Une maison encore verte
La poésie des Herbes rouges est un recueil composé de poèmes, extraits ou textes complets, des presque 400 titres publiés par la revue, puis par la maison d’édition depuis 1968. Un travail colossal qui rend compte de l’évolution de la poésie québécoise contemporaine.
Écrivain protéiforme aux Herbes rouges, le poète-essayiste-romancier Jean-Simon Desrochers a partagé ce travail immense avec la poète Roxane Desjardins. Le projet inclut toutes les publications de poésie, incluant les textes parus dans la revue qui a existé jusqu’en 1993, pour en faire une sorte de long poème de 433 pages.
« Les 380 poèmes ou extraits de poèmes sont séparés en décennies, explique-t-elle. Ce sont les textes qui sont mis de l’avant. Les Herbes rouges, ce sont des voix très fortes, mais on a traité l’anthologie comme un ensemble. C’est aussi un portrait de l’éditeur et de son œuvre. »
François Hébert dirige toujours la maison depuis 50 ans, mais Roxane Desjardins symbolise clairement l’avenir et les nouvelles avenues à explorer pour la maison d’édition.
« Ce qui est exceptionnel aux Herbes rouges, c’est François Hébert. Il n’y est pas dans un rôle secondaire. Il y a des changements et il y en aura d’autres. On a un site internet depuis le printemps 2017. J’arrive avec ma vision et mon expérience de comment se construit la vie littéraire dans les années 2010. »
« Le nom des Herbes rouges vient d’un recueil de poésie de Jean-Paul Filion publié en 1962 à l’Hexagone, Demain les herbes rouges. Le livre était dans la bibliothèque de Marcel Hébert. François et lui cherchaient un nom pour leur revue et ils sont tombés d’accord pour nommer ainsi leur maison d’édition. »
— Roxane Desjardins, poète et directrice adjointe des Herbes rouges
La jeune poète (Ciseaux, Le revers) insiste sur le fait que la longévité des Herbes rouges démontre une rigueur respectable, voire honorable, après 50 ans.
« La valeur principale pour nous, c’est de faire de bons livres. Je ne passe pas ma journée sur les réseaux sociaux, je passe ma journée à lire des manuscrits. Il est impossible de faire des compromis sur la qualité. Faire un livre, ça n’a rien de sexy. Ce n’est pas instagramable. »
Travail, travail, travail. On y arrive, souligne-t-elle, par une compréhension de la matière, du langage, du contenu et de la forme.
« On imprime le texte sur du papier, on prend un crayon et on se demande si chaque phrase fonctionne. Je pense que ça se ressent quand on nous lit. Chaque livre est examiné avec soin. On connaît bien nos auteurs et ils souhaitent tous échanger avec nous. Il s’agit d’amener un texte à son plein potentiel. »
Pour l’anthologie, les coéditeurs ont privilégié une approche non hiérarchique qui ne tente pas de résumer tous les recueils publiés en 50 ans, « mais on a fait attention de ne trahir ni les auteurs ni leurs livres ».
Roger DesRoches, Carole David, René Lapierre, Dominique Robert, Benoit Jutras et Tania Langlais sont des poètes maison dont on retrouve plusieurs textes dans l’anthologie. Des univers différents, des voix singulières.
« Tous les écrivains chez nous ont des démarches personnelles très fortes. On ne passe pas de commandes aux Herbes rouges. Ça fonctionne par une proposition de l’auteur, retravaillée par la maison d’édition. Quand on lit nos livres, même s’il n’y a pas de thématique, on sent une unité basée sur le désir de faire des propositions différentes de ce qui existe ailleurs. »
Accessibles, les Herbes rouges ? lui demandons-nous. L’idée de publier cet « échantillon » à prix modique, c’est justement de le rendre accessible à un grand nombre, répond-elle.
« C’est un catalogue construit sur la base qu’il y a un public qui s’y intéresse. Ce n’est pas pour rien qu’on a 50 ans. Ces textes font partie d’une recherche esthétique qui n’est pas de la littérature grand public. Par contre, nous avons eu un souci de lisibilité et d’accessibilité, sans trahir le projet. C’est un outil auquel on a beaucoup pensé pour l’enseignement. »
L’anthologie La poésie des Herbes rouges est en librairie. La maison d’édition présentera à la Grande Bibliothèque, le 26 septembre, dans le cadre du Festival international de la littérature, le spectacle La volière est un oiseau de milliards de têtes avec une vingtaine de personnes sur scène.
EXTRAITS
Poème inaugural du cofondateur Marcel Hébert
« Les corps d’encre
les épis du marteau
je les laisse dormir sous la loupe
mes lèvres à leur ballon de vie
tombés de l’emmanchure du matin
ils habitent la page
chauds comme du café »
Dernier poème dans l’anthologie, L’herbe pousse et les dieux meurent vite de François Charron
« Le soleil n’a pas encore atteint l’entrée du garage.
L’incinération aura lieu demain.
Cet entêtement du temps à être toujours là. »