Économie

Alors que l’inquiétude face au coronavirus gagne la planète, les marchés boursiers et l’industrie touristique ne font pas exception.

Chronique

La Bourse attrape le coronavirus

Essoufflement, toux, fièvre… Les marchés boursiers ont attrapé le nouveau coronavirus qui paralyse la Chine. Mais si le passé est garant de l’avenir, ces symptômes temporaires ne porteront pas un coup fatal aux investisseurs.

Lundi, la Bourse américaine a perdu 1,6 %, tandis que la Bourse canadienne se repliait de 0,7 %, sa pire journée depuis quatre mois. Après une année de rendements spectaculaires en 2019, les marchés sont sur le qui-vive. D’ailleurs, l’indice VIX, qui mesure la peur sur les parquets boursiers, a atteint son plus haut niveau depuis octobre dernier.

Les investisseurs se sont réfugiés dans l’or et les obligations du gouvernement américain à 10 ans, dont le regain de popularité a fait fondre le rendement à un creux de 1,6 %.

« Est-ce que les marchés surréagissent ? Pour l’instant, non. Est-ce que les marchés sont nerveux ? Oui. Les investisseurs vont mettre sur leurs écrans les courbes épidémiques du coronavirus, comme on le faisait à l’époque du SRAS », raconte Stéfane Marion, stratège en chef à la Banque Nationale.

Mais la situation est bien différente de celle d’il y a presque 20 ans.

Quand le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) a frappé en Chine, en 2002-2003, les gens craignaient une vaste pandémie mondiale qui ne s’est pas avérée. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cet épisode a fait 774 morts sur 8096 cas rapportés, soit un taux de mortalité de 9,5 %.

Lundi en fin de journée, 2886 personnes avaient été infectées par le nouveau coronavirus qui a entraîné 81 décès, soit un taux de mortalité de moins de 3 %. Pour l’instant, l’Organisation mondiale de la santé n’a pas voulu décréter l’urgence de santé publique de portée internationale (USPPI).

Cette fois, la Chine semble très fermement déterminée à contenir le virus.

Le gouvernement a décrété une quarantaine d’une ampleur jamais vue, touchant 60 millions de personnes. Les transports ont été suspendus pour contenir la population dans plusieurs régions, y compris la province de Wuhan où le virus aurait pris naissance dans un marché de fruits de mer.

De plus, le congé du Nouvel An lunaire a été prolongé. Les transactions à la Bourse de Shanghai sont arrêtées jusqu’au 3 février. Et plusieurs entreprises doivent rester fermées jusqu’au 10 février.

Tant mieux si cette batterie de mesures permet de mieux contenir la propagation du virus. Mais cette paralysie générale en Chine aura des répercussions sur l’économie mondiale beaucoup plus grandes qu’à l’époque du SRAS.

En 2002, la Chine entrait à peine dans l’Organisation mondiale du commerce. Depuis, son économie a connu un formidable avènement, passant de 8 % du PIB mondial à 20 % aujourd’hui. La Chine est maintenant le noyau de la chaîne de production mondiale.

Par exemple, la région de Wuhan regroupe plusieurs fabricants de pièces automobiles. Si les usines restent fermées, cela pourrait avoir des conséquences importantes sur des géants comme Nissan ou Honda.

Les craintes que le coronavirus ralentisse l’économie mondiale ont donc fait tomber le pétrole de 2 % et les titres du secteur canadien de l’énergie de 2,8 %.

Les transporteurs aériens en ont aussi pris pour leur rhume. Il faut dire que le nombre de Chinois voyageant par avion a pratiquement été multiplié par 10 depuis 2002, souligne M. Marion. À l’époque, 73 millions de Chinois voyageaient par avion chaque année, maintenant ils sont 611 millions.

Et si les consommateurs chinois restent enfermés trop longtemps chez eux, les multinationales du commerce de détail, en particulier dans le domaine du luxe, vont aussi s’en ressentir.

Bref, quand l’économie chinoise a la grippe, tout le reste de la planète tousse.

Mais l’épisode du SRAS démontre que les investisseurs ne doivent pas paniquer non plus. À l’époque, la Bourse avait subi les contrecoups de l’épidémie qui survenait au même moment que l’invasion de l’Irak par les États-Unis.

« La nervosité a duré quelques semaines, mais les dommages collatéraux ont été beaucoup moins importants que ce qu’on avait pensé », rappelle M. Marion.

D’ailleurs, on a observé le même phénomène avec la grippe porcine qui a frappé le Mexique en 2009, le virus Ebola qui a sévi en Afrique en 2014 ou encore le virus Zika qui s’est répandu au Brésil en 2016.

Chaque fois, la Bourse locale a été ébranlée à court terme. Chaque fois, elle s’en est remise, affichant des gains appréciables dans les mois suivants.

Coronavirus

Les agences de voyages sur le qui-vive

Certaines ont carrément annulé des départs

La menace de propagation du coronavirus touche l’industrie québécoise du voyage. Certaines agences ont même décidé d’annuler des séjours organisés en Chine, où sévit la maladie. D’autres craignent que leurs clients boudent le pays asiatique quand viendra le temps de choisir leur prochaine destination de vacances.

Voyages Gendron devait amener deux groupes de touristes québécois en Chine au mois d’avril. Or, l’entreprise a décidé de revoir ses plans et de proposer d’autres destinations aux 10 personnes concernées.

Lundi matin, les circuits étaient toujours annoncés sur le site internet de l’agence, mais ils devraient être retirés sous peu, a assuré Marc-Olivier Gagné, directeur du développement numérique et du marketing chez Voyages Gendron. « On n’avait pas beaucoup de passagers inscrits et on s’est dit qu’il y avait quand même du risque, donc on a décidé d’annuler tout simplement. »

M. Gagné admet que ce genre de situation est exceptionnel et que l’agence n’a pas l’habitude d’annuler des départs.

« Ça va arriver qu’on va le faire pour de l’instabilité politique. Mais c’est plutôt rare. »

— Marc-Olivier Gagné

Du côté d’Aéroport Voyage, le propriétaire André Desmarais, également président de la section Québec de l’Association canadienne des agences de voyages (ACTA), confirme de son côté que des clients ont décidé de renoncer à leur périple en Chine. « Ils ont annulé [lundi] matin, dit-il. Ils devaient partir en croisière la fin de semaine prochaine. »

M. Desmarais rappelle par ailleurs que certains lieux touristiques en Chine ont été fermés. Disneyland à Shanghai, une section de la Grande Muraille, les tombeaux des Ming et la forêt des pagodes comptent parmi les endroits auxquels les visiteurs n’ont plus accès.

Bouder la Chine

Cristelle Cormier, directrice générale adjointe chez Tours Chanteclerc, affirme que, pour le moment, son agence n’a annulé aucun séjour en Chine, puisque les prochains départs ne sont prévus qu’en avril et en mai. « Actuellement, on suit la situation de près, assure-t-elle. On est en communication avec nos fournisseurs locaux. Ça m’étonnerait qu’à plus de 30 jours du départ, on prenne une décision. » 

Elle prédit toutefois que ce virus risque de dissuader les voyageurs de se rendre sur le territoire de l’empire du Milieu.

« C’est sûr que ça va avoir un impact négatif sur la Chine, soutient-elle. Et même, je pense, au-delà de la Chine. Les gens vont peut-être [avoir moins envie] de partir en Asie. » 

« C’est sûr que ça risque d’être des impacts à court terme. Mais certaines destinations risquent d’être affectées pour plusieurs semaines, voire plusieurs mois. »

— Cristelle Cormier

« Ça nous rappelle des mauvais souvenirs du SRAS en 2003, souligne-t-elle. Ça avait eu un impact négatif sur tout le continent asiatique. »

De son côté, André Desmarais croit lui aussi que la destination risque d’être « impopulaire » pendant un certain temps, mais il estime que les voyageurs ne la bouderont pas longtemps. « Au cours des prochaines semaines, on va voir comment la Chine va réussir à endiguer la progression de la maladie, indique-t-il. Tant et aussi longtemps qu’il va y avoir l’épidémie, les gens vont reporter leur voyage en Chine. Mais les humains ont la [capacité] d’oublier vite. »

Air Canada a pour sa part modifié sa politique pour permettre aux clients qui devaient se rendre en Chine de changer gratuitement leur départ pour un autre vol ou une autre destination. « Nous continuons d’opérer un horaire habituel tout en surveillant de très près les développements, assure la porte-parole du transporteur, Pascale Déry. Toutefois, il est encore trop tôt pour savoir quel impact cette situation a sur nos opérations. » Air Canada offre sept départs par semaine entre Montréal et Shanghai. 

Sur son site internet, le gouvernement canadien recommande aux voyageurs « d’éviter tout voyage dans la province de Hubei […] en raison de l’imposition de sévères restrictions de voyage visant à limiter la propagation d’un nouveau coronavirus ».

Moins de visiteurs chinois ici ?

Par ailleurs, la crise qui secoue le pays pourrait-elle également influer sur le nombre de visiteurs chinois qui foulent chaque année le sol canadien ? Rappelons que Pékin a annoncé lundi la suspension des voyages organisés en dehors du pays afin de tenter d’enrayer l’épidémie. Or, depuis quelques années, on déploie de nombreux efforts pour attirer une clientèle chinoise, particulièrement à Montréal. 

« On suit ça de près, assure Andrée-Anne Pelletier, porte-parole de Tourisme Montréal. C’est sûr que c’est un marché à fort potentiel, en raison des vols directs. » Il a été impossible toutefois de savoir exactement combien de touristes chinois sont venus visiter la métropole l’an dernier. 

Du côté de Québec, on se dit également préoccupé par la situation. « Concernant les effets de la suspension des voyages à l’étranger par Pékin, il est beaucoup trop tôt pour répondre à cette question, a déclaré Sandra O’Connor, attachée de presse de la ministre du Tourisme, Caroline Proulx, dans un courriel envoyé à La Presse. Nous suivons toutefois attentivement l’évolution de la situation car, en effet, la Chine représente un marché important pour l’industrie touristique québécoise. »

En 2018, Statistique Canada faisait état d’une hausse constante de voyageurs en provenance d’Asie au pays. Environ 757 000 ressortissants chinois auraient visité le pays cette année-là. Une croissance d’environ 7 % par rapport à l’année précédente qui aurait toutefois été en deçà des attentes de Destination Canada, qui visait plutôt une hausse de 13 %. 

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