Littérature Ce que La Presse en pense

La vie après la mort

Après Maida
Katharine Dion
Gallmeister
272 pages
Quatre étoiles

Maida est morte subitement et Gene, son mari depuis un demi-siècle, se retrouve seul dans leur maison de Colton, au New Hampshire. La sollicitude de leurs amis et de leur fille unique – qui revient régulièrement de Californie pour l’aider à s’organiser – lui pèse. Il s’ennuie de sa femme, de leur quotidien, de leurs habitudes, des petits gestes de complicité qui font que chaque couple est unique.

Le deuil est un sujet riche – qu’on pense seulement au sublime The Year of Magical Thinking de Joan Didion – qui permet d’explorer des thèmes porteurs comme le couple, l’amour, la famille, ce qui fait qu’une vie a été réussie ou pas.

Gene revisite ses souvenirs et se perd dans ses réflexions. A-t-il idéalisé sa vie amoureuse et familiale ? Les gens qui l’entourent – Ed et Gayle, les amis de toujours – ont-ils une lecture différente du couple qu’il formait avec Maida ? Sa femme a-t-elle été aussi heureuse que lui, ou cachait-elle quelques secrets ? Ou des regrets ? Et que dire de sa relation avec sa fille, mère seule presque toujours sur la défensive avec lui ? Gene s’est toujours perçu comme un père aimant qui a tout donné pour rendre sa famille heureuse. L’a-t-il vraiment été ?

L’auteure Katharine Dion s’est glissée avec beaucoup de talent et de crédibilité dans la peau d’un septuagénaire endeuillé qu’elle rend à la fois vulnérable et attachant dans sa quête de bonheur.

Il s’agit d’un premier roman pour la jeune femme et on est complètement séduit par la profondeur et la justesse de ses personnages, par la sensibilité de son écriture, par l’intelligence du cœur. Au passage, l’auteure aborde le thème on ne peut plus actuel de la condition féminine : elle évoque la vie des femmes d’une certaine génération, de qui on attendait qu’elles soient presque invisibles, entièrement dévouées à leur mari et leurs enfants. Elle effleure aussi les sujets de la maternité et des nouvelles formes familiales qui redéfinissent le rôle du père… Enfin, Après Maida recèle quelques très beaux passages sur la littérature. Bref, voilà un premier roman remarquable. On suivra assurément tout ce qu’écrira Katharine Dion à l’avenir.

— Nathalie Collard, La Presse

Éternel Jean d’O

Le dernier roi soleil
Sophie des Déserts
Fayard/Grasset
287 pages

Pourquoi faire le portrait d’un homme qui a déjà beaucoup abordé sa vie dans son œuvre ? À cette idée, Jean d’Ormesson, qu’on surnommait Jean d’O (clin d’œil à Histoire d’O ?), a d’abord été réfractaire et s’est réfugié dans une célèbre citation de Cioran qui soutenait qu’« il est incroyable que la perspective d’avoir un biographe n’ait jamais fait renoncer personne à avoir une vie ». Or, c’est une vie plutôt haute en couleur que celle de Jean d’O, aristocrate, charmeur, bête médiatique, directeur du Figaro pendant quelques années, à qui l’on doit une solide campagne pour faire entrer la première femme à l’Académie française, Marguerite Yourcenar.

« Mon Dieu, quelle horreur… Moi qui me suis appliqué toute ma vie à ne rien dévoiler », dit-il à la journaliste Sophie des Déserts qui lui propose l’exercice. Mais il acceptera, finalement, et la laissera entrer dans son intimité tous les mois pendant trois ans. Longue discussion interrompue par sa mort en 2017 – éclipsée d’ailleurs par la mort de Johnny Hallyday. Au bout du compte, nous avons ici un portrait très touchant de l’homme, écrit dans un style très vivant, comme si on y était nous aussi, dans les dernières années de sa vie.

— Chantal Guy, La Presse

À DÉCOUVRIR

La joie discrète d’Alan Turing
Jacques Marchand
Québec Amérique
431 pages

Le destin du mathématicien Alan Turing, dont les travaux sont à l’origine de l’informatique qui a changé nos vies, ne cesse de susciter la fascination (encore plus depuis le film Imitation Game en 2014, où Benedict Cumberbatch l’incarnait). L’écrivain Jacques Marchand (auteur d’Un petit gros au bal des taciturnes) apporte son éclairage sur cette vie mystérieuse et tragique puisque, malgré son génie, on lui a fait subir une castration chimique parce qu’il était homosexuel, quelque chose qu’on ne pardonnait pas dans l’Angleterre des années 50. Dans ce livre, Marchand mélange la recréation romanesque à sa propre enquête, afin de nous faire découvrir l’un des hommes les plus influents du XXe siècle, qui a bien failli l’oublier.

— Chantal Guy, La Presse

Raconter la vie des autres

Mes vies secrètes
Dominique Bona
Maison d’édition
Gallimard
320 pages

Romancière et biographe, Dominique Bona est l’auteure de nombreuses biographies, dont celles de Romain Gary, Stefán Zweig, Camille Claudel et Berthe Morisot. Toujours effacée derrière des personnages plus grands que nature, voilà que l’écrivaine nous fait le récit de ses aventures littéraires en revisitant ses nombreux ouvrages. On découvre ses motivations, on retourne avec elle sur le lieu de ses recherches, on fait la connaissance de personnages périphériques colorés et originaux. Généreuse, Bona nous fait part de ses observations, de ses craintes, de ses découvertes. Cette lecture nous permet d’entrer dans la tête de la biographe, de comprendre un peu mieux le mécanisme de son travail. Un exercice généreux et captivant à lire, de la part de celle qui occupe aujourd’hui le fauteuil autrefois réservé à Voltaire à l’Académie française.

— Nathalie Collard, La Presse

POÉSIE

Chauffer le dehors
Marie-Andrée Gill
Portages
Louis-Thomas Plamondon
La Peuplade

Les éditions La Peuplade font paraître ce mois-ci deux recueils, Chauffer le dehors de la célébrée poétesse innue Marie-Andrée Gill, qui en est à son troisième titre dans cette maison, et Portages de Louis-Thomas Plamondon, nouveau venu de Québec. « Dans le blizzard d’une peine d’amour, un texte unique qui renoue avec la vie », promet-on au sujet de Gill, tandis que « la poésie de Louis-Thomas Plamondon marque un temps d’arrêt de beauté et d’existence ».

— Chantal Guy, La Presse

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