L'ART DE PRENDRE L'AVION RECOURS

Droits et désarroi

Les règlements des compagnies aériennes sont méconnus des voyageurs. En cas de pépins, avez-vous des droits ? Ça dépend de votre point de départ et de votre point d’arrivée. Et de votre transporteur…

Aéroport Montréal-Trudeau, vendredi 1er août. Le vol WestJet 593 à destination de Toronto est prévu à 17 h. Mais il fait mauvais temps à Toronto et les orages retardent le départ. Arrivés à Toronto, les passagers en transit, qui ont raté leur correspondance, s’agglutinent au comptoir de WestJet. Plusieurs ne pourront repartir que le lendemain vers leur destination finale. Aucune compensation pour ces heures d’attente supplémentaires.

Un passager, plus rusé que les autres, décide d’appeler au service à la clientèle de la compagnie aérienne plutôt que de faire la queue au comptoir. Il devra lui aussi attendre au lendemain pour repartir vers la Saskatchewan, mais le préposé au téléphone lui offre la nuit à l’hôtel, le souper et le petit-déjeuner après qu’il eut demandé une compensation. Il sera le seul à avoir ce privilège ce soir-là.

Et il est bien chanceux de l’avoir eu, car les transporteurs aériens canadiens ne sont pas légalement tenus de dédommager leurs clients qui ratent leur avion lors de vols intérieurs. Encore moins lorsque c’est la météo, un élément hors de leur contrôle, qui est responsable du retard.

LES TRANSPORTEURS ONT TROIS OBLIGATIONS 

1. Se doter de politiques 

Les transporteurs canadiens doivent respecter la Convention de Montréal (sauf dans les cas de liaisons avec des pays non signataires) qui établit les obligations générales des lignes aériennes et les droits de leurs clients. Les compagnies se dotent ensuite de règles internes qui sont approuvées par l’Office des transports du Canada pour leurs vols internationaux, dont les détails relatifs à la perte de bagages et aux retards ou annulations de vols, dans ce qu’on appelle le « tarif » qui est au cœur du contrat entre un transporteur et son client.

2. Afficher leurs politiques 

La loi de la protection du consommateur impose aux commerçants, incluant les compagnies aériennes, de divulguer clairement toutes les informations relatives au produit que leur client achète, rappelle Jean-Jacques Préaux de l’Office de la protection du consommateur. Et idéalement, ajoute-t-il, sans qu’il ait à faire des fouilles archéologiques pour les trouver. Le hic, c’est que peu de consommateurs prendront le temps de faire cette recherche, surtout lorsqu’il s’agit d’un billet d’avion où le critère prix est déterminant dans l’achat, et qu'ils préfèrent imaginer que les problèmes n'arrivent qu'aux autres. Les clauses du « tarif » d’une compagnie aérienne sont pourtant disponibles. C’est une lecture ardue, mais on y trouve parfois des informations surprenantes.

3. Appliquer leurs politiques 

Les compagnies doivent appliquer leurs règlements tels qu’ils sont indiqués (sur leurs sites ou dans toute autre forme de communication), confirme Chantal Laflamme, porte-parole de l’Office des transports du Canada, l’organisme qui recueille les plaintes des voyageurs s’estimant lésés.

MIEUX AILLEURS ? 

En Europe, la situation est très différente. La réglementation de l’Union européenne prévoit un remboursement des dépenses liées à un retard, autant les repas que les appels pour avertir votre parenté que vous n’arriverez pas à l’heure prévue. Si vous devez passer la nuit à l’hôtel, votre transporteur vous remettra un coupon ou paiera la note, après réclamation. Une compagnie aérienne canadienne doit se conformer au règlement de l’Union européenne si le retard se produit à Paris ou Londres. Inversement, une ligne européenne applique ces clauses partout dans le monde. Si votre vol KLM est retardé à Montréal-Trudeau, vous aurez donc droit aux mêmes avantages.

Aux États-Unis, le Airlines Passagers Bill of Rights impose aussi des compensations chiffrées dans le cas de vols ratés ou de bagages perdus.

En matière de transport aérien, les Canadiens sont-ils moins bien protégés que les autres voyageurs ? « Il y a effectivement un grand écart entre ce qui se fait ailleurs et au Canada, estime le député néo-démocrate José Nunez-Melo. Il n’y a pas de loi ici qui protège adéquatement les voyageurs. » Le député de Laval a déposé un projet de loi privée à la Chambre des communes pour remédier à cette situation en 2012. Son projet a été défait l’année suivante. Selon lui, la majorité de ses collègues était en faveur d’une politique plus claire dans ce domaine, mais la partisanerie a eu raison du gros bon sens.

PORTER PLAINTE

En attendant une loi adéquate, Gabor Lukacs, d’Halifax, conseille aux voyageurs de porter plainte dès qu’ils s’estiment lésés. Il est lui-même à l’origine de nombreuses plaintes auprès de l’Office des transports, dont celle qui a mené à une décision exigeant qu’Air Canada augmente ses compensations dans des cas de survente de billets pour ses vols intérieurs. 

Gabor Lukacs n’est pas tendre lorsqu’il est question des transporteurs canadiens. « Les compagnies aériennes induisent volontairement leurs clients en erreur », dit-il. L’information disponible en ligne est souvent difficile à trouver et parfois non conforme à la Convention de Montréal, affirme-t-il. 

Ce qui complique beaucoup les choses dans le cas des vols est que les règles changent selon le point de départ, d’arrivée et l’origine de la compagnie aérienne. Et que les textes de loi en vigueur sont complexes. Un beau casse-tête pour les voyageurs.

ET LES BAGAGES PERDUS ? 

Vous allez à Las Vegas célébrer votre 25e anniversaire de mariage. Malheureusement la valise contenant votre robe n’arrive jamais à destination. Vous devez vous racheter une robe, des souliers, des cosmétiques… Total : 1000 $. Pouvez-vous refiler la note à votre transporteur, même si votre valise vous est rendue deux jours après votre retour à Saint-Bruno ? 

Les compagnies aériennes indiquent clairement dans leur « tarif » leur politique en matière de bagages perdus. La responsabilité du passager est de connaître ces règles avant d’appuyer sur le bouton « réserver ». En achetant votre billet, vous acceptez de facto ces conditions qui sont publiques. 

Un exemple : Porter exige une réclamation faite par écrit au maximum quatre heures après l’atterrissage de votre vol, si vos bagages sont perdus. Vous signalez la disparition de votre valise le lendemain ? Trop tard. C’est écrit, noir sur blanc. En compensation, Porter offre un bon de 25 $ par jour pour un maximum de cinq jours, échangeable pour votre prochain voyage. 

ET VOTRE ROBE ?

Si elle vous est rendue moins de 21 jours après que vous avez signalé sa disparition, vous avez peu de chance d’obtenir un remboursement de la part de votre transporteur, car, dans les faits, elle n’aura jamais été perdue ! 

À savoir : plusieurs cartes de crédit assurent une couverture en cas de perte de bagages.

SE PLAINDRE À VOIX HAUTE…

Bien sûr, se plaindre auprès de sa compagnie aérienne ou de l’Office des transports du Canada est compliqué, voire décourageant aux yeux de certains voyageurs qui préfèrent s’adresser aux médias ou partager leurs mésaventures sur les médias sociaux.

Le musicien canadien Dave Carroll a décidé de raconter ses déboires en chanson, après une année à tenter d’obtenir une compensation pour sa guitare Taylor brisée. Plus de 14 millions de personnes ont vu la première version (il y en a trois) de la vidéo United Breaks Guitars. Cette histoire date de quelques années, mais la vidéo est toujours aussi sympathique. Un baume pour les voyageurs qui ont vécu une mauvaise expérience avec leur transporteur…

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