OPINION CULTURE ET CRÉDITS D’IMPÔT

Qu’on règle d’abord le problème de la santé

Résumé du mémoire des auteurs présenté à la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise et rédigé au nom des 25 000 artistes, artisans et créateurs culturels membres de l’Alliance québécoise des techniciens de l’image et du son (AQTIS), de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ), de la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC), de l’Union des artistes (UDA), de la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec (GMMQ) et de la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec (SPACQ).

Notre mémoire martèle trois points fondamentaux. Le premier point est que la culture est un bien public et que plusieurs de ses produits sont soumis à d’importantes économies d’échelle. À défaut d’aide financière publique, ils ne sont rentables que dans de très grands marchés. Sans implication financière de l’État, notre culture locale finirait par être oblitérée par l’impérialisme culturel américain, japonais ou chinois. L’affirmation malheureusement répandue selon laquelle les entreprises culturelles locales qui ne passent pas le test de la rentabilité marchande pure devraient disparaître contredit non seulement le gros bon sens, mais également tous les canons de la science économique contemporaine appliqués au secteur culturel.

Notre deuxième point est que, depuis une décennie, la rentabilité des industries culturelles est fragile et que la précarité d’emploi des travailleurs de la culture est croissante. De 2011 à 2013, en proportion de leur valeur ajoutée, les immobilisations de nos industries culturelles ont été supérieures de 40 % à celles de nos industries manufacturières. Malgré tout, le poids de la culture dans le PIB du Québec est en recul. Les travailleurs de la culture sont de plus en plus nombreux à se déclarer travailleurs autonomes plutôt que salariés, à occuper plusieurs emplois à la fois et à occuper des emplois à temps partiel. Ça sent partout la hausse du chômage structurel.

L’affirmation voulant que les travailleurs touchés par les réductions de crédits d’impôt n’auront qu’à se trouver un autre emploi est passablement téméraire.

Ces mesures, si elles voient le jour, vont accentuer la fragilité des entreprises culturelles et la précarité d’emploi de leurs travailleurs.

Le problème avec ces mesures annoncées est qu’elles s’ajoutent à d’autres menaces qui pèsent en même temps sur nos travailleurs de la culture : l’intensification de la concurrence mondiale par la voie numérique, et le sous-financement de nos deux principaux diffuseurs de produits culturels hors divertissement, Télé-Québec et Radio-Canada. Une estimation conservatrice de l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM) a établi que la réduction des crédits d’impôt dans les seuls domaines de la télévision et du cinéma pourrait faire perdre 650 emplois directs. La disparition de Télé-Québec en éliminerait au moins 800 autres, auxquels il faudrait ajouter l’effet des coupes annoncées à Radio-Canada.

Notre troisième point est que la Culture n’est aucunement responsable des difficultés financières du gouvernement. Elle a, au contraire, aidé à les atténuer. C’est la Santé qui est la source du problème. Depuis 2006, les dépenses de programmes du Québec en Santé ont augmenté de 40 %, l’économie a crû de 26 %, et les dépenses de programmes en Culture n’ont progressé que de 11 %.

Il est, par conséquent, singulièrement effronté de clamer que « la réduction des dépenses nécessite des efforts de tous » et que « chacun doit faire sa part » sans tenir compte que la plupart des missions autres que la Santé, y compris la Culture, ont déjà fait plus que leur part pour assainir les finances de l’État.

Dans les circonstances, la pire solution, sur le plan de l’efficacité comme de l’équité, consisterait à laisser le secteur-éléphant de la Santé – 50 fois plus gros que la Culture – continuer à écraser toutes les autres missions gouvernementales comme il le fait déjà depuis vingt ans. Qu’on règle d’abord le problème de la Santé, on pourra se reparler après.

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