Chronique

Questions qui tuent

Qu’est-ce qu’un marathon peut faire de pire ?

Un jeune homme est mort dimanche en courant un demi-marathon. On ne sait pas si on aurait pu le sauver. On sait une chose, par contre : il a fallu une éternité pour lui porter secours.

Andrée-Anne Gagné, résidente en psychiatrie, était là : « Quand il a été branché sur le défibrillateur [après l’arrivée des secours], il avait les extrémités bleutées et il était en asystolie [absence de contraction cardiaque] ».

Selon cette médecin et d’autres témoins, il a fallu 25 interminables minutes pour qu’une ambulance d’Urgences-santé arrive. Le marathon dit qu’il a fallu « sept à huit minutes ». Tout dépend du moment où l’appel s’est rendu…

Comment est-ce possible ? On peut marcher de l’angle Saint-Hubert et Cherrier, où ça s’est produit, pour se rendre au CHUM en deux fois moins de temps que ça. Des policiers étaient sur place. Un témoin est lui-même allé alerter les pompiers.

Plusieurs témoins disent que les policiers étaient passifs. L’appel a-t-il été donné ? Manifestement, le marathon n’a pas reçu d’appel.

Il faut savoir que le marathon fait affaire avec une firme privée et a un certain nombre d’ambulances sur place, en plus du soutien d’Urgences-santé. Y en avait-il assez ? Le marathon dispose d’une équipe médicale très qualifiée et de tout l’équipement nécessaire – défibrillateurs, etc. Ils ont d’ailleurs fait plusieurs interventions d’urgence majeures et avec succès dimanche.

Alors pourquoi le message ne s’est-il pas rendu ? Comment se fait-il que des médecins se déplacent en moto lors d’autres événements, et pas là ?

Impossible de le savoir en ce moment.

À quoi servent 50 défibrillateurs si on n’est pas capable d’en apporter un seul à temps ?

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Ce qu’on sait, c’est que l’organisation de ce marathon prétendument de niveau « international » a tragiquement échoué. Que ce soit la faute d’Urgences-santé et de ses procédures, du Service de police ou des agences privées, à la fin, c’est un échec de ce marathon.

Un marathon, dois-je le rappeler, de la série américaine à but très lucratif « Rock’n’Roll », qui appartient au groupe Ironman, lui-même détenu par la société Wanda Sports Holdings, propriété d’un milliardaire chinois.

Une série qui s’est distinguée par son mercantilisme par le passé, son côté radin, et qui s’est souvent arrangée pour rogner sur les dépenses.

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Des accidents, ça arrive. Des accidents cardiaques mortels, hélas, ça arrive aussi. La même journée, un autre jeune homme est mort à Ottawa à la Course de l’armée. Peut-être est-ce la faute à pas de chance. Je ne sais pas.

On a tendance à penser que ce sont les coureurs en mauvaise forme, mal entraînés, qui sont victimes de ces accidents. Les spécialistes nous disent que c’est souvent le fait de gens très actifs, sportifs même, mais qui souffrent d’une anomalie cardiaque, décelée ou pas. Souvent des jeunes qui sont tout en avant de la cohorte de coureurs.

Le jeune Patrick Neely avait un problème cardiaque connu. Aurait-on pu le sauver ? En tout cas, pour le sauver, il aurait fallu arriver à son chevet dans un délai raisonnable.

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En une quinzaine de marathons et autant de demis, j’ai vu quelques fois des courses commencer en retard. Peut-être qu’une vague course régionale va commencer trois, cinq minutes en retard ?

Mais… 50 minutes ? Jamais vu une affaire pareille. Je ne compare pas avec Boston ou Tokyo, des courses majeures dans une catégorie à part. Mais Ottawa ? Toronto ? Philadelphie ? Mississauga, même ? Voulez-vous parler de l’impeccable marathon de Rimouski ? Du demi de Sorel ? Du Lac-Brome ? De Val-David ? Enfin, des places où chaque bénévole compte, et où jamais une telle chose n’arriverait.

Le délai de près d’une heure n’a « rien à voir avec le décès », dit l’organisation.

Ça n’a rien à voir directement, bien entendu.

Mais indirectement, ça a beaucoup à voir. Une heure à attendre, à être sur le qui-vive, à se déshydrater tranquillement. Surtout, c’est le signe d’une organisation qui est au bord de craquer.

Il semble que Garda était responsable de la sécurité. Et qu’en fin de soirée la veille, on ait appris qu’il manquerait de nombreux effectifs. Pardon ? La… veille ? À 22 h ?

Le directeur de l’organisation, Dominique Piché, un ancien policier, avait raison de ne pas laisser démarrer la course sans que le parcours soit parfaitement sécurisé. Il est le seul qui a pris personnellement la responsabilité. C’est honorable. Mais sachez qu’il a une réputation impeccable. Il organise depuis plusieurs années l’Ironman de Mont-Tremblant, un événement considéré comme un des meilleurs de toute la série.

Il y a dans ce ratage à l’accent tragique plusieurs autres responsables qui se sont tenus bien à l’écart de la lumière.

Garda ? Urgences-santé ? Le SPVM ? La Ville ?

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La course elle-même ? Je sais que ça n’a aucune importance à côté de la mort d’un jeune homme. Mais est-ce normal que les coureurs de l’élite, autour du 30km, aient dû se frayer un chemin parmi les coureurs amateurs qui arrivaient en masse en sens inverse ? Rien de grave… mais rien d’international.

Quant au parcours, dans l’état actuel de reconstruction de la ville, les organisateurs ont été forcés de le redessiner encore. New York emprunte quatre ponts et la 5e Avenue ; Paris, les Champs-Élysées, etc. Montréal prend les deux, trois rues pas trop éventrées par les entrepreneurs…

Comme plusieurs, je m’étais réconcilié avec l’événement, l’an dernier, à l’arrivée de Dominique Piché, qui a réellement insufflé une nouvelle énergie.

Sauf qu’avec ce qui s’est passé cette année, tristement, tragiquement, ce marathon est franchement devenu le pire de tous.

On n’a pas éclairci la chaîne des responsabilités, c’est vrai. Il y a plein de questions sans réponses.

Mais si Wanda Sports n’est pas capable d’organiser un marathon digne de ce nom et de Montréal, sécuritaire avant tout, qu’on le foute donc à la porte de la ville.

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