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Hier à Nyassan

Il y a quelques années, Catherine Hébert avait séduit avec Carnets d’un grand détour, récit initiatique, tourné durant plusieurs mois et sur deux continents, d’un homme en quête d’absolu. Cette fois, sa caméra capte, le temps d’une seule journée, le quotidien d’habitants du Burkina Faso travaillant à la culture du riz. Son intérêt pour le continent noir se manifeste avec le même regard sensible. À noter que ce court métrage est inclus dans un programme de trois films.

 — André Duchesne, La Presse

À l’université Concordia (salle J.A. de Sève), ce soir, 18 h 30 ; au Cinéma du Parc, demain, 21 h, dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM)

Chronique

Le Québec vu par un exilé

Le 15 novembre 1976, John Walker a gagné ses élections. Il a voté, avec l’enthousiasme de ses 24 ans, pour le parti de René Lévesque, séduit par l’idée d’une révolution progressiste et d’un gouvernement social-démocrate.

Mais avant le référendum de 1980, la famille du cinéaste d’origine irlando-écossaise, installée au Québec depuis plusieurs générations, a plié bagage vers Toronto. La clientèle de son père designer graphique avait déserté le Québec, et lui-même ne se reconnaissait pas dans le slogan « Le Québec aux Québécois ! ».

« Quand j’ai entendu ça, j’ai su que je n’étais pas inclus », dit John Walker, dont le documentaire Québec My Country Mon Pays sera présenté ce soir et demain dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal.

Documentaire intime sur sa famille, le film de John Walker propose une perspective intéressante sur le Québec, du point de vue de ceux qui, terrifiés par les bombes du Front de libération du Québec et la montée du nationalisme ethnique, ont fini par quitter leur terre natale.

John Walker, qui a travaillé en Afrique et habite aujourd’hui à Halifax, a grandi à Mont-Royal dans les années 60. « Grâce à des amis francophones, j’ai fini par comprendre pourquoi on se faisait traiter de “maudits Anglais” sur la patinoire du quartier voisin. Nous étions perçus comme les oppresseurs. Mais il y avait beaucoup de demi-vérités et d’incompréhension dans tout ça », dit-il en entrevue.

Québec My Country Mon Pays est à la fois une chronique familiale et un survol de notre histoire – essentiellement de la Grande Noirceur au référendum de 1980 – pour un public pancanadien plus ou moins averti. Une « histoire du Québec 101 », en quelque sorte, à travers les questions d’un anglophone exilé et les réponses d’intellectuels francophones, parmi lesquels Jacques Godbout et Denys Arcand.

Le cinéaste évoque le traumatisme de la crise d’Octobre – certains de ses amis ont été arrêtés et détenus à l’époque – et de la mort de Pierre Laporte qui, dit-il, lui « serra le cœur ». Une bombe posée par le FLQ a explosé à trois coins de rue de l’endroit où sa mère avait fréquenté l’école primaire, tout près de chez sa grand-mère. 

« J’avais 11 ans et j’ai vu la peur dans les yeux de ma grand-mère. Je ne me sentais plus tout à fait en sécurité. »

— John Walker

Ce sentiment d’insécurité n’était pas largement partagé par les francophones. « On ne se sentait pas concernés. Ce n’était pas nous qui étions ciblés », résume dans le film Denys Arcand, qui admet qu’il n’avait pas la moindre envie de réaliser Le confort et l’indifférence pour l’ONF, en 1980. « Tu ne peux pas faire la révolution dans un pays où chacun a sa piscine », dit-il.

C’est en enterrant son père dans sa ville natale de Lachute, en 2008, que John Walker a eu l’idée de réaliser Québec My Country Mon Pays. « Ce fut très dur de partir de chez lui à 55 ans. Sa famille avait fui l’impérialisme britannique pour le Québec et il était à son tour perçu comme l’ennemi anglais. Revenir à mes racines a brassé beaucoup d’émotions et de sentiments. »

Le cinéaste s’est rendu à Lachute à la rencontre de cousins qui se sentent aujourd’hui au Québec comme des « citoyens de seconde zone ». Difficile à croire pour la minorité que constitue le Québec francophone en Amérique du Nord. Exagéré ? « C’est quelque chose de très subtil, répond Walker. Il y a eu un impact pour les anglophones. Leurs salaires sont désormais moins élevés que ceux des francophones. Les rôles ont été inversés. Mais mon but n’est pas de faire de la polémique. J’ai senti que mon film pouvait exister et contribuer au dialogue. »

Nombreux sont les anglophones qui sont restés au Québec et ont embrassé ce qui rend cette société si distincte, fais-je valoir à Walker. « Ce serait dangereux de généraliser. C’est une histoire personnelle », dit-il. Celle de ses ancêtres écossais, arrivés au Québec il y a 250 ans, et de ses ancêtres irlandais, qui ont fui les Britanniques il y a 150 ans.

Walker tient à cet héritage. Une partie de son documentaire a été tournée en Écosse, au moment de son propre référendum sur l’indépendance. Malgré son exil, le cinéaste s’est toujours senti Québécois et dit défendre les intérêts du Québec à l’extérieur de ses frontières. Dans son film, il raconte son amour du Québec, l’influence qu’a eue sur lui le cinéma de Pierre Perrault (dont il rencontre la veuve) ou de Gilles Groulx (il s’entretient avec Barbara Ulrich, l’actrice du Chat dans le sac).

Dyslexique, Walker n’a jamais bien appris le français, ce qui a d’autant plus nourri son sentiment d’exclusion. « Ça m’a causé beaucoup de chagrin, dit-il. J’ai dû arrêter le hockey pour apprendre le français le samedi. Mais je n’étais pas doué. Je sais que ça peut sonner comme une excuse. Je traînais un sentiment de culpabilité. Je me sentais inadéquat. C’est aussi une des raisons pour lesquelles je suis parti. »

De la fin des années 60 à la fin des années 90, quelque 600 000 anglophones auraient quitté le Québec. 

« Ce n’était pas un exil forcé, reconnaît John Walker. Mais il y a eu un sentiment que l’on n’avait plus notre place dans la société québécoise. Qu’on n’y avait pas d’avenir. Et que les francophones n’étaient pas mécontents que l’on parte. Ma famille ne s’est jamais sentie chez elle à Toronto. »

Quarante ans après l’élection historique du Parti québécois, on pourrait croire que le Québec n’est plus du tout le même que celui qu’a quitté le cinéaste. Il reste que la résurgence d’un nationalisme identitaire fait craindre le pire à certains Anglo-Montréalais.

C’est le cas de Christina Clarke, une jeune anglophone pourtant parfaitement bilingue, qui avoue à la caméra ne pas se sentir acceptée à part entière dans la société québécoise.

« Elle n’est pas partie, dit le cinéaste. Mais ses amis quittent le Québec. On leur dit : si vous n’êtes pas contents, prenez la 401 jusqu’à Toronto ! »

Ce soir au Cinéma du Parc, 18 h ; demain à l’université Concordia (salle J.A. de Sève), 20 h

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