Entrevue Olivier Choinière

Les mots de l’année

Olivier Choinière en a contre les détournements de sens, les dérapages sémantiques et les enflures langagières.

Inspiré par les nombreux accrocs à la langue française faits par les politiciens, journalistes et autres acteurs de l’actualité pendant la crise étudiante de 2012, le dramaturge et metteur en scène a imaginé l’an dernier un spectacle en forme d’abécédaire des mots en perte de sens, à l’occasion du Festival du jamais lu.

Choinière remet ça mercredi et jeudi prochains au Théâtre d’Aujourd’hui, avec 26 nouvelles lettres. Celles de l’alphabet et d’autant d’auteurs de théâtre, de différentes générations, invités à livrer sur scène leur interprétation de ces mots « galvaudés ou corrompus par l’usage public, médiatique et politique ».

Le défi lancé par Olivier Choinière à ces collègues, dont Carole Fréchette, Jean-Claude Germain, Michel Marc Bouchard, Larry Tremblay, Dominic Champagne et Fabien Cloutier : revisiter ces mots malmenés pour leur redonner un sens, dans une lettre adressée à une personne réelle, à un proche ou à une personnalité publique.

Des lettres courtes, pouvant être lues en moins de trois minutes, qui seront acheminées à leurs destinataires au lendemain des représentations. « Pour que le théâtre mette un pied dans la rue et parle à quelqu’un pour vrai », explique Choinière, récent lauréat du prestigieux prix Siminovitch.

UN ABÉCÉDAIRE POLITIQUE

Choinière a choisi les mots de l’abécédaire. Les auteurs avaient le loisir de choisir le destinataire de leur lettre, qu’ils devront tous livrer eux-mêmes sur scène. Ils ont tous accepté la commande, le jeu et la convention, comme une pièce à relais. « Ils sont très obéissants ! », dit Olivier Choinière, qui a fait appel pour la plupart aux mêmes auteurs que l’an dernier. « J’aimais l’idée de travailler avec le même groupe. On a eu le temps d’approfondir les échanges. »

Aux mots « crise », « démocratie », « éducation », « jeunesse », « terroriste », « violence » succéderont de nouveaux termes, inspirés par l’actualité de la dernière année.

L’angle sera très politique, précise l’auteur de 41 ans, sans vouloir en dévoiler davantage.

Le nouvel abécédaire fera écho aux préoccupations économiques actuelles de la classe politique, à l’austérité ainsi qu’aux élections du printemps dernier, sans s’y cantonner. « On aurait pu faire un abécédaire des mots en perte de sens du monde culturel. Ç’aurait été très facile ! », dit Choinière, qui ne voulait pas s’adresser qu’au milieu du spectacle.

Le metteur en scène, qui a eu l’idée de cet abécédaire il y a 10 ans déjà, veut dénoncer les formules creuses de la politique.

« Le sens de ce qu’on dit n’a plus d’importance. On mesure plutôt l’impact ou la résonance publicitaire de ce qu’on a pu dire sur un certain auditoire. »

— Olivier Choinière

Choinière, lui-même très éloquent, croit encore, comme auteur de théâtre, « que les mots peuvent changer quelque chose ». Mais il regrette le martelage systématique, dans les sphères politique et médiatique, de certaines associations de mots, comme « carré rouge » et « violence » à l’époque de la crise étudiante.

Ce spectacle est-il pour lui une manière de critiquer le langage des médias ? « Certainement, oui, mais pas uniquement cela. Cela vaut autant pour nous, artisans et artistes, qui travaillons avec le langage, que pour ceux qui travaillent avec la langue dans les médias. La critique vaut autant pour nous et même pour nous avant toute chose. »

ÉTABLIR UN DIALOGUE

Cette revue de l’année par ordre alphabétique ne versera pas dans l’attaque facile, prévient Choinière. « On tente d’établir un dialogue », dit-il. Les lettres, dont certaines sont destinées à des ministres, seront publiées par Atelier 10, affilié au magazine Nouveau Projet, dès le 10 décembre, jour de la première représentation.

Choinière a par ailleurs travaillé à un autre projet d’abécédaire, une installation audio qui prend la forme d’un Scrabble-abécédaire des mots chers à André Brassard, dans le cadre d’une exposition consacrée actuellement au célèbre metteur en scène à la BAnQ.

Sa nouvelle création, Ennemi public, avec notamment Frédéric Blanchette, Muriel Dutil, Brigitte Lafleur et Steve Laplante, sera présentée à partir du 26 février, également au Théâtre d’Aujourd’hui.

Le spectacle 26 lettres : abécédaire des mots en perte de sens, quant à lui, pourrait devenir un événement récurrent. « Ce n’est pas demain que le galvaudage va cesser », dit son auteur, qui n’a pas envie pour autant que l’événement verse dans la recette facile.

« L’idée n’est pas de fossiliser le langage non plus et de faire un travail de restauration, pour revenir aux premières définitions des mots, dit-il. Le langage est en évolution constante et ça participe à la richesse de la langue. Mais il faut profiter de ce mouvement-là pour continuer de réfléchir aux mots qu’on utilise. Comme auteurs, et comme auteurs de théâtre, comment fait-on pour écrire avec ces mots qui ne veulent plus rien dire ? »

Au Théâtre d’Aujourd’hui les 10 et 11 décembre

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