peser sur nos gens. On leur demande de faire beaucoup d’heures supplémentaires, mais on ne veut pas les brûler. Habituellement, les heures supplémentaires, c’est en août et en septembre, mais là, on est en juin, et les gens rentrent le samedi », constate l’entrepreneur.

Une ambition freinée

Pourtant, Steve Bérard a de l’ambition. À Saint-Hyacinthe et à Granby, Les Vêtements SP dispose des capacités pour doubler sa production. Ce qu’il souhaite faire avant de poursuivre son expansion en Ontario et aux États-Unis.

« On vend des chandails de hockey. Le label Made in Canada est capital pour nos clients et on produit une qualité inégalée. On fait les chandails pour Adidas (LNH), Nike (Jeux olympiques, Coupes du monde), CCM (hockey junior et Ligue américaine), Bauer (ligues universitaires et associations) et enfin Easton (chandails de baseball).

« Plus les clients achètent de nos produits, plus ils en demandent. Or, si je ne suis pas capable de répondre à leurs besoins, je risque de les perdre. C’est l’avenir de l’entreprise qui est en jeu. Il faut être en mesure de se développer », précise Steve Bérard.

Automatisation

Pour combler ses besoins en effectifs, Steve Bérard veut amorcer l’automatisation de certains de ses moyens de production. Lui qui a toujours baigné dans les technologies s’engage résolument dans le manufacturier 4.0.

Avec son associée, il part aujourd’hui pour l’Espagne afin de participer au Salon international ITMA 2019 – la plus grande foire de technologies manufacturières au monde qui se déroule tous les quatre ans à Barcelone.

L’entrepreneur fait partie d’une mission d’une trentaine d’entreprises québécoises du secteur du textile qui vont participer à l’ITMA dans le but d’optimiser leur productivité.

« Je vais acheter pour 1 million de dollars de robots qui vont me permettre de hausser de 15 % ma productivité. L’industrie du textile accuse un retard immense en matière d’automatisation parce qu’elle a toujours pu compter sur une main-d’œuvre abondante et bon marché en Asie et dans les pays émergents.

« Mais les gens cherchent de plus en plus à trouver des produits fabriqués localement. Pour être capables de le faire et de répondre à la demande grandissante, ça va nous prendre des robots. Il va rester beaucoup d’opérations qui vont se faire de façon manuelle, mais l’industrie du textile doit, elle aussi, s’adapter », espère-t-il.

Parallèlement à cette démarche technologique, Steve Bérard prévoit aussi avoir recours à l’immigration internationale d’employés spécialisés.

« Si je n’arrive pas à combler mes besoins actuels et ceux qui s’en viennent, je vais entreprendre à l’automne des démarches pour faire venir 25 couturières des Philippines ou du Honduras. Mais cela représente des coûts additionnels, des logements, une structure d’accueil. Mais je n’ai pas le choix », analyse l’entrepreneur.

Les coûts que le manque de main-d’œuvre occasionne aux entreprises sont multiples et ils génèrent un lot de soucis qui ne sont pas utiles. L’argent et l’énergie qu’on y consacre seraient mieux utilisés s’ils servaient au développement des affaires.

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