Chronique

Ce long chemin vers la consécration

On m’avait dit que le public de Dortmund, en Allemagne, du moins celui de la musique classique, était sage, limite ronfleur. Je ne sais pas si quelqu’un a mis de l’ecstasy dans les verres des 1500 spectateurs du Konzerthaus venus entendre hier soir l’Orchestre métropolitain de Montréal et Yannick Nézet-Séguin, mais ceux-ci ont offert un accueil délirant aux artistes montréalais.

À la fin de ce concert, qui marquait le début de la première tournée européenne de l’OM, le public a longuement ovationné le chef et son orchestre. Il a su reconnaître les performances absolument remarquables des deux solistes qui faisaient partie du programme : Jean-Guihen Queyras (renversant dans le Concerto pour violoncelle n1 de Saint-Saëns) et Marie-Nicole Lemieux (sublime dans Les nuits d’été de Berlioz). Les deux solistes sont venus saluer le public plusieurs fois après leur prestation.

J’avoue que j’ai eu des frissons quand Yannick Nézet-Séguin et son orchestre ont entamé ce concert avec Kaléidoscope de Pierre Mercure. On aurait pu choisir de commencer la soirée par une œuvre d’Elgar ou de Debussy. Mais non.

C’est avec un sceau « 100 % québécois » (œuvre-orchestre-chef) qu’on a souhaité donner le coup d’envoi de cette tournée. Le message était clair, et la réponse le fut tout autant. Le public allemand a beaucoup apprécié cette œuvre lumineuse et accomplie.

En fin de programme, Les Variations Enigma d’Elgar ont littéralement galvanisé les mélomanes (certains ont même tenté d’applaudir à la fin de la très émouvante 9variation appelée Nimrod). L’interprétation de l’œuvre a démontré la parfaite symbiose que le chef et son orchestre ont atteinte après 17 ans de vie commune.

À la fin de ce concert, qui annonce une tournée fort prometteuse (elle se poursuit toute la semaine à Cologne, Amsterdam, Rotterdam, Hambourg et Paris), Yannick Nézet-Séguin, accueilli en véritable star dans cette salle où il est venu à quelques reprises, a dit aux spectateurs qu’il « était très fier d’offrir ce concert avec ses musiciens montréalais dans le cadre de leur première tournée européenne ». Le public a clairement signifié qu’il en redemandait.

Arrivés vendredi dernier, les 89 musiciens de l’orchestre (la formation a été agrandie pour l’occasion) étaient visiblement fébriles à quelques heures de la performance. De son côté, le chef, contre lequel les fuseaux horaires ne peuvent rien, est débarqué samedi. Une répétition en privé a eu lieu hier midi. L’équipe de l’OM avait besoin de ce moment intime pour revoir certains détails du programme.

On a souvent l’impression que les musiciens qui font partie d’un orchestre symphonique ne sont pas nerveux avant un concert : ils sont 90, ça ne paraît pas si quelqu’un se trompe, se dit-on. J’ai voulu savoir comment les musiciens de l’OM se sentaient, eux, à quelques heures de cette première. « C’est sûr qu’on est fébriles, mais on a surtout très hâte de jouer », m’a dit l’hautboïste Lise Beauchamp, entre deux bouchées avalées à la hâte.

Sa collègue Yukari Cousineau, violon solo, abondait dans le même sens. « Je crois que nous prenons tous conscience de ce qui se passe », m’a-t-elle dit. La fille de Jean Cousineau, fondateur des Petits Violons, croit que « l’effet de groupe » qui devrait émaner de cette expérience sera marquant.

« Cette tournée va nous donner des ailes. L’orchestre ne sera plus tout à fait le même après cela. » 

— Yukari Cousineau, violon solo 

Les instruments sont arrivés samedi par cargo, à Dortmund. Une note dans les documents de tournée précisait que les musiciens pouvaient, s’ils le désiraient, aller cueillir leur instrument dès leur réception. Finalement, tout le monde est allé le récupérer. « L’instrument d’un musicien, c’est sacré, m’a confié Lise Beauchamp. C’est capital pour lui. Un musicien doit répéter tous les jours. »

C’était d’ailleurs assez rigolo de circuler dans les corridors du NH Hotel de Dortmund que les 89 musiciens ont largement occupé durant le week-end. On se serait cru dans un conservatoire. De partout, on entendait des passages des œuvres inscrites au programme d’hier soir.

Chaque musicien voulait également s’assurer que son instrument, souvent fait de matériaux précieux, n’avait pas subi de dommages. Pour sa part, Lise Beauchamp est arrivée avec un sac rempli d’anches qu’elle a conçues avant son départ. Ces lamelles, faites à partir de tube de bambou, sont taillées au millimètre près. Elles sont indispensables.

Lise Beauchamp me parlait de son instrument, de la somme qu’un musicien doit investir au cours de sa carrière pour s’en offrir un très bon, des heures qu’il doit consacrer à répéter les œuvres, de toutes les autres activités professionnelles qu’il doit faire pour gagner convenablement sa vie. « On court toujours, m’a-t-elle dit. On fait partie de deux ou trois formations musicales, on donne des cours, on fait du travail à la pige, on s’occupe de nos enfants, etc. »

Je l’écoutais et je songeais au financement public que reçoit l’Orchestre métropolitain depuis de nombreuses années, un financement qui n’a guère augmenté au fil du temps, surtout de la part d’Ottawa.

Le problème avec l’OM est là : sa montée est vertigineuse depuis quelques années, mais le financement ne suit pas. 

Cette formation a la chance d’être dirigée par celui que tous les grands orchestres du monde souhaiteraient avoir (le MET de New York a atteint cet objectif), mais on dirait que ceux qui financent les orchestres chez nous n’ont pas encore compris que des choix devraient être faits et que ces choix tardent à être faits.

Nous sommes extrêmement chanceux que Yannick Nézet-Séguin soit un homme fidèle qui ne renie pas facilement ses origines. D’autres chefs ambitieux et sans scrupules auraient sans doute levé les pattes depuis longtemps s’ils avaient été à sa place. La présente tournée a lieu en grande partie grâce à l’aide de trois mécènes québécois. Heureusement qu’ils sont là, car le triomphe que connaît cet orchestre de chez nous n’aurait pas lieu en ce moment.

Ça serait bien que la ministre Mélanie Joly assiste à l’un des concerts de cette tournée (elle a été prompte à réagir au futur festival de l’humour). Ça serait bien qu’elle réalise le rôle de formidable ambassadeur que joue cet orchestre pour le pays. Ça serait bien, également, qu’elle regarde de plus près les sommes allouées à l’OM. Elle se rendrait compte que cet orchestre fait actuellement des miracles… avec des peanuts !

« La musique creuse le ciel », disait Baudelaire. Le long chemin parcouru par l’Orchestre métropolitain de Montréal donne tellement raison au poète !

Une partie des frais de ce reportage ont été payés par l’Orchestre métropolitain.

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