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Quand les parents harcèlent les enseignants sur le web

Quand on parle d’intimidation à l’école, on pense habituellement aux élèves qui en intimident d’autres. Mais une autre forme de harcèlement est méconnue et étonnamment présente : le cyberharcèlement des enseignants… par les parents.

C’est ce qu’a découvert Stéphane Villeneuve, chercheur au Centre universitaire sur la formation et la profession enseignante à l’UQAM, en menant une enquête auprès de 742 enseignants québécois du préscolaire, primaire et secondaire.

« C’est surprenant dans une certaine mesure. J’ai l’impression que ça s’inscrit dans le fait que le rôle de l’enseignant est moins valorisé aujourd’hui. L’enseignant n’a pas la même autorité qu’avant. »

— Stéphane Villeneuve, chercheur au Centre universitaire sur la formation et la profession enseignante à l’UQAM

Le professeur Villeneuve a montré que 5,6 % des enseignants québécois ont vécu du cyberharcèlement. Sans surprise, ce sont surtout les élèves qui intimident les enseignants (49 % des cas). Mais les parents viennent bons deuxièmes (29 % des cas), devant les collègues (17 %) et la direction (12 %).

« Les pourcentages peuvent sembler petits, mais ça touche des milliers d’enseignants, en plus de leurs proches et de leur famille », souligne le chercheur. Stress, anxiété, troubles du sommeil, dépression : les conséquences du harcèlement sur les enseignants sont importantes. M. Villeneuve souligne que le cyberharcèlement a des effets particulièrement insidieux puisque les commentaires ne disparaissent jamais. Il croit que ces pratiques pourraient contribuer au « décrochage » élevé qui touche la profession.

AUTORITÉ MINÉE 

Qu’est-ce qui pousse un parent à harceler l’enseignant de son enfant ?

« Lorsqu’un incident survient, les parents ont tendance à croire la version de l’enfant, souvent sans prendre la peine de vérifier auprès du professeur », répond M. Villeneuve. Il croit que les moyens de communication virtuels, comme le courriel et les réseaux sociaux, amènent une « distance » qui incite les parents à formuler les critiques de façon plus directe.

Pour parler de harcèlement, il faut cependant que les courriels se répètent. Sur les réseaux sociaux, au contraire, les chercheurs considèrent qu’un seul commentaire offensant ou dégradant représente du harcèlement puisqu’il peut être repris par d’autres et réapparaître à tout moment.

« Dans les courriels, on voit souvent les parents utiliser leur signature professionnelle, avec le titre d’avocat, par exemple. C’est un moyen subtil de mettre de la pression sur l’enseignant. »

— Stéphane Villeneuve, chercheur au Centre universitaire sur la formation et la profession enseignante à l’UQAM

Le problème, dit M. Villeneuve, est qu’un parent qui harcèle sous les yeux de son enfant mine complètement l’autorité de l’enseignant.

« Si l’enfant sait que le parent est de son côté, son rapport de force avec l’enseignant change. Il gagne du pouvoir sur lui », dit le chercheur.

S’il est facile de parler de harcèlement et d’intimidation aux enfants directement dans les classes, sensibiliser les parents est une autre paire de manches. « Les professeurs et la direction devront faire savoir clairement que ce n’est pas toléré », dit le chercheur.

« Par l’entremise de mon courriel de l’école, un parent d’élève m’a menacée d’avoir ma peau et de monter le plus haut possible dans la commission scolaire si je ne faisais pas passer son enfant, que je faisais tout pour faire décrocher les jeunes garçons, que je n’avais pas à cœur la réussite de mes élèves et que j’étais une incompétente. »

— Témoignage d’une enseignante recueilli lors de l’étude

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