Nouveau Pont Champlain

L’hommage à Maurice Richard divise la classe politique

QUÉBEC — Le projet d’Ottawa d’honorer la mémoire de Maurice Richard en donnant son nom au nouveau pont sur le Saint-Laurent a divisé net la classe politique hier. Libéraux et caquistes voient d’un œil favorable cette reconnaissance pour le hockeyeur qui a galvanisé les Québécois.

Au Parti québécois et dans le courant nationaliste, au contraire, on préfère maintenir le nom de Champlain pour le futur ouvrage. La nouvelle de La Presse, hier, a suscité une avalanche de courriels et de tweets désapprouvant pour la plupart le changement de nom.

Joint hier, le ministre des Transports, Robert Poëti a réagi avec prudence : « Ce n’est pas notre décision, c’est celle d’Ottawa », dit-il d’emblée, avant d’ajouter qu’il «  [voit] d’un œil favorable » l’hommage au numéro 9, « qui fait aussi partie de notre histoire ». Il faut comprendre qu’il s’agira d’un nouvel ouvrage, l’ancien pont Champlain sera démoli. Mais comme pour toute décision, il y aura des pour et des contre. « En politique, il est impossible de contenter tout le monde », observe-t-il.

Présent au congrès de la Coalition avenir Québec à Trois-Rivières, François Bonnardel a accueilli favorablement le changement de nom du pont Champlain. « Qui ne connaît pas l’histoire de Maurice Richard ? a-t-il souligné. C’est le symbole d’une certaine révolution tranquille chez les Québécois dans les années 50. […] Si on va de l’avant avec la décision de renommer ce pont d’après Maurice Richard, je pense que ça va être bien reçu par une majorité des Québécois. »

L’OPPOSITION S'EXPRIME

Du côté du Parti québécois, on pense, au contraire, qu’on ne peut impunément effacer la contribution de Champlain à l’histoire. Tôt dans la journée, l’ancien chef bloquiste Gilles Duceppe avait proposé sur son blogue qu’on rebaptise plutôt le pont Victoria du nom de Maurice Richard, mais qu’on conserve le nom de Champlain pour le nouvel ouvrage.

Hier, Bernard Drainville et Jean-François Lisée abondaient dans le même sens. « Quand on lit sur la vie de Champlain, on constate sa droiture, sa détermination, son respect des Premières Nations. Si on a un héros national, c’est bien Champlain ! », de lancer Jean-François Lisée pour qui il serait totalement injuste de le rayer de la mémoire collective. Par contre, on peut présumer que la famille de la reine Victoria ne serait pas offusquée, a-t-il ajouté, ironique. Bernard Drainville est du même avis : « Je suis un adepte inconditionnel du hockey, Maurice Richard est une grande figure, mais je ne suis pas d’accord pour qu’on efface l’histoire », résume-t-il. Si Ottawa veut célébrer la mémoire du numéro 9, « qu’il s’y prenne autrement ».

Porte-parole du PQ en matière de transports, Martine Ouellet s’oppose aussi à « ce qu’on biffe ainsi 400 ans d’histoire ». 

« Champlain est un des fondateurs du monde francophone en Amérique, il remontait le fleuve en 1603 ! Maurice Richard est un grand homme, huit Coupes Stanley, le plus grand marqueur, mais on devrait trouver une autre infrastructure pour souligner sa mémoire. »

— Martine Ouellet, porte-parole du PQ en matière de transports 

« Le ministre Lebel ferait mieux de mettre son énergie à éviter d’instaurer le péage sur Champlain », a conclu Mme Ouellet.

« Ottawa décide du nom mais veut nous faire payer », laisse tomber Raymond Archambault, président du PQ. Pour lui, « il y a une symbolique : le pont à l’est, c’est Jacques-Cartier, celui le plus à l’ouest, Champlain. Les deux sont de grands découvreurs, qui sont passés par le fleuve. Champlain est un explorateur important pour tous les Nord-Américains. Changer le nom du pont Champlain viendrait briser ce concept, cette symbolique, on devrait donner le nom de Maurice-Richard à un autre endroit », observe Archambault.

L’IMPORTANCE HISTORIQUE DE CHAMPLAIN

Hier, le Mouvement national des Québécois s’est aussi opposé à l’intention du ministre des Transports fédéral, Denis Lebel. Pour le MNQ, le nouveau pont sur le Saint-Laurent doit garder le nom de Champlain. Ce projet est inacceptable, « en tout respect de l’héritage du joueur de hockey et de son impact dans l’imaginaire collectif québécois, l’importance historique du fondateur de la Nouvelle-France ne peut se voir ainsi effacer dans la dénomination de cette infrastructure centrale du Québec », affirme le MNQ, taxant le ministre Lebel d’« opportunisme électoral ».

Historien, ancien ministre péquiste de la Culture, Denis Vaugeois est tout en nuance. « D’entrée de jeu, je suis contre les changements de noms. Les fusions municipales ont condamné à l’oubli de nombreuses dénominations qui avaient leur importance, Chicoutimi, par exemple ». Auteur de plusieurs ouvrages sur Champlain, l’historien ne réprouve pas l’idée de souligner la mémoire de Maurice Richard. « Les gens sont d’accord avec ça parce qu’on leur dit que le nom doit changer. C’est présenté comme un fait acquis », déplore-t-il. Mais « Maurice Richard reste le moins pire des choix », il a eu l’effet d’un catalyseur pour les Canadiens français des années 50.

« Ce n’est pas le hockeyeur dont on se souvient, mais la source des plus grandes émeutes de l’histoire du Québec, c’est ce dont les gens se souviennent ! Je suis étonné qu’Ottawa ait fait ce choix ! »

— Denis Vaugeois, ancien ministre péquiste de la Culture

Le changement de nom envisagé a déclenché un torrent de tweets. L’ancien ministre péquiste Yves-François Blanchet observe : « Tout fan de sports que je sois, il y a quelque chose de troublant dans l’oblitération de l’histoire. » Le politologue Alain-G. Gagnon estime que « le ministre Lebel opte pour le spectacle plutôt que la longue histoire ».

Les courriels reçus de lecteurs étaient presque unanimement opposés au changement. L’un d’eux suggéra qu’on parle du « pont Neuf », une référence au numéro de M. Richard et à la structure qui porte ce nom, à Paris. Une autre observa que les Américains n’avaient pas jugé bon d’appeler le lac Champlain le « Babe Ruth Lake ».

C’était silence radio du côté du maire Denis Coderre, le fan enthousiaste du CH relancé plusieurs fois par La Presse.

— Avec Martin Croteau, La Presse

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