Marijuana thérapeutique

Un effet immédiat et spectaculaire

La première fois que Patricia a administré du cannabis à son bébé de 2 ans, elle l’a d’abord testé sur elle-même. « J’étais stressée. Je me suis dit : est-ce qu’on en est vraiment rendus là ? » 

Depuis l’âge de 4 mois, son fils, souffrant d’épilepsie sévère, faisait 40 crises par jour. Un rythme infernal, auquel s’ajoutait quotidiennement une centaine d’épisodes d’absence cérébrale. « Ça mettait son cerveau à zéro. Il était en train de s’éteindre peu à peu. Il n’avait plus aucune qualité de vie », raconte la mère québécoise de 32 ans. 

Les médecins avaient tout essayé pour soigner le petit. L’un des médicaments testés, le Topamax, provoquait chez lui de l’arythmie cardiaque. « Ses yeux bougeaient tout croche, il ne dormait pas. Il a même eu des pierres aux reins à cause du traitement », raconte la maman.

Désespérée, voyant son fils dépérir à petit feu, c’est vers l’internet qu’elle s’est tournée. C’est là qu’elle a découvert qu’un traitement expérimental à base d’une souche très particulière de cannabis – le Charlotte’s Web – semblait faire des miracles aux États-Unis chez des enfants épileptiques.

Produite au Colorado, cette souche de marijuana contient une très faible proportion de THC, l’ingrédient euphorisant de la marijuana. En revanche, elle est bourrée de cannabidiol, ou CBD, un composant aux effets sédatifs et anxiolytiques reconnus. La recherche scientifique sur le CBD en est encore à ses balbutiements, tant au Canada qu’aux États-Unis.

RÉTICENCES

Les médecins traitants du petit de Patricia n’ont pas du tout aimé l’idée qu’elle lui administre du cannabis. « Un des médecins a carrément capoté. Il m’a dit qu’il allait alerter les services de protection de l’enfance », explique la maman.

Mais avec l’aide de la Clinique Santé Cannabis de Montréal et du Dr Michael Dworkind, Patricia a obtenu une ordonnance et commandé de la marijuana à forte teneur en CBD chez Cannimed, société de Saskatoon détenant un permis de production de marijuana à des fins médicales.

Le produit, livré sous forme de cannabis séché, devait être transformé en huile par Patricia dans une mijoteuse. Elle faisait ensuite tester un échantillon de sa mixture dans un laboratoire de Colombie-Britannique, pour s’assurer que le ratio de THC était suffisamment bas.

« Je l’ai testée sur moi dès que j’ai reçu les résultats du labo : zéro effet ! J’ai juste ressenti un petit engourdissement dans mon corps, mais je n’étais pas stone du tout. » — Patricia

Sur le petit, cependant, l’effet a été aussi immédiat que spectaculaire. « Le soir même, il nous regardait dans les yeux. Il était tout calme. Et deux semaines plus tard, il n’avait plus du tout de convulsions. »

Un électroencéphalogramme passé à l’hôpital a confirmé par la suite l’effet bénéfique du traitement au cannabis, qui se poursuit encore aujourd’hui, avec un succès qui ne s’est pas démenti. 

UNE DIZAINE D’AUTRES CAS AU QUÉBEC

Patricia et son fils ne sont pas les seuls à tester ce traitement au Québec. Selon le directeur de Santé Cannabis, Adam Greenblatt, une dizaine de parents québécois ont obtenu des prescriptions semblables pour leurs enfants souffrant d’épilepsie.

Cannimed, le principal fournisseur canadien de cannabis à haute teneur en CBD, estime avoir en tout une cinquantaine d’enfants parmi ses clients canadiens. 

Et le nombre d’enfants traités au CBD augmente rapidement partout en Amérique. À la fin décembre, lors de son congrès annuel à Philadelphie, l’American Epilepsy Society a présenté une première étude démontrant l’efficacité du CBD dans le traitement de l’épilepsie sévère. Les tests, menés sur 261 enfants souffrant d’épilepsie sévère, ont porté sur un médicament appelé Epidiolex, une formule liquide de CBD pure produite au Royaume-Uni, mais qu’on ne peut pas acheter au Canada pour le moment.

Les premiers résultats démontrent que 47 % des participants ont vu leur nombre de crises d’épilepsie diminuer de moitié grâce au CBD. Une minorité (12 %) de participants se sont retirés de l’étude après avoir jugé le traitement inefficace. Le tiers des participants ont par ailleurs rapporté des effets secondaires en cours d’étude allant jusqu’aux problèmes de foie et la diarrhée, mais seule une fraction de ces cas (5 %) était directement liée au traitement.

Les études cliniques sur le CBD demeurent néanmoins difficiles à faire.

« Il y a, malgré tout, encore beaucoup de réticence de la part des médecins à prescrire du cannabis, et cette tendance est encore plus prononcée avec les enfants. »

— Adam Greenblatt, directeur de Santé Cannabis 

« On peut très bien comprendre pourquoi, mais en même temps, il va falloir que tout le monde fasse un bout de chemin », estime-t-il.

Un des principaux freins vient cependant de tomber. À la mi-janvier, Santé Canada a autorisé Cannimed à distribuer son cannabis à haute teneur en CBD sous forme d’huile.

Des médecins, qui y voient une forme plus stable et plus prévisible que la marijuana séchée, se disent maintenant plus enclins à en prescrire (voir autre texte).

TABOU

Malgré les résultats scientifiques prometteurs, administrer du cannabis à des enfants demeure tabou. Dans son entourage, Patricia dit avoir d’ailleurs senti une certaine réprobation quand elle a commencé à dire qu’elle donnait de l’huile de cannabis à haute teneur en CBD à son fils. « La plupart des gens comprennent, ils savent que mon enfant était lourdement handicapé par ses crises. Mais certaines personnes vous font sentir que ce que vous faites est mal. Ç’a été très difficile. »

« Moi, je ne veux pas que les gens le sachent. Je ne veux pas que mes autres enfants se fassent étiqueter à l’école comme des enfants de poteux, ajoute-t-elle. C’est sûr que, même si ce traitement est formidable pour mon fils, je n’en parle pas trop autour de moi. » 

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