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Un avenir pour l’interculturalisme ?

Félix Mathieu (écran précédent) pose une excellente question. Qu’est-ce qui a empêché l’officialisation de l’interculturalisme à l’échelle gouvernementale, sa traduction en politiques et en programmes, sa diffusion dans les instances de l’État et sa promotion dans le discours politique ? Pourquoi ne pas faire ce qu’Ottawa a fait très efficacement avec le multiculturalisme ?

L’interculturalisme est le modèle le mieux adapté au contexte québécois. Il met l’accent sur l’intégration, comme l’exige une petite nation minoritaire qui a toujours nourri le sentiment de sa fragilité. Pour créer de l’unité et une solidarité minimale, il encourage les interactions, les rapprochements interculturels. Il vise l’essor d’une culture commune pour cimenter les composantes de la nation. Enfin, comme la plupart des autres modèles, il prend en compte le rapport majorité-minorités, non pour le raffermir, mais pour l’atténuer et l’arbitrer dans un souci d’équité. Sur chacun de ces traits, le modèle tranche sur le multiculturalisme.

J’ajoute que, comme la plupart des modèles d’aménagement de la diversité, l’interculturalisme se voue à la protection de la diversité et des droits de chacun, ce qui inclut l’éradication de la discrimination et du racisme.

Revenons à la question posée par Félix. Pourquoi ce modèle qui jouit d’un large appui dans la population n’a-t-il pas pénétré la machine de l’État ? Il y a eu des essais. Certains étaient mal inspirés. Ce fut le cas, par exemple, en 1981 avec le modèle de la « convergence ». C’était au fond un programme d’assimilation douce, à long terme. Le ministre Gérald Godin, son parrain, l’a reconnu et a fini par le rejeter. Il y a eu en 1990 l’Énoncé de politique (ou « contrat moral ») qui a beaucoup fait avancer les choses en mettant en place des balises fondamentales. Mais à partir de 1995, il a été en partie éclipsé. Après l’affaire des « votes ethniques » de Jacques Parizeau, le gouvernement a voulu afficher une orientation résolument « civique ».

Une coquille vide

Ensuite, nous avons vu un peu de tout, mais dans le vague ou l’excès, jusqu’au gouvernement de Philippe Couillard qui, dans un document officiel, a adopté l’interculturalisme, mais la définition retenue était une coquille vide.

Quatre facteurs d’empêchement ont joué à différents moments depuis 30 ans, selon le gouvernement en place. La crainte d’indisposer Ottawa et de mener une lutte contre le multiculturalisme a certainement pesé, tout comme l’idée que l’interculturalisme n’était qu’une construction partisane au service du nationalisme et même du souverainisme.

À d’autres, le modèle a paru trop tiède dans la protection des « privilèges » de la majorité francophone ou trop mou à l’égard de minorités désireuses de restaurer ici l’empire de la religion.

Le premier facteur surprend : reconnaît-on là le Québec qui a mené la lutte autrement plus dure pour la loi 101 ? Le deuxième facteur n’a guère de prise. Les intellectuels qui ont proposé des définitions de l’interculturalisme ont tous pris soin de le tenir à l’écart du nationalisme comme de toute idéologie partisane.

Les deux autres facteurs s’annulent en quelque sorte. Le modèle se veut justement une quête d’équilibre en repoussant les tentations assimilatrices et en se prémunissant contre les dangers de la fragmentation. De là vient l’une de ses principales caractéristiques : promouvoir la formation d’une culture commune ou nationale qui se nourrit de toutes les cultures en présence, sans en fragiliser aucune.

Retenons qu’à des degrés divers, comme le souligne Félix Mathieu, les quatre partis principaux en lice présentement ont déclaré une ouverture en faveur de l’interculturalisme (Québec solidaire se montrant le plus déterminé). Les plus hésitants devraient réaliser que le modèle, encore une fois, est largement appuyé par l’opinion publique et qu’il est le fruit d’une longue réflexion collective qui enjambe les clivages de partis.

Existerait-il un cinquième facteur plus puissant qui ferait douter de l’utilité même d’un modèle de prise en charge de la diversité ? Si oui, c’est une erreur. On ne peut laisser à chacun des acteurs collectifs, parapublics ou privés, la liberté de traiter à sa guise toutes les situations de mésentente qui mettent en cause des principes fondamentaux. Il est utile aussi que les citoyens puissent se référer à de grandes lignes de conduite pour régler leurs comportements dans les rapports interpersonnels.

À ces arguments, on objectera peut-être que le droit fournit déjà ces lignes de conduite dont les tribunaux veillent à l’application. Comment alors expliquer le besoin manifesté par la plupart des pays de se doter d’une philosophie à l’usage des institutions et des citoyens ? Une société ne serait-elle qu’une collection d’individus dotés de droits ?

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