OPINION

Lettre à mon énième ministre de l’Éducation

À l’occasion de la campagne de valorisation « Prof, ma fierté » de 2014, j’ai le doux souvenir de la déclaration du chef de l’opposition de l’époque, un certain Philippe Couillard : « Le grand projet du Québec, c’est bien plus que des routes et du béton… Le grand projet du Québec, c’est l’éducation ».

Vais-je enfin entendre le premier ministre annoncer qu’il vous laisse carte blanche quant à la réalisation d’un grand projet de société ? J’attends depuis longtemps le jour où un ministre de l’Éducation exprimera une vision ambitieuse pour l’ensemble de notre peuple. Je souhaite travailler pour le meilleur système d’éducation au monde. Rien de moins.

J’aimerais toutefois vous mettre en garde. Ce boulot s’annonce ardu. Il faudra sortir du cadre politique, patronal et syndical. En êtes-vous capable ? Avant d’entreprendre cette tâche colossale, j’imagine qu’un membre du Barreau a peut-être quelques conseils à recevoir. En toute humilité, je vous offre les miens. En échange, j’ai une demande spéciale. Est-il possible d’accrocher cette lettre dans votre bureau ?

FORMATION DES ENSEIGNANTS

D’abord, il faut améliorer la formation universitaire des futurs enseignants. Pourquoi ne pas créer l’École nationale d’éducation ? Beaucoup trop d’universités offrent le baccalauréat. Ce centre de haut niveau augmenterait la reconnaissance envers la profession. De plus, l’élite y serait formée à partir de normes extrêmement élevées et en conformité avec la recherche scientifique. D’ailleurs, pourquoi ne pas y former les principaux intervenants des milieux scolaires ?

Cependant, cette vie universitaire ne représente que quelques années. L’enseignant travaillera en moyenne 35 ans de plus. Comment favoriser les meilleures pratiques tout au long de la carrière de nos intervenants ? Des voix s’unissent pour la création d’un Institut scientifique national d’éducation publique. Excellente initiative. Encore faut-il rendre la formation continue obligatoire. Il serait également judicieux de créer un ordre professionnel.

Certes, tout cela constitue un bel effort, mais il s’agit simplement d’une structure adéquate assurant la pérennité d’un système d’éducation sérieux et ambitieux.

L’ensemble ne sera pas suffisant afin d’atteindre notre noble objectif : augmenter d’une façon significative les taux de réussite et diminuer radicalement le décrochage. Pourquoi, me direz-vous ? L’existence d’un système à deux vitesses et la marchandisation de l’éducation causent beaucoup trop de torts à nos élèves vulnérables.

DES DOCUMENTS PERTINENTS

Je vous invite donc à lire des documents forts intéressants : 

• L’avis prophétique du Conseil supérieur de l’éducation à propos des risques de dérive des projets pédagogiques particuliers (2007) ;

• Le rapport Ménard sur le drame individuel, les conséquences sociales et les coûts astronomiques liés à l’abandon scolaire (2009) ;

• Le rapport lucide d’un comité d’experts sur le financement, l’administration, la gestion et la gouvernance des commissions scolaires (2014) ;

• Le mémoire pertinent d’Égide Royer présenté à la Commission de la culture et de l’éducation (2016).

À la suite de ces lectures et dans la perspective d’un réel projet de société, vous conviendrez avec moi qu’il faudra faire preuve d’une vision renouvelée. Ainsi, l’abolition des écoles privées non subventionnées, des écoles privées subventionnées et des programmes sélectifs des écoles publiques vous apparaîtront alors comme un incontournable. Einstein disait : « Les problèmes que nous vivons aujourd’hui ne peuvent être résolus en réfléchissant de la même manière qu’avant, puisque c’est ainsi que nous les avons causés. »

Étant avocat, j’imagine que ces mots auront une résonance : égalité, équité et justice. Il faut donc passer du moi au nous. De l’école exclusive à l’école inclusive. Cette école doit être le reflet de la société que nous voulons. Elle doit être un endroit où seront transmises nos valeurs québécoises. C’est ici que l’excellence, la réussite, la fierté et le vivre ensemble feront un bon bout de chemin. Nos enfants seront davantage qualifiés, mais aussi instruits et capables de socialiser. Bref, ce que j’appellerais l’école du bien commun.

En terminant, monsieur le ministre de l’Éducation, n’oubliez pas ma demande spéciale quant à cette lettre. Je suis un idéaliste optimiste. J’aimerais bien que mes suggestions soient également lues par vos successeurs.

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