L'avis du nutritionniste

La nutritionniste gourmande

Je connais Julie Aubé depuis le début de ma carrière de nutritionniste. C’est la fille qui réussit toujours à trouver le positif dans chaque situation. Face à un système agroalimentaire qui a déconnecté les consommateurs des producteurs, il s’agissait sans aucun doute de la personne qui trouverait comment mettre en valeur le beau et le bon de la production alimentaire québécoise, au bénéfice de tous.

PARCOURS ATYPIQUE

Quand Julie a commencé ses études en nutrition, elle savait déjà que ce n’était pas pour travailler dans le réseau de la santé. Elle désirait plutôt combiner ses intérêts envers la nourriture et la communication. Rapidement toutefois, sur le marché du travail, elle s’est aperçue que tous les aspects de cette science ne la passionnaient pas autant. « Quand tu es pigiste, les clients te demandent d’écrire sur des sujets comme les fibres, les oméga-3, sur ci, sur ça. Les premières fois, je trouvais ça intéressant d’aborder ces sujets, mais à un moment donné, j’ai senti le besoin d’écrire sur autre chose », me dit la nutritionniste.

Il lui vient l’idée, en 2010, de créer un blogue pour faire partager ses recettes, compiler ses coups de cœur alimentaires et parler des sujets qui l’intéressent.

« Le côté gourmand me suit partout. Quand je voyage à l’étranger, c’est pour manger, pour découvrir les trucs typiques locaux. Au Québec, c’est la même chose. J’écris beaucoup sur les produits locaux, les petits producteurs et les artisans. »

— Julie Aubé

Mais en quoi, exactement, parler de gourmandise et de produits locaux lui permet-il d’accomplir sa mission de nutritionniste ?

« Faire de l’agrotourisme et du tourisme gourmand permet de rapprocher les consommateurs des aliments. Pour moi, c’est de la nutrition. C’est parler de bien manger. Souvent, quand je demande aux gens c’est quoi “bien manger”, ils vont parler d’équilibre ou de variété avant de parler de plaisir. Mais bien manger, ça passe par le plaisir. Et l’agrotourisme, ça permet aussi de réfléchir à l’impact de nos choix alimentaires, à l’environnement, à l’économie locale et aux humains qui produisent nos aliments », m’explique Julie.

Elle dit aborder le sujet d’une façon moins classique au sein de la profession, mais ressent une fierté d’avoir toujours conservé son chapeau de nutritionniste. « Ça montre qu’on ne fait pas que parler de nutriments. C’est important de savoir ce qu’il y a dans les aliments, mais il ne faut pas que ça ne devienne que du grattage microscopique de molécules. Tout ce qui est autour de l’aliment fait partie de sa qualité. Quand on est nutritionniste, on est spécialiste des aliments, et être spécialiste des aliments, ça ne peut pas être que regarder les nutriments et leur impact sur le corps. Il faut élargir la définition de ce que veut dire bien manger », poursuit-elle.

HISTOIRES, VISAGES ET PAYSAGES

L’an dernier, la nutritionniste a publié Prenez le champ !, un livre présentant les portraits de près de 90 producteurs et artisans québécois rassemblés en 21 escapades gourmandes situées autour de Gatineau, de Montréal, de Trois-Rivières et de Québec. Son idée était d’associer les histoires, les visages et les paysages aux aliments.

« Dans les dernières décennies, notre système agroalimentaire a subi une double déconnexion. Il y a d’abord eu un éloignement entre la production alimentaire et le mangeur. Avant, tout le monde connaissait un grand-père, un oncle, quelqu’un qui produisait. Aujourd’hui, quand tu grandis dans une ville ou en banlieue, tu n’as pas eu de contact avec la production des aliments. Alors, il y a eu une déconnexion à cause de cet éloignement. C’est préoccupant parce que l’éloignement peut créer l’impression que l’agriculture ne nous concerne pas. Loin des yeux, loin du cœur. Pourtant, on contribue au système alimentaire avec nos choix quotidiens. La deuxième déconnexion est celle des saisons.

« Quand tout est toujours disponible en tout temps, c’est que les saisons n’ont plus de sens. Tu peux manger du brocoli, des asperges ou des fraises en plein hiver. Les aliments ne sont plus ancrés dans un temps précis.  »

— Julie Aubé

En complément au livre, l’entrepreneure vient de lancer les Événements Prenez le champ ! dont l’objectif est d’orchestrer des rencontres privilégiées entre les mangeurs et des agriculteurs inspirants, à un moment propice permettant de profiter de ce que la terre a à donner.

Au menu dès ce printemps : entraînement en plein air suivi d’autocueillette d’asperges et de rhubarbe avec la nutritionniste Sophie Geoffrion et l’entraîneuse Chloé Rochette d’HappyFitness, visite de fermes présentées au sein des pages du magazine Caribou ainsi qu’un pique-nique six services dans une ferme d’asperges « écopoétique » avec le chef Jean-Philippe Desjardins.

Selon la nutritionniste, « l’agrotourisme permet de faire des apprentissages dans un contexte de plaisir. Ce n’est pas de se faire dire : “Maintenant tu dois manger de cette façon.” Cet apprentissage se fait par l’expérience, par le vécu, par les rencontres inspirantes. En découvrant les méthodes de production, en voyant les champs et les animaux, on l’associe à des émotions positives et ça se fait dans un contexte de plaisir propice aux apprentissages ».

Lorsque je la questionne à propos de son plus grand souhait pour l’avenir de notre profession, Julie n’hésite pas. « Il y a une réputation de la nutrition que c’est plate, que c’est restrictif, que c’est pour se faire couper des choses et enlever du plaisir. Il faut remettre le plaisir au centre des préoccupations nutritionnelles, pour que les gens réalisent que bien manger, ça peut être super le fun, beau, savoureux et coloré », répond-elle.

C’est ce genre de modèle qui me confirme que la révolution nutritionnelle au Québec s’est bel et bien mise en marche.

Prenez le champ !

Julie Aubé Les Éditions de l’Homme 288 pages

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