Le MILA à l’origine d’un cercle vertueux
La pénurie d’experts en intelligence artificielle est telle que ces derniers peuvent imposer les conditions qu’ils souhaitent à leurs employeurs, assure Myriam Côté, directrice exécutive de l’Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal (MILA).
« Outre les salaires, qui atteignent parfois 1 million US pour un doctorant à peine diplômé, c’est la possibilité de poursuivre leurs travaux de recherche auprès des meilleurs qui les motive », poursuit Mme Côté. Or le MILA, mis sur pied par le spécialiste Yoshua Bengio, est justement le plus grand laboratoire de recherche universitaire en intelligence artificielle au monde, et son mode de fonctionnement repose sur le travail d’équipe et les échanges universitaires.
Les entreprises technologiques estiment donc qu’installer un centre de recherche à Montréal, près du MILA, augmente leurs chances de recruter des experts de qualité. Et ce faisant, elles ajoutent encore plus au pouvoir d’attraction de la métropole.
L’effet Trump
Lorsqu’est venu le temps de planifier sa croissance, la start-up Datalogue, dont les algorithmes permettent de formater rapidement les données nécessaires à l’intelligence d’affaires, a préféré s’installer dans un local anonyme de la rue Beaubien à Montréal, plutôt que dans le chic édifice Flatiron de New York où elle est née.
Le motif : les restrictions à l’immigration imposées par l’administration Trump en vue de favoriser les travailleurs américains.
« Nous avons besoin d’embaucher les meilleurs ingénieurs informatiques, d’où qu’ils viennent, dit Tim Delisle, le jeune PDG de Datalogue. Le système d’immigration canadien a pas mal plus de sens que le système américain.
« C’est un système qui valorise beaucoup le talent qui est rare et global. »
Jean-Sébastien Cournoyer, du fonds de capital de risque Real Ventures, croit toutefois que le Québec peut mieux faire. « Ce n’est pas normal que les démarches dans la province soient les mêmes pour faire immigrer un comptable et un spécialiste de l’intelligence artificielle, qu’il faille six mois pour démontrer que personne d’autre ici n’a les mêmes compétences que le Ph. D. que je suis prêt à embaucher.
« Or cette question a déjà été réglée au Canada anglais », note-t-il.
Un écosystème mature
Selon le capital-risqueur Jean-Sébastien Cournoyer, Montréal compte maintenant sur un bon écosystème pour soutenir la croissance des jeunes pousses en intelligence artificielle.
« Ce n’était pas vrai voici 10 ans, mais aujourd’hui, un entrepreneur montréalais peut compter sur du talent – non seulement technique, mais en développement d’affaires – sur du capital stratégique qui l’aidera à ne pas faire d’erreurs, sur des mentors, sur une certaine densité de développeurs comme lui avec qui il pourra échanger sur ses problèmes, et sur des entreprises à succès qui pourront peut-être acheter sa business », énumère-t-il.
Pour Tim Delisle, de Datalogue, des fonds de capital de risque comme Real Ventures, de Montréal, et Vanedge, de Vancouver, apportent une aide essentielle, tant sur le plan financier que stratégique.
« Ils vont te donner ton premier chèque, mais aussi t’aider à aller chercher le capital de risque étranger et l’amener au pays », dit-il.
Un recrutement plus aisé
Bien qu’ils soient moins nombreux à Montréal qu’à San Francisco, les programmeurs, ingénieurs informatiques et autres experts en technologie de l’information sont plus faciles à recruter par les start-up en intelligence artificielle ici que dans la Silicon Valley, affirment plusieurs personnes rencontrées dans le cadre de ce reportage.
« Quand on regarde Toronto ou New York, ce sont des endroits établis avec des cercles très fermés. Tu dois te tailler une place dans ces cercles avant de pouvoir recruter, dit Tim Delisle, de Datalogue. À Montréal, tu fais partie de la création du cercle. Ça, c’est très différent. »
Les experts asiatiques et européens ont aussi un faible pour Montréal en raison de sa proximité du marché américain, ajoute Jean-Sébastien Cournoyer, de Real Ventures.
Selon Alexandre de Brébisson, de l’entreprise en démarrage Lyrebird, beaucoup d’étudiants européens choisissent la métropole parce que la recherche y est mieux financée que dans leur pays. « Ça joue beaucoup », dit-il.
Enfin, Tim Delisle signale la présence à Montréal d’un bassin important de spécialistes en technologie de l’information. « Nous cherchons à recruter les gens de Morgan Stanley qui sont un peu blasés par leur emploi et qui sont prêts à faire le prochain move de leur carrière », dit-il en souriant.
Efforts publics
Le Québec compte sur un généreux programme de crédits à la recherche et au développement, reconnaît Daniel Putterman, cofondateur de la jeune pousse en intelligence artificielle Kogniz.
« Notre entreprise est basée à San Francisco, mais nous avons choisi d’ouvrir un deuxième bureau à Montréal, explique-t-il. Les crédits à la R & D nous permettent de contrebalancer les coûts supplémentaires engendrés par ce nouvel établissement. »
« Mais ce n’est que le glaçage sur le gâteau, poursuit-il. Bien des pays offrent des programmes comparables. Ce qui nous attire ici en premier lieu, c’est la présence du talent, surtout en ingénierie informatique. »
Québec a aussi annoncé en 2017 une somme de 100 millions de dollars sur cinq ans pour soutenir le développement de l’intelligence artificielle dans la province. Elle sera notamment consacrée à la création d’un centre d’excellence mondial à Montréal où se réuniront les experts du MILA, ainsi que d’une vingtaine de laboratoires d’entreprises.
Cela dit, le Conseil consultatif sur l’économie et l’innovation, mis sur pied par Québec et qui réunit 32 leaders d’affaires de la province, a appelé le gouvernement en février à quintupler cette somme à 500 millions sur 10 ans, sous peine de voir s’éroder son leadership en intelligence artificielle.
À titre de comparaison, cette somme représente 40 % du budget consacré à la même mission par l’ensemble de l’Union européenne.
« L’aide accordée par les gouvernements du Québec et du Canada donne réellement l’impression aux investisseurs que l’intelligence artificielle est un domaine valorisé ici », dit Jennifer Chayes, directrice exécutive des laboratoires de Microsoft à Montréal, Boston et New York.