Shahrzad Arshadi

Miser sur la bonté

« Je m’étais promis que je n’allais pas pleurer », dit doucement Shahrzad Arshadi. Le silence se glisse dans la petite salle de conférence de l’Université Concordia où est installée l’artiste et militante d’origine iranienne. Elle essuie une larme. Le plus discrètement possible. Puis, elle reprend son souffle.

Shahrzad Arshadi est une douceur, se dit-on en écoutant sa voix posée dire des choses comme « il faut miser sur la bonté plus que sur toute autre chose ». Ce n’est toutefois qu’une facette de cette femme qui n’a jamais cessé de combattre les injustices, engagement qui lui vaut aujourd’hui le prix Inspiration du Y des femmes de Montréal.

Si elle pleure, c’est justement à cause de l’honneur qu’on lui fait. « C’est étrange, car je fais ces choses parce que je sens que je dois les faire », dit-elle. Silence. « Tant de mes amis ne sont pas ici pour le partager avec moi, glisse-t-elle. Tant de gens de mon âge se sont levés pour défendre leurs convictions et il y en a tellement qui ont perdu leur vie. »

Femme engagée

Shahrzad Arshadi avait 18 ans, en 1979, au moment de la révolution qui a chassé le shah et mené à l’instauration de la République islamique d’Iran. Son frère de 14 ans a été emprisonné. Son beau-frère de 19 ans a été assassiné et quantité de ses amis ou professeurs associés à la gauche ont été arrêtés et exécutés.

« Quand la révolution a eu lieu, nous étions des adolescents. Nous avions de grands espoirs. On souhaitait du changement, un monde meilleur. Ce n’est pas ce qui est arrivé », constate l’artiste. Elle-même a dû fuir. D’abord en Inde, en 1981, puis au Canada, à la veille de Noël 1983.

Son père était aussi un militant de gauche. Il a fait de la prison à l’époque du shah. « Ce que j’ai appris au sujet de mon pays, je le tiens de mon père », dit-elle, ajoutant que les livres d’histoire de l’époque n’enseignaient pas la vraie histoire, seulement celle des rois et des reines. « Mon père m’a raconté ce qui se passait vraiment dans le pays. J’ai grandi avec les histoires de sa vie. »

« Ma passion, c’est de récolter des histoires de vie. L’histoire, pour moi, c’est celle des gens avant toute chose. »

— Shahrzad Arshadi

L’artiste et militante n’a jamais abandonné l’Iran. Elle a conservé des liens dans des réseaux d’opposants au régime islamique, lutté pour les droits de la personne, manifesté, formé des comités, s’est engagée pour des causes qui concernaient particulièrement les femmes. Puis, elle s’est mise à raconter des histoires, elle aussi, à travers son art.

Elle a notamment conçu en 2015 un film portant sur la vision du monde de femmes qui luttent contre le gouvernement théocratique d’Iran. Elle termine actuellement un documentaire sur deux jeunes femmes kurdes engagées contre le groupe État islamique.

« Ce qu’on voit sur les écrans, ce sont les images de la guerre. Pendant cette guerre, des gens continuent de vivre. Leur histoire est importante. »

— Shahrzad Arshadi

En 2011, elle a aussi créé une pièce de théâtre sonore basée sur la vie de Zahra Kazemi, photographe iranienne établie à Montréal, morte en 2003 des sévices subis dans une prison iranienne.

Son histoire avec Ziba

Pour Shahrzad Arshadi, Zahra Kazemi, c’est Ziba. « C’est le nom qu’elle s’est choisi », dit l’artiste, en expliquant qu’il est coutumier en Iran d’utiliser un prénom autre que son nom officiel. Ziba n’était pas une amie, elle ne l’a jamais rencontrée, mais elle fait partie de sa vie depuis cet été 2003 où la photographe montréalaise a été arrêtée et torturée.

L’artiste iranienne a notamment fait de la traduction pour la collègue Laura-Julie Perreault, qui couvrait l’affaire Kazemi pour La Presse. C’est elle qui a annoncé à Stephan que sa mère était morte… Elle a mis son réseau au service du fils de Ziba, a déployé de grands efforts pour que son corps soit rapatrié et l’a accueilli chez elle comme un deuxième fils.

« Il fait partie de la famille », dit-elle aujourd’hui. Stephan a mis sa confiance en elle et lui a remis tous les cahiers de sa mère. « Je l’ai connue à travers ses écrits, dit-elle. C’était une femme fantastique. »

Shahrzad Arshadi milite toujours. Elle continue de participer à des manifestations, même si elle se demande parfois ce que ça donne de manifester et de rentrer tranquillement par la suite. « Manifester n’est pas l’unique solution. Il y a plein d’autres choses qu’on peut faire au quotidien », croit-elle.

Sa manière à elle, c’est l’art, le véhicule qui lui permet « d’agir concrètement pour le changement ». « Peut-être qu’une connexion est possible à travers l’art et que cette connexion peut nous permettre de mieux nous comprendre les uns les autres, dit-elle. Peut-être que quelque chose de bien va en sortir. »

« Je crois que ma seule force, c’est d’être engagée, dit-elle. J’ai appris à être heureuse, à voir ce qu’il y a de bon dans les gens. »

Elle croit que les citoyens doivent se réapproprier leur pouvoir. « Le pouvoir est dans les mains des gens. Ce n’est pas un slogan, c’est la réalité, insiste-t-elle. Comment a-t-on perdu cette capacité à utiliser notre pouvoir ? Comment fait-on, maintenant ? »

de nombreuses femmes honorées

En plus du prix Inspiration remis à Shahrzad Arshadi, la Fondation du Y des femmes de Montréal a annoncé les noms de nombreuses autres femmes qui seront honorées le 26 septembre prochain. La cinéaste Ève Lamont, Suzanne Sauvage (musée McCord Stewart), Anne-Marie Messier (Centre de santé des femmes) et la Dre Marie Laberge-Malo (chef du département de physiatrie du CHU Sainte-Justine) font partie des lauréates des différents prix.

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