Livre : La vie dans l’espace public

Planifier nos villes humainement

Ceci est la préface de La vie dans l’espace public, de Gehl et Svarre, signée par les mairesses de Paris et Montréal. Le texte a été légèrement modifié.

Quand on connaît la relation historique et la proximité culturelle entre Paris et Montréal, il apparaît naturel de voir les deux plus grandes métropoles francophones du monde collaborer pour trouver ensemble des solutions aux problèmes auxquels nous faisons face, à commencer par les changements climatiques.

Pour y parvenir, nous devons nous extraire du paradigme qui a guidé le développement de nos villes jusqu’à tout récemment, un développement axé sur les routes et les automobiles, et qui n’a pas su bâtir de lien réel et durable entre les individus et le cadre bâti. Un modèle de développement dépassé, qui ne répond plus aux besoins des citadins d’aujourd’hui.

Chacune à la tête de nos administrations respectives, nous avons la responsabilité d’adapter nos villes aux demandes de celles et ceux qui les habitent, tout en reconstruisant la relation qui unit la ville et l’individu.

Cela représente une tâche considérable, qui nécessite les bons outils et la bonne approche afin d’inclure les besoins de nos citoyens dans les processus de planification, tant à petite échelle (comme pour l’aménagement d’un parc ou d’une intersection) qu’à grande échelle (plans directeurs, stratégies municipales, etc.).

Dans cette perspective, la pensée de Jan Gehl s’avère incontournable. Celui qui a su replacer l’humain au cœur des préoccupations de la pensée urbanistique et politique avec Pour des villes à échelle humaine (Écosociété, 2012) nous propose ici, en compagnie de Birgitte Svarre, une véritable feuille de route – un recueil de méthodes et d’outils tout aussi pertinents que nécessaires à la planification des quartiers et des villes de demain.

L’accès à ce savoir est d’autant plus important à une époque où les villes se trouvent aux premières lignes des changements climatiques, des migrations humaines et de la transformation de l’économie mondiale. Les décideurs de par le monde doivent appliquer à leurs quartiers et à leurs villes les principes véhiculés par la pensée d’auteurs comme Gehl et Svarre. Or, comment faire pour bâtir des villes dynamiques, durables et inclusives au XXIe siècle ? Pour développer différemment, pensons différemment. En ouvrant la fabrique de la ville aux citoyens, nous leur permettons de se réapproprier des lieux et de les investir afin que l’espace public reflète réellement leurs besoins, leurs aspirations et leur identité. Les exemples de pratiques collaboratives fructueuses sont nombreux.

Dans le cas de Paris, nous pensons au parc Rives-de-Seine (sept kilomètres de promenade piétonne, cyclable et sportive le long du fleuve, entre la Bastille et la tour Eiffel), une illustration éloquente de la réappropriation de l’espace public par les piétons, qui offre une bouffée d’air frais en plein cœur de la capitale et fait le bonheur des Parisiens comme des touristes. Participe également de cette dynamique le réaménagement de sept places parisiennes emblématiques (dont celles du Panthéon et de la Nation), où l’objectif est de répondre aux attentes de celles et ceux qui ont envie de vivre dans une ville plus paisible. La même volonté de diversifier et d’intensifier les usages de l’espace public se reflète dans le projet Paris Plages : depuis plus de 15 ans, cet aménagement estival des bords de Seine réinvente les anciens axes majeurs de circulation automobile pour en faire des lieux de détente et de loisirs.

Ce dernier exemple trouve un écho chez les Montréalais qui souhaitent se réapproprier leur insularité, grâce à des projets de plages sur les rives du Saint-Laurent, dans les arrondissements de Verdun et de l’est de l’île. Le désir de reconnecter la ville aux éléments se traduit aussi par des projets inspirants comme celui du parc Frédéric-Back, exemple unique de métamorphose d’une ancienne carrière et d’un site d’enfouissement en 150 hectares d’espaces verts rendus universellement accessibles aux citoyens. On pourrait voir une autre forme d’hommage à l’« homme qui plantait des arbres » dans des engagements ambitieux tels que celui d’étendre la canopée de 20 à 25 % sur le territoire de la ville d’ici 2025. De plus, Montréal verra sous peu son centre-ville changer de visage grâce à la transformation de la rue commerciale Sainte-Catherine et à l’aménagement de la place McGill College, futur lieu emblématique donnant une rare perspective sur le mont Royal, pensé avec et pour celles et ceux qui fréquentent le cœur de la ville.

Les quartiers de Montréal et de Paris sont traversés d’un vent nouveau, grâce à des projets citoyens de verdissement, de végétalisation et de ludification.

C’est la transformation de la vie de quartier montréalaise grâce aux ruelles vertes en été et aux ruelles blanches en hiver. C’est la sécurisation des déplacements des jeunes élèves montréalais grâce aux parcours scolaires ludiques. C’est une nordicité encore plus assumée grâce au Quartier des spectacles et aux espaces qui contribuent à faire de Montréal une ville de festivals et de loisirs extérieurs quatre-saisons. À Paris, c’est le permis de végétaliser, qui encourage les citadins à verdir leurs rues et recrée du lien social entre les habitants. C’est l’avènement des cours oasis, qui rendent les cours d’écoles résilientes face aux fortes pluies et aux épisodes caniculaires de plus en plus fréquents. C’est également la multiplication des interventions artistiques, qui dynamisent l’espace public parisien, tout comme l’art mural embellit les bâtiments et enrichit l’expérience culturelle des piétons montréalais. Bref, à Montréal comme à Paris, on assiste à la réappropriation progressive des espaces publics, des plus locaux aux plus métropolitains, les infrastructures et les initiatives municipales étant mises au service des besoins collectifs.

En impliquant les citoyens dans le processus de conception, au moyen de budgets participatifs ou de concertations à petite ou grande échelle, nous bâtissons des villes plus dynamiques, plus durables, plus inclusives et plus solidaires. Autrement dit, des villes tournées vers l’avenir. [...]

Anne Hidalgo, maire de Paris

Valérie Plante, mairesse de Montréal

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.