Montérégie

« Ils viennent nous sauver »

Pas d’internet, à 25 minutes de Montréal ? C’est la réalité de bien des commerçants et citoyens, ignorés par les fournisseurs traditionnels. En Montérégie, Martin et Karine Moses volent à leur rescousse.

Mont-Saint-Hilaire — Si vous aviez essayé de payer par carte de débit au Ciné-Parc Saint-Hilaire, ces dernières années, on vous aurait répondu que ce n’était pas possible : seul l’argent comptant était accepté.

« Ce n’est pas que nous ne voulions pas :  c’est que nous n’avions pas d’accès à internet, essentiel pour cette technologie, dit le copropriétaire Kevin Patenaude. Bell, Vidéotron… Personne ne voulait nous brancher. »

Comme plusieurs citoyens et commerces québécois situés à l’extérieur des centres urbains, le Ciné-Parc Saint-Hilaire n’était pas desservi par les fournisseurs internet traditionnels – même si l’entreprise se trouve en banlieue de Montréal, à quelques mètres de l’autoroute 20.

Un problème vital pour un commerçant : selon une récente étude de la firme de paiement Square, 79 % des Canadiens préfèrent faire leurs achats avec une carte de débit ou de crédit, plutôt qu’avec de l’argent comptant.

À la fin du mois de mars, M. Patenaude a enfin pu faire entrer son commerce dans le XXIe siècle – grâce à un entrepreneur indépendant. L’entreprise Haute-Vitesse.com, pilotée par le duo frère-sœur Martin et Karine Moses, offre un service internet illimité dans sa région.

La Presse a pu assister à l’installation de l'internet au Ciné-Parc Saint-Hilaire, selon la technologie du sans-fil fixe, qui a pris moins d’une heure. Après avoir pu utiliser l’internet dans son commerce pour la première fois, Kevin Patenaude n’en revenait pas.

« Cet été, nos clients vont pouvoir payer en un éclair au lieu de devoir attendre dans une file de voitures qui s’étend jusqu’à l’autoroute. »

— Kevin Patenaude, copropriétaire du Ciné-Parc Saint-Hilaire

M. Patenaude a choisi un forfait illimité, à une vitesse de 7 mégabits par seconde, pour 70 $ par mois. 

Bouche-à-oreille

Martin Moses a eu l’idée de lancer son entreprise il y a quelques années, quand l’entrepreneur qui déneigeait son entrée, à Saint-Basile-le-Grand, lui a raconté que ses filles avaient tellement utilisé l’internet sur son téléphone cellulaire durant le temps des Fêtes qu’il avait reçu une facture de 500 $. Ce déneigeur n’avait pas l'internet à la maison, car les fournisseurs traditionnels ne se rendaient pas chez lui.

« J’ai compris qu’il y avait une demande », dit M. Moses.

Aujourd’hui, l’entreprise qu’il a lancée en 2014 avec sa sœur Karine compte plus de 300 clients en Montérégie, et une centaine d’autres en Nouvelle-Écosse. Les nouveaux clients entendent souvent parler d’eux par le bouche-à-oreille.

« J’ai des clients qui n’étaient pas capables de vendre leur maison, car personne ne voulait acheter une maison qui ne pouvait pas avoir l’internet, dit-il. D’autres dont les enfants devaient aller faire leurs devoirs au Tim Hortons, ou chez des amis, pour utiliser le WiFi. Maintenant, ce sont leurs amis qui viennent chez eux. »

Son entreprise utilise la technologie sans fil fixe, qui est en fait une simple coupole blanche orientée vers un point d’accès, situé à 20 km ou moins, généralement au sommet d’une tour ou, comme c’est le cas en Montérégie, d’un silo à grains. L’entreprise compte une cinquantaine de ces points d’accès dans la région. La bande passante utilisée en fin de parcours par son entreprise pour connecter ses clients au Net est louée au réseau de Vidéotron.

D’autres entrepreneurs utilisent cette technologie pour combler des besoins analogues dans d’autres régions mal desservies du Québec.

En échange de l’utilisation d’un silo – une structure haute comme un édifice de 10 étages – pour installer ses antennes, M. Moses offre l’internet illimité à l’agriculteur qui en est le propriétaire. Un marché qui n’est pas difficile à vendre, dit-il.

« Les agriculteurs ont besoin d’internet pour leurs données et leurs caméras, mais souvent, ils ne sont pas desservis par Bell ou Vidéotron. Ils sont bien contents du marché qu’on leur propose. »

« Incompréhensible »

Pour Kevin Patenaude, du Ciné-Parc Saint-Hilaire, c’est « incompréhensible » de devoir se battre pour être branché à l'internet en 2018. « J’étais en vacances récemment au Costa Rica, nous avions l’internet haute vitesse, nous avons fait du FaceTime et tout. Mais les gros fournisseurs ne sont pas capables de me brancher à Mont-Saint-Hilaire ? En 2018 ? »

Karine Moses entend souvent des histoires de citoyens qui n’ont pas le choix d’utiliser les ondes cellulaires pour avoir l’internet – une méthode coûteuse qui peut occasionner des frais excédentaires prohibitifs.

« J’ai une amie qui dit qu’elle aurait pu s’acheter une Ferrari avec tout ce qu’elle a payé en frais de données pour aller sur internet, car elle ne pouvait pas avoir internet à la maison. »

Un problème plus courant qu’on pourrait le penser, dit-elle.

« Des fois, comme on grimpe dans les airs, les gens disent qu’on est des superhéros. Ils nous regardent travailler et disent : "Ils viennent nous sauver." »

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