Rapper sa rage, dans toutes les langues
Collaboration spéciale
RESERVOIR, Australie — « J’ai vraiment du mal à me taire », sourit Briggs, installé sur son canapé dans sa petite maison de Reservoir, au nord de Melbourne.
Depuis plusieurs années, ce rappeur australien de 29 ans fait sensation avec ses textes engagés.
, son dernier album (du nom de Shepparton, sa ville d’origine), est une ode à sa cité et à sa communauté aborigène, les Yorta Yorta (dont le nom est tatoué sur ses deux avant-bras).Au milieu de ses jeux vidéo, de ses vinyles et de sa valise à moitié ouverte sur le sol, Briggs revient de trois semaines à Los Angeles et d’un passage à Sydney. Il s’excuserait presque d’être interviewé : « Je ne suis pas un mystère, je n’ai rien de spécial, je suis juste un type normal. Je ne fais pas la fête et je ne bois pas. » Avant de reprendre : « Mais maintenant, mon opinion a de l’importance. »
Élevé par une mère sage-femme et un père président d’un club de football australien, Briggs a eu la chance d’être bien entouré.
L’homme aux multiples tatouages a quitté Shepparton à l’âge de 18 ans. Depuis, il fait des allers-retours entre Melbourne et sa ville natale, où il joue au grand frère avec les plus jeunes. Briggs a commencé à rapper à 15 ans, influencé par Ice Cube. Avec trois albums à son actif, le rappeur est à la tête d’un nouveau label, Bad Apples, un nom inspiré des paroles d’une de ses chansons.
« Ils disent qu’une pomme pourrie peut en gâcher tout un tas. Et si tout ce que vous aviez au déjeuner était des pommes pourries ? […] Et si, avant même d’avoir un rêve, vous étiez broyé ? »
— Extrait de la chanson
À ses côtés dans l’aventure, Philly, Nooky et Birdz, trois jeunes aborigènes de communautés et d’États différents, tous ayant moins de 35 ans. « J’espère avoir bientôt une femme dans l’équipe, assure Briggs. Tous les membres du label racontent la même histoire, mais chacun de son point de vue. On ne va pas dire qu’on représente tous les aborigènes, mais on apporte notre contribution. Birdz a un style mature et réfléchi. Philly, lui, a une super oreille dans sa musique. Et Nooky, vous pouvez entendre la rage dans ses chansons. »
Si Briggs a lancé ce label 100 % rappeurs aborigènes, c’est avant tout pour être utile envers ses frères au milieu d’une industrie dominée par des rappeurs blancs. « Je veux leur donner ce que je n’ai pas eu et les aider à éviter les obstacles que j’ai surmontés. Il est temps d’aider ces jeunes, sinon, à quoi ça sert, la réussite ? »
Quand on lui demande si être un rappeur aborigène est un handicap en Australie, il se veut très clair : « Être aborigène dans ce pays n’aide pas. Point à la ligne. »
Les jeunes aborigènes ont, en moyenne, 24 fois plus de risques d’être emprisonnés que leurs compatriotes. Dans l’État de l’Australie-Occidentale, c’est 52,4 fois plus de risques. Briggs rappelle : « Il y a encore des morts en détention. Ça ne devrait pas arriver. Il nous manque des droits de l’homme fondamentaux en Australie. »
Dans ses chansons, Briggs parle de ce racisme ordinaire dont souffrent les peuples aborigènes (ils représentent 2,5 % de la population en Australie). Il a pris position publiquement pour Adam Goodes, un sportif aborigène victime de racisme. « Et oui, j’espère que je choque les gens avec mes paroles. Je fais ma part du travail. »
En 1770, James Cook prenait possession de l’Australie pour le compte de la Grande-Bretagne, la déclarant
, c’est-à-dire inoccupée. Or, depuis au moins 50 000 ans, des peuples aborigènes vivent sur le continent. Briggs, qui rejoint ses compatriotes Gurrumul et Archie Roach parmi les artistes aborigènes les plus réputés d’Australie, affiche ce slogan sur son ordinateur : « A toujours été. Sera toujours. La terre des Yorta Yorta. »