Le fossé entre le champ et l’assiette
Bonne nouvelle pour l’agroalimentaire québécois : les consommateurs sont extrêmement intéressés par ce qu’ils mangent et voient les produits locaux d’un bon œil. Tout n’est pas gagné pour autant. Si les entreprises veulent que l’État soutienne leur développement, elles ne peuvent pas se contenter de nourrir la population, elles doivent aussi conquérir les têtes et les cœurs.
L’information alimentaire, les Québécois en mangent. Les deux tiers se sentent concernés par l’actualité du secteur et les trois quarts veulent en savoir davantage sur ce qu’ils mangent, montre le sondage publié récemment par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).
Et ces consommateurs exigeants trouvent plusieurs avantages aux aliments produits et transformés ici. Ils en apprécient notamment le goût et les qualités nutritives, ainsi que l’authenticité et le naturel, révèle le sondage commandé par le MAPAQ à la firme Léger.
Ils les trouvent également sécuritaires et salubres, ce qui est une bonne chose, parce que l’hygiène et la salubrité constituent, de loin, leurs principales attentes envers les entreprises alimentaires.
Ils ne sont cependant pas prêts à gober n’importe quoi. Si plus de la moitié des répondants disent se renseigner d’abord et avant tout en lisant les étiquettes, moins du quart font pleinement confiance aux diverses certifications (biologique, équitable, etc.) qu’ils y trouvent.
C’est dommage pour les entreprises honnêtes, qui s’astreignent à un processus de certification rigoureux et souvent coûteux, mais avec la surenchère de termes racoleurs qui pullulent sur les emballages, il ne faut pas s’étonner d’un certain scepticisme. De toute façon, les clients qui recherchent des caractéristiques précises finissent par se faire leur propre idée, et choisissent les entreprises et les mentions qu’ils considèrent comme fiables.
Ce qui est plus préoccupant, c’est la tiédeur des Québécois à l’égard de l’industrie en général.
Certes, ils sont conscients de son poids économique. Près de six répondants sur dix sont convaincus de la contribution des entreprises alimentaires à l’économie et à la création d’emplois dans la province, et envisagent l’avenir des transformateurs avec optimisme. Par contre, seulement deux personnes sur dix croient que le domaine offre des perspectives de carrière prometteuses.
Certaines préoccupations exprimées révèlent aussi une image pas toujours flatteuse du secteur. Plus de la moitié des répondants se disent très préoccupés par le gaspillage et les pertes d’aliments des entreprises, ainsi que par les conséquences de leurs pratiques sur l’environnement. Et à peine plus de 20 % des répondants sont convaincus qu’elles se soucient du bien-être des animaux.
Les habitants des régions rurales semblent avoir un penchant plus favorable que la population en général. Alors que la moyenne des répondants se fie d’abord à des professionnels pour s’informer sur les aliments (médecins, nutritionnistes et autre personnel médical), et ce, dans 42 % des cas, les résidants des zones rurales citent presque aussi souvent les producteurs agricoles (39 %) comme source d’information pertinente. Ils sont aussi plus nombreux à dire que le gouvernement devrait faciliter l’accompagnement de jeunes entrepreneurs et le démarrage d’entreprises alimentaires.
Tant mieux, mais comme les Québécois vivent de plus en plus dans les régions métropolitaines, le fossé entre les perceptions de la population et les intérêts du secteur ne se comblera pas de lui-même.
Et ce n’est pas qu’une question d’image. L’agriculture et l’alimentation ont beaucoup de potentiel. Des huit secteurs sur lesquels le comité-conseil du ministre fédéral Bill Morneau recommandait récemment de miser, l’agroalimentaire figure au sommet de la liste. Le Canada, cinquième producteur alimentaire mondial, est très bien placé pour profiter de la demande mondiale, qui devrait bondir de 70 % d’ici 2050, soulignait aussi la firme PwC cette semaine.
L’industrie agroalimentaire québécoise n’est pas en reste, puisque 23 % de ses ventes sont faites dans le reste du pays et 32 % à l’étranger.
Les entreprises veulent en faire davantage, mais elles ont besoin de soutien et d’accompagnement pour exporter, innover et prendre des risques, a-t-on entendu il y a 10 jours lors de la grande rencontre visant à préparer le sommet de l’alimentation.
Les Québécois consomment peut-être moins de la moitié de la production agroalimentaire locale, mais forment 100 % de l’électorat. Si le secteur veut se faire entendre auprès des gouvernements, il va devoir gagner la population à sa cause.